Question posée par Lucas le 08/03/2019.
Bonjour,
Vous faites référence dans votre question au tweet d'Aude Lancelin, directrice du Média, qui a affirmé le 7 mars sur Twitter : «La direction du Monde, propriété de Niel, censure un long texte sur les gilets jaunes de Badiou, philosophe français le plus lu dans le monde. Et personne, aucun journaliste ne se demande pourquoi, ni ne s'en émeut. Où va cette presse, où va ce pays ?»
La direction de @lemondefr, propriété de Niel, censure un long texte sur les Gilets jaunes de Badiou, philosophe français le plus lu dans le monde. Et personne, aucun journaliste ne se demande pourquoi, ni ne s'en émeut. Où va cette presse, où va ce pays? #MinistèreDeLaVérité pic.twitter.com/hkKw8lBK9c
— Aude Lancelin (@alancelin) March 7, 2019
La directrice du Media fait allusion à un texte de cinq pages, intitulé «Leçon du mouvement des gilets jaunes», que le philosophe a envoyé au Monde pour que celui-ci soit publié dans les pages «Idées» du quotidien du soir. Dans ce texte, que CheckNews a pu consulter, Alain Badiou exprime son «mépris» vis-à-vis de Macron mais développe surtout ses réticences politiques à l'égard des gilets jaunes.
Il décrit le mouvement comme «réactionnaire» et inefficace : «Leurs proclamations, leur désorganisation périlleuse, leurs formes d'action, leur absence assumée de pensée générale et de vision stratégique, tout cela proscrit l'inventivité politique. Je ne suis certes pas conquis par leur hostilité à toute direction incarnée, leur crainte obsessionnelle de la centralisation, du collectif unifié, crainte qui confond, comme le font tous les réactionnaires contemporains, démocratie et individualisme. Rien de tout cela n'est de nature à opposer au très odieux et misérable Macron une force progressiste, novatrice et victorieuse au long cours.» Il concède seulement qu'il existe «une très intéressante minorité» en son sein qui pourrait «à l'avenir» être utile pour constituer les «premiers principes» d'un «communisme nouveau».
«Je ne veux pas en faire toute une histoire»
Le philosophe confirme à CheckNews avoir bien envoyé le texte au Monde et avoir essuyé un refus. Il explique toutefois ne pas vouloir en faire «toute une histoire» : «Ce qui m'importe est le contenu analytique et politique. Pour l'instant j'ai proposé cet article aux Inrockuptibles, et j'attends leur réponse. A suivre donc», expliquait-il vendredi à CheckNews. Sur les raisons du refus : «Mon interlocuteur au Monde m'a dit que la raison était mon petit papier contre les agissements et déclarations d'Alain Finkielkraut, publié dans le Média. Je n'en sais pas plus.»
Dans cet article, titré «Sinistre comédie d'un raciste habillé en antiraciste», le philosophe accuse Alain Finkielkraut d'être devenu «l'instrument complaisant, réjoui, de provocateurs antisémites et fascisants, ou de déchaînés obtus de la violence, infiltrés, comme lui, dans une protestation collective légitime», à l'occasion de l'altercation entre le polémiste et des gilets jaunes. «Après quoi, pauvre offensé, il appelle au secours les médias – largement, il faut le dire, vendus à sa cause», poursuivait Badiou, apportant au passage son soutien à Aude Lancelin, alors accusée de minimiser l'agression.
«Décision éditoriale»
Le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, assume de son côté une «décision éditoriale» : «Nous étions intéressés par la publication de la tribune proposée par Alain Badiou, dans un ensemble prévu sur les divisions des intellectuels de gauche à propos de ce mouvement», explique-t-il à CheckNews. «Mais entre-temps, un autre texte du philosophe, attaquant Alain Finkelkraut après les injures antisémites qui l'ont visé en marge d'une manifestation de gilets jaunes, a été mis en ligne. Sa violence nous a choqués, comme nombre de lecteurs. Après une discussion au sein de l'équipe éditoriale, nous avons décidé qu'en raison de ce contexte, les conditions d'une bonne réception par nos lecteurs de la tribune d'Alain Badiou n'étaient plus réunies. Nous avions beaucoup d'autres textes de qualité, et nous avons plutôt choisi de citer certains des propos du philosophe dans l'analyse de notre journaliste qui figure dans la double page.»
Le directeur de la rédaction estime surtout que l'accusation de censure est «loufoque» : «Depuis 2010, donc la période des actionnaires actuels, nous avons publié 10 tribunes et 5 entretiens avec Alain Badiou, dont certains sur des doubles pages. Très peu d'intellectuels ont eu autant d'occasions de s'exprimer dans le Monde, et cette place nous paraît tout à fait légitime, notamment en raison du fort retentissement de sa pensée à l'étranger.»
Reste une question : pourquoi Le Media n'a-t-il pas publié la tribune critique envers les gilets jaunes ? «Nous lui avons proposé de la publier sur le site Le Media Presse. Il n'a pas encore donné suite», indique Aude Lancelin à CheckNews.
Cordialement.