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La nomophobie (peur d'être séparé de son téléphone) existe-t-elle vraiment ?

Le mot a été désigné «mot de l'année 2018» par les lecteurs du Cambridge dictionnary. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une maladie, mais d'un comportement excessif relevant de l'addiction.
Paris, le 14 mars 2014. Illustration sur la téléphonie mobile. (Laurent TROUDE/Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 19 mars 2019 à 10h11

Pendant une semaine, CheckNews répond aux questions de jeunes lycéens et collégiens de l'Oise. Cette question a été posée par les élèves de première STL SPCL du lycée Marie Curie de Nogent-sur-Marne.

Bonjour,

Le terme nomophobie vient de la contraction de l'expression anglaise «no mobile phobia», littéralement, peur de l'absence de téléphone portable.

Naissance d’un mot et d’une pratique

Le mot est apparu il y a quelques années. Il est rentré dans le dictionnaire Le Robert en 2016. Selon le Larousse en ligne, un nomophobe est «quelqu'un qui ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l'idée d'en être séparé ou de ne pouvoir s'en servir». Plus récemment, les lecteurs du Cambridge dictionnary l'ont élu «Mot de l'année 2018». Il y est défini comme «la peur ou l'inquiétude à l'idée de se retrouver sans son téléphone portable ou dans l'incapacité de s'en servir».

Cette préoccupation grandit avec l’importance que prennent dans nos vies Internet, les interactions en ligne, et le téléphone portable comme moyen d’y accéder.

Le sociologue Dominique Boullier a vu émerger «le souci d'avoir toujours son téléphone sur soi» dans ses enquêtes de terrain. Le téléphone portable crée des préoccupations nouvelles comme vérifier si la batterie est chargée, ne pas sortir sans l'avoir dans la poche ou encore vérifier régulièrement le réseau.

Le smartphone est un outil unique pour des pratiques diverses et potentiellement addictives : montre, journal, accès aux réseaux sociaux, jeux ou encore téléphone, chacun utilise le même outil dans des buts différents.

Pas une maladie, mais…

Le mot nomophobe existe. Mais quel phénomène décrit-il au juste ? La nomophobie ne fait pas partie du DSM-5, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de référence. La nomophobie est utilisée par des scientifiques mais le concept est récent et donc encore un peu flou. «Il ne s'agit pas d'une maladie en tant que telle, mais le concept est travaillé dans le cadre des cyberaddictions, qui sont un champ de recherche ouvert», explique le psychiatre Laurent Karila.

En l'absence de définition officielle claire, et consensuelle, CheckNews a contacté plusieurs psychologues et psychiatres pour leur demander leur définition. Ils ne parlent pas de «maladie» mais de «symptôme», ou encore de «comportement», parfois «excessif».

«Le phénomène s'apparente à un besoin impérieux (craving en anglais) d'être connecté», explique le professeur de l'Université de Genève, Daniele Zullino.

«Il peut y avoir deux mécanismes sous-jacents. D'une part une anxiété, avec une peur de rater quelque chose (une information ou autre). D'autre part une addiction, avec un plaisir lié à l'utilisation du téléphone (que ce soit les réseaux sociaux ou les jeux)», explique Marc-Antoine Crocq, psychiatre au centre hospitalier de Rouffach.

Tous nomophobes ?

Beaucoup de personnes ne sortent jamais de chez elles sans leur portable, et sont irritées s’il est déchargé. Sont-elles nomophobes ?

«Concrètement, l'addiction au téléphone portable représente bien peu des consultations par rapport au nombre d'usagers. De plus, il s'agit d'un comportement souvent associé à d'autres addictions comme les jeux d'argent qui passent beaucoup par des applications aujourd'hui», tempère le professeur en addictologie Marc Auriacombe.

Mais certains comportements sont excessifs. Laurent Karila évoque un patient qui arbore plusieurs batteries à la ceinture.

Monique Portner-Helfer, porte-parole de l'association Addiction Suisse affirme ne pas recevoir beaucoup d'appels pour cette addiction. «La plupart du temps, ce sont des parents qui s'inquiètent pour leur enfant adolescent. Le comportement devient problématique quand il prend la place d'autres activités comme le sommeil, les repas, ou les échanges avec d'autres personnes», explique-t-elle.

En sortir

Certains chercheurs ont proposé un petit test afin de vérifier son propre attachement à son téléphone.

Comme souvent le chemin vers le mieux passe par la prise de conscience du problème. Ensuite, «il faut redéfinir ce qu'est une consommation acceptable», explique Daniele Zullino. À chaque étape, des professionnels peuvent accompagner.

Cordialement