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BHL a-t-il mis en scène une interview dangereuse à Sarajevo en 1992 ?

L'auteur des photographies, ainsi que le reporter qui interviewait Bernard-Henri Lévy en juin 1992 à Sarajevo, démentent toute mise en scène. On entend des tirs durant l'entretien diffusé par la télévision locale à l'époque.
Bernard-Henri Lévy donne une interview à une télévision locale le 13 juin 1992 à Sarajevo. (HALEY/SIPA/HALEY/SIPA)
publié le 14 mars 2019 à 5h59

Question posée par Ryo Saeba le 10/03/2019

Bonjour,

Votre question initiale «Est-il vrai que cette photo prouve la malhonnêteté d'un BHL qui n'a, finalement, jamais couru de danger à Sarajevo ?» est accompagnée du tweet suivant, où l'on peut voir deux photos du philosophe français Bernard-Henri Lévy, légendée ainsi : «La photo d'un BHL prenant de "gros risques" à Sarajevo pendant la guerre de Yougoslavie. Accroupi contre un mur qui le protégeait des snipers. BHL passait pour un héros. Mais le Canard Enchaîné publia la même photo avec un cadrage plus large. On voyait alors des gens passer tranquillement sans avoir peur de rien.»

Dans un exemplaire du 22 décembre 1993, dont le Canard Enchaîné nous a transmis une copie, le journal satirique avait effectivement publié deux photos de Bernard-Henri Lévy accroupi derrière un mur à Sarajevo. Le Canard se moquait alors du philosophe français qui avait été «le seul à plonger derrière le muret pour poursuivre cette surréaliste interviouve», alors que «deux joyeux soldats canadiens de la Forpronu» se baladaient tranquillement derrière les deux hommes au même moment.

Le photographe des deux clichés dément toute mise en scène

A l'origine de ces clichés pris le 13 juin 1992 à Sarajevo, il y a Thomas Haley, un photographe de l'agence Sipa. Contacté par CheckNews, il précise d'emblée qu'il n'est pas «un grand fan de BHL» mais que «cette série a été mal interprétée parce qu'on aime lui jeter des pierres».

Il se souvient de la prise de ces images : «Ces photos ont été prises le jour, où nous partions, dans la zone autour du QG des forces onusiennes. BHL était venu à Sarajevo plusieurs mois après le début du siège de la ville, avec Jean-François Deniau dans un cortège un peu loufoque pour la paix. Lors de cette visite, BHL avait rencontré le président Izetbegovic. Nous étions rassemblés avant le départ et la télévision locale est venue faire des interviews. À ce moment-là, il y avait des tirs des montagnes serbes qui passaient au-dessus de nos têtes vers les forces bosniaques. Nous n'étions pas visés mais elles passaient bien au-dessus de nous. Le preneur de son de la télé bosniaque s'est mis à l'abri pour avoir du meilleur son.»

Le photographe a une autre anecdote à propos de ces photos. Ignorant que le cliché avec les soldats marchant en fond avait été diffusé par le Canard Enchaîné, il était tombé sur Bernard-Henri Lévy lors d'une conférence à Paris. «BHL vient me voir et me dit : "Tes photos, elles m'ont vraiment foutu dans la merde." Je ne savais pas du tout de quoi il parlait. A la même époque, l'attachée culturelle serbe, qui détestait BHL parce qu'il soutenait les Bosniaques, s'en servait pour dire que c'est un montage. J'ai toujours trouvé que c'était injuste à l'égard de BHL. En plus, ça me mettait en cause, alors que j'avais juste saisi l'opportunité de le prendre en photo, en tant que personnalité présente à Sarajevo.»

Les images de la télévision bosniaque

Le récit fait par le photographe Thomas Haley est conforme aux images de l’interview de Bernard-Henri Lévy par la télévision bosniaque, et dont on trouve une copie aujourd’hui sur YouTube.

Sur ces images, on voit que c’est d’abord le reporter Nedim Lončarević, qui sursaute en entendant des tirs. Puis BHL cherche à s’éloigner du muret, avant de voir un homme s’accroupir. Le reporter et BHL vont donc s’asseoir pour poursuivre l’interview, durant laquelle un deuxième homme, en manteau jaune, va également venir s’abriter à côté d’eux.

Pour un documentaire consacré à BHL, l'émission Complément d'enquête de France 2 avait réussi à interroger le journaliste Nedim Lončarević, sur l'accusation de mise en scène. Il l'avait complètement rejetée, expliquant qu'ils s'étaient réfugiés derrière le muret parce qu'ils avaient été pris de peur à cause des tirs.

Cordialement