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Les scores du FN ont-ils été surestimés dans tous les sondages de 2017 ?

Alors que le RN est donné en tête devant LREM pour les européennes, certains commentateurs dénoncent des sondages catastrophistes. Un examen poussé montre que les sondages ont longtemps donné Marine Le Pen et le FN trop haut en 2017. Mais trop bas aux dernières élections européennes de 2014.
Marine Le Pen, le 8 octobre 2018 (Photo Alberto PIZZOLI. AFP)
publié le 5 novembre 2018 à 17h38

Question posée le 05/11/2018

Bonjour,

Votre question fait référence aux enquêtes d'opinion en prévision des élections européennes de 2019 et à un sondage en particulier qui donne le Rassemblement National en tête (au coude à coude avec LREM). De nombreux militants Insoumis dénoncent l'utilisation de ce sondage alarmiste pour crédibiliser la stratégie de campagne d'Emmanuel Macron (progressistes contre nationalistes), en insistant sur le fait que les sondages surrestiment toujours le RN (ex-FN).

Dans ce contexte, un sympathisant de la FI a publié sur Twitter une comparaison entre les sondages et les résultats de Marine Le Pen et du FN lors des élections présidentielles et législatives de 2017. Il s'appuie pour cela sur une liste publiée sur Wikipédia qui recense les sondages par élection et démontre qu'en moyenne les sondages ont surestimé Marine Le Pen à la présidentielle et le FN aux législatives.

Si l'on fait par exemple la moyenne des 46 sondages listés pour Marine Le Pen, ils la donnent à 24,5% avant le premier tour de la présidentielle. Son score au soir du 23 avril : 21,30 %. Idem pour le deuxième tour : les 22 sondages effectués entre les deux tours donnent la candidate FN en moyenne à 39% et au minimum à 36%. Son résultat ? 33,90 %. Concernant les législatives, l'écart est encore plus important : les sondages donnaient le FN en moyenne à 18,7%, quand il n'a finalement obtenu que 13,2% des voix.

L'internaute qui a comparé les sondages aux résultats de 2017 en conclut que les sondages actuels ne doivent pas être pris au sérieux. Accusant au passage les instituts de sondage de favoriser sciemment le parti de Marine Le Pen : «Combien de fois vont-ils vous refaire le coup ? Marine Le Pen peut complètement foirer son débat, se séparer de Philippot, tranquillement s'endormir entre chaque élection. Sondages et commentateurs feront le travail pour la maintenir au Top !» dénonce-t-il. «Et c'est le cas en ce moment, par une opération du Saint-Esprit sondagier le FN devenu RN passe de 13,2% (en vrai) aux législatives à plus de 20% (dans les sondages) aux Européennes.»

Ce rapprochement entre résultats aux législatives de 2017 et élections européennes de 2019 est toutefois contestable, puisque les scores du FN à ces élections sont très différents. Et les sondages aussi : si le FN a bel et bien été globalement surestimé par les sondages en 2017, ce n'est pas le cas pour les dernières élections européennes. Les principaux instituts de sondage donnaient en effet le FN à 22,7% en moyenne avant le premier tour des élections européennes de 2014. Il obtiendra finalement presque 25% des voix. Soit bien plus qu'aux législatives de 2017.

«On nous a longtemps reproché de sous-estimer le vote FN»

Comment expliquer toutefois que Marine Le Pen et son parti aient été surestimés par de nombreux sondages ? «Si l'on prend l'ensemble des dernières élections, il est faux de dire que l'Ifop surestime le FN, détaille Frédéric Dabi, directeur du Pôle Opinion de l'Ifop. On est général proche du chiffre : aux régionales de 2015, on donnait Marine Le Pen et Marion Maréchal Le Pen à 38/39% au premier tour et elles font un peu plus de 40%. Pareil pour les Européennes de 2014. On nous a longtemps reproché de sous-estimer le vote FN mais en 2017 les prévisions ont été plutôt bonnes : on a eu l'ordre d'arrivée et les bons ordres de grandeur. On donne la candidate à 22/22,5% et elle finit à 21,30%, ce n'est quand même pas loin.»

Même analyse du côté de Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d'OpinionWay : «Je ne pense pas qu'on puisse parler de surestimation structurelle du FN. Il faut prendre chaque tour de chaque élection. Au premier tour on la donne à 22%, elle fait 21,30%. Ce n'est pas une surestimation, c'est un arrondi.» Concernant le second tour de la présidentielle, où l'écart entre la moyenne des sondages et les résultats était de près de 5 points, il reconnaît toutefois une surestimation mais estime qu'elle est conjoncturelle : «Un second tour de la présidentielle avec le FN c'est forcément un cas particulier, ce n'est arrivé que deux fois. On a eu un effet inhabituel : on avait moins de gens au deuxième tour qui nous disaient avoir voté pour le FN au premier tour que de gens qui nous disaient qu'ils allaient le faire avant. Le redressement de l'échantillon [méthode qui consiste à s'assurer que l'échantillon est représentatif en demandant aux sondés pour qui ils ont voté lors d'élection précédente, ndlr] a donc pu être favorable à Marine Le Pen. Surtout, il y a eu deux temps dans la campagne d'entre deux tours. D'abord, la première semaine a été très favorable à la candidate FN. Ensuite il y a eu un reflux, qui s'est accéléré après le débat, très tardif.» En somme, il est possible que les derniers sondages, publiés le vendredi avant l'élection, n'aient pas eu le temps de mesurer la baisse de Marine Le Pen après son débat raté du mercredi.

Et pour les législatives, élections où l'écart a été le plus important entre les résultats et les prévisions ? «Il y a eu une participation beaucoup moins forte que prévu. On prévoyait 54% de participation, et elle a été en dessous de 49%. Ça a clairement été très pénalisant pour le score du FN.»

Les deux responsables insistent plus largement sur le fait que les sondages ne sont pas faits pour donner des résultats au demi-point près, mais des tendances : «Marine Le Pen a été pendant plusieurs mois à 24/25% et ensuite il y a eu un phénomène d'érosion. Cette baisse s'est poursuivie jusqu'au moment du vote», note Frédéric Dabi.

La moyenne des différents sondages sur des périodes longues comme des campagnes présidentielles masquent en effet leurs évolutions. Ainsi, pour le premier tour de la dernière présidentielle, Marine Le Pen est donnée en moyenne à 24,5% sur toute la période qui va de la publication de la liste officielle des candidats jusqu'aux derniers sondages d'avril 2017. Mais si l'on ne prend que la campagne officielle (du 10 au 22 avril), ce chiffre tombe à 22,75%, et certains instituts, comme Elabe, OpinionWay ou l'Ifop, donnaient bel et bien Marine Le Pen à 21,5% ou 22% dans les derniers jours (soit très proche de son score de 21,30%).

Notons enfin que tous les sondages ne se valent pas : Libération tient toujours à votre disposition cet outil pour vérifier le niveau de fiabilité d'une étude.

Cordialement,