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Carburants : quelle serait la fiscalité si Macron n'avait pas changé ce que prévoyait l'ex-majorité?

Ségolène Royal critique l' «écologie punitive» du gouvernement. Elle avait pourtant décidé d'augmenter les taxes sur les carburants. Mais à un rythme moins soutenu que celui de l'actuelle majorité.
(Photo Philippe Huguen. AFP)
publié le 13 novembre 2018 à 13h07

Question posée par Philippe Tordjman le 06/11/2018

Bonjour,

Nous avons raccourci votre question, qui était la suivante: «Ségolène Royal parle d'écologie punitive et dénonce les mesures gouvernementales. Quel serait le niveau des taxes sur le carburant si seule cette loi, portée par Ségolène Royal, s'appliquait aujourd'hui? Je cherche à savoir si cette dénonciation par la majorité précédente est sincère ou totalement opportuniste et déloyale.»

Ségolène Royal a effectivement vivement dénoncé la politique actuelle. Comme le rappelle votre question, elle avait néanmoins, en qualité de ministre de l'Environnement, contribué elle-même à augmenter la fiscalité sur le carburant lors du dernier quinquennat, jusqu'à prévoir un rythme de hausse jusqu'à 2020. D'où votre question : quel serait le niveau des taxes si Macron les avait laissées au niveau prévu par la précédente majorité?

La TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), principale composante de la fiscalité sur les carburants, a été créée en 2011, en remplacement à la TIPP, afin d’y intégrer d’autres produits non pétroliers. Mais le vrai changement a lieu trois ans plus tard, en 2014, lorsqu’elle va intégrer une nouvelle composante - la contribution climat énergie (CCE), ou composante carbone - qui va faire s’envoler son rendement, afin notamment de financer le CICE. Et qui est à l’origine de la hausse de la fiscalité sur les carburants, qui fait aujourd’hui polémique.

Cette CCE consiste à donner un prix aux émissions de CO2, à le multiplier par le niveau d’émission de chacun des carburants, puis à l’intégrer dans la TICPE. Autrement dit, plus le CO2 est cher, plus la TICPE est élevée. S'y ajoute une part régionale, généralement de 0,73 centime pour l'essence et de 1,53 centime pour le gasoil.

À l'époque, sa genèse n'avait pas fait de remous. Et pour cause. «Pour ses promoteurs, le vote de la composante carbone dans la TICPE est une réussite, qui a été permise dans les conditions de sa discrétion. Cette discrétion tient à deux caractéristiques : d'une part, cette mesure permet de ne pas créer de nouvelle taxe ; d'autre part, elle est mise en œuvre de manière neutre la première année», note l'économiste Marianne Ollivier-Trigalo dans un rapport consacré au sujet.

Avec un prix de 7 euros pour une tonne de CO2 en 2014, la CCE ne rapportera que 340 millions d’euros en 2014. Et sera, en effet, sans conséquence sur les taxes sur l’essence et le diesel. Mais dès 2015, le prix du carbone est multiplié par deux: 14,5 euros la tonne. Puis passé à 22 euros en 2016 et 30,5 euros en 2017… En toute logique, le rendement s’accélère: la CCE génère (TVA comprise) 2,4 milliards en 2015, 4 milliards en 2016 (dont 3 milliards iront financer le CICE), et 6,5 milliards en 2017.

En 2015, le législateur complète cette trajectoire du prix du CO2: 39 euros la tonne en 2018, 47,5 euros en 2019 et 56 euros en 2020. Avec, comme horizon: 100 euros en 2030.

Parallèlement, un timide rapprochement entre les taxes sur l’essence et le gazoil est amorcé: en 2015, pour compenser l’annulation de l’écotaxe, la TICPE sur le diesel est augmentée de 2 centimes. En 2016, elle est réhaussée d’un centime. Rebelote l’année d’après avec un centime de plus pour le diesel, mais aussi un centime de baisse sur l’essence.

