Question posée par SODEZZA le 01/11/2018
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question, qui était à l'origine : «Est-ce vrai que les journalistes de Libé se sont comportés comme des merdes lors de l'élection avec Ségolène?».
Vous nous posez cette question après la sortie du livre de Ségolène Royal, Ce que je peux enfin vous dire, publié aux éditions Fayard. Dans celui-ci, l'ancienne candidate PS en 2007 s'en prend à Libération, et à son directeur de publication, Laurent Joffrin. Page 39 du livre, dans un chapitre consacré au traitement particulier réservé aux femmes en politique, elle écrit :
«<em>Le pire, c'est qu'à ce moment-là les journaux de gauche censés partager mes valeurs ont été les plus violents : c'est Laurent Joffrin qui en 2007, à un moment crucial de ma campagne, entre les deux tours de l'élection présidentielle, publie dans Libération "La gauche bécassine"</em>».
Sur France Inter, le 31 octobre, Royal en a remis une couche, évoquant cette fois-ci la «Une» de Libé sur «La gauche bécassine» :
Ségolène Royal : "le plus dur c'est d'être traitée de folle, d’incontrôlable, c'est la gauche bécassine...chacun se reconnaîtra" #le79inter #sexisme #politique pic.twitter.com/AXZMBQ1eNM
— France Inter (@franceinter) October 31, 2018
Il est exact que la candidate PS a été à plusieurs reprises qualifiée de «Bécassine» pendant la campagne électorale de 2017.
Mais Libé n'a jamais fait sa Une sur «La gauche bécassine». Et Laurent Joffrin n'a pas parlé de «gauche bécassine» dans le journal, entre les deux tours de l'élection en 2007.
Le directeur de publication de Libé a bien publié un essai, intitulé La gauche bécassine, en février 2007. Où il ne s'en prend pas à la seule Ségolène Royal, mais au Parti socialiste dans son ensemble. Le 21 février 2007, dans un édito publié dans Libé, il évoque d'ailleurs cette expression, mais pour dénoncer le fait que Ségolène Royal en soit affublée lors de la campagne :
«<em>S'il y a une bécassine, c'est la vieille gauche étatiste, dépensière, irréaliste et «européolâtre». Royal fait appel à la responsabilité, elle fustige l'assistanat, elle veut une réforme de l'Etat. Socialisme libéral? Blairisme? Non. Mendésisme au féminin, mitterrandisme moralisé, jospinisme décoincé. Le dépassement, en fait, de l'antique distinction entre première et deuxième gauche. Ce n'est pas la jeune Ségolène qui tire la gauche vers le bas. C'est la vieille gauche qui plombe la candidate nouvelle. Difficile de danser le rock avec des éléphants</em>».
Un mois plus tôt, dans Libé, il était déjà question de Royal et de Bécassine dans un édito, cette fois sous la plume de Jean-Michel Thenard. Cette fois aussi pour prendre la défense de la candidate socialiste :
«<em>La bécassination semble fonctionner, qui voit Royal à la baisse dans les sondages. Bayrou s'imagine déjà élu en mai prochain et Sarkozy dès… avril. Mais la bécassination est une arme qui par le passé a montré ses limites. Les spécialistes de la BD le savent, Bécassine est populaire. C'est la petite provinciale naïve qui multiplie les bévues chez les Parisiens, mais elle sait aussi être patriote et courageuse, elle a son franc parler, des idées et du bon sens. Il n'est pas sûr que la caricature déplaise à Royal, qui se nourrit d'antiparisianisme</em>».
Au-delà de Bécassine, la teneur des éditoriaux de Laurent Joffrin publiés entre les deux tours de l'élection était plutôt favorable à Ségolène Royal. Ainsi le 4 mai, veille du premier tour, même s'il regrette que «le travail de rénovation idéologique réussi par Nicolas Sarkozy pendant les cinq ans de sa longue campagne, auquel s'ajoute le contrôle total de l'appareil UMP, n'ait pas trouvé son équivalent au PS», il conclut son édito ainsi :
«<em>La France est sans doute le seul pays au monde où l'on attend du président ou de la présidente une sorte d'omniscience technocratique alliée à un charisme oratoire. Alors que c'est l'esprit de décision et la sensibilité au pays qui comptent. Sur ces deux chapitres, Ségolène Royal a montré qu'elle égalait sans peine ses adversaires. Cette femme saura décider. Que demande le peuple de gauche ?</em>».
À la veille du second tour, le même Joffrin expliquait pourquoi il votera pour la candidate socialiste :
«<em>Pourquoi Ségolène Royal ? Pas parce qu'elle est socialiste, mais parce qu'elle a su, avant tout, s'affranchir des pesanteurs de la vieille gauche pour ouvrir la brèche du renouveau. Pas parce qu'elle est une femme, mais parce qu'elle est une femme libre. On dit que ses chances sont minces. Peut-être. Mais l'élection n'est pas jouée avant que le peuple en ait décidé. Nous y croyons. Et, en cas d'échec, nous préférons être minoritaires en respectant notre idéal, plutôt que de l'affadir dans une neutralité sans âme. A gauche donc, plus que jamais, sans exclure quiconque. Au nom de notre passé, au nom de notre avenir</em>».
«Rien que pour rigoler, il faut l’envoyer à l’Elysée. Avec son parapluie rouge»
Dernier point : Royal a-t-elle vraiment été comparée à Bécassine par des journalistes pendant la campagne ? Oui, mais pas dans les colonnes de Libé. En janvier 2007, c'est Le Monde qui osa cette comparaison, dans une chronique moqueuse signée par un journaliste maison, Dominique Dhombres.
«Elle est décidément ce que la politique a fait de plus drôle depuis l'apparition de Bécassine en 1905 dans La Semaine de Suzette», écrivait-il dans ce papier, en rebondissant sur un discours prononcé à Toulon, où la candidate avait déclaré, en écho à Sarkozy qui venait de citer Jaurès porte de Versailles : «On ne peut pas s'attribuer des valeurs auxquelles on ne correspond pas. Je suis aussi la candidate de la vérité et de la parole».
«Génial» selon le journaliste du Monde, qui conclut ainsi sa chronique : «Elle était déjà la bonne Lorraine qui veut bouter l'horrible nabot anglo-libéral hors de France. À ce niveau comique, Valérie Lemercier et Muriel Robin peuvent aller se rhabiller ! Il n'y a pas photo. Elles ne font pas la maille par rapport à Bécassine. Rien que pour rigoler, il faut l'envoyer à l'Elysée. Avec son parapluie rouge».
Bien cordialement