Bref, la dynamique de la CCE est déjà bien lancée sous Hollande. La TICPE sur l’essence (SP95-E5) passe ainsi (TVA comprise et hors part régionale), de 72,83 centimes par litre en 2014 à 78,08 centimes en 2017. Soit 5,25 centimes en trois ans. Pour le diesel, la hausse est encore plus élevée, à la fois en raison du rapprochement avec l’essence, mais aussi parce que la part de la CCE est plus importante: sa TICPE passe de 51,4 centimes en 2014 à 63,68 centimes en 2017, soit une hausse de 12,3 centimes.

Cette hausse, selon le calendrier de l'augmentation de la tonne de carbone, était amenée à se poursuivre jusqu'en 2020. Additionnée au rapprochement essence-diesel, elle aurait conduit à une TICPE de 81,46 centimes sur l'essence et de 75,38 centimes sur le diesel.

Mais ce rythme va s'accélerer avec la nouvelle majorité et Nicolas Hulot à la tête du ministère de l’Environnement. Concrètement, pour les automobilistes, la TICPE - TVA comprise - va passer de 78,08 centimes par litre en 2017 pour l’essence SP95-05 à 87,66 centimes en 2020. Soit 9,6 centimes en trois ans, quasiment deux fois plus qu’en 2014 et 2017. Pour le gasoil, la taxe atteindra 63,68 centimes en 2017 à 84,14 centimes en 2020. Soit 20,4 centimes sur la période, versus 12,3 centimes entre 2014 et 2017.

Cette accélération est due à deux décisions. La trajectoire du prix de la tonne de carbone, tout d'abord, a été revue à la hausse: l'objectif est toujours de 100 euros la tonne en 2030, mais les étapes intermédiaires sont boostées. Ainsi, son prix passe à 44,6 euros en 2018 (contre 39 euros prévus sous Royal), à 55 euros en 2019 (contre 47,5 euros) et à 65,4 euros en 2020 (contre 56 euros). Cette trajectoire est même prolongée jusqu'en 2022, avec un prix de 86,2 euros la tonne. Ce qui, au passage, laisse présager, comme le relève le consultant César Dugast (cabinet carbone 4), que les 100 euros la tonne de CO2 sera atteint bien avant 2030. A cette date, elle devrait même s'afficher à 121 euros.

Source: cabinet Carbone 4

En sus de cette révision des prix de la tonne de CO2, la nouvelle majorité décide d'une vraie convergence de la TICPE sur le gasoil et l'essence, en quatre ans, avec une hausse de 2,6 centimes supplémentaire par an pour le gasoil. Mais sans baisser la TICPE pour l'essence, comme l'avait fait Royal.

Résultat: ces mesures vont faire décoller les recettes :TVA comprise, et avec le gaz naturel, elles vont augmenter de 4,7 milliards en 2018 par rapport à ce qu'avait voté la majorité précédente, de 8,4 milliards en 2019, 12 milliards en 2020, 16 milliards en 2021, et 18,48 milliards en 2022. Les recettes totales de TICPE sont ainsi attendues à 37,7 milliards l'année prochaine.

En conclusion, si la nouvelle majorité était restée sur les règles antérieures, et en considérant que le rapprochement diesel-essence aurait continué sur le rythme d'un centime supplémentaire par an pour le diesel et d'un centime de moins sur l'essence, les taxes auraient atteint les valeurs suivantes:

-Pour le SP95-E5, la TICPE, TVA comprise et hors part régionale, se serait élevée à 79,21 centimes en 2018, soit 2,73 centimes de moins qu'avec les nouvelles règles, à 80,34 centimes en 2019 (4,46 centimes de moins), et à 81,46 centimes en 2020 (6,2 centimes de moins).

-Pour le gasoil, la TICPE aurait atteint 67,58 centimes en 2018 (3,7 centimes de moins), 71,48 centimes en 2019 (6,23 centimes de moins), et 75,38 centimes en 2020 (8,76 centimes de moins).