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Immigrés et descendants d'immigrés hors UE pèsent-ils 5% de la population, comme le dit «le Monde»?

En 2015, selon les chiffres de l'Insee, la France comptait 3,9 millions d'immigrés d'origine extra-européenne, et 4 millions de descendants d'immigrés d'origine extra-européenne.
Le quartier de Château-Rouge dans le XVIIIe arrondissement de Paris en septembre 2014. (Edouard CAUPEIL/Photo Edouard Caupeil pour Libération)
publié le 22 mars 2019 à 6h59

Question posée par Vincent V le 20/03/2019

Bonjour,

Cette question a été posée après que des internautes ont reproché au Monde une incohérence dans deux articles à propos du décompte des immigrés et descendants d'immigrés en France. On lit dans le premier : «Même en comptant très largement les migrants et descendants de migrants non européens, on peine à parvenir à 5 % de la population française».

Le lien hypertexte renvoie vers un autre article, du Monde toujours, où on lit : «Ces immigrés venus du Sud représentent donc 5% de la population française». Plus loin : «Si on élargit la notion d'immigré et que l'on prend en compte l'ensemble des descendants de ces migrants – bien qu'ils soient tous nés en France – on trouve le chiffre de 6,7 millions. Parmi eux, 3,1 millions descendent de migrants venus du Maghreb francophone, d'Afrique et d'Asie – soit moins de 5% de la population française.»

Comme l’ont noté les internautes, les deux articles sont contradictoires. La lecture du second suggère que l'addition des immigrés non-européens et des enfants d'immigrés d'origine extra-européenne atteint plutôt les 10%.

Vous nous avez demandé ce que disaient sur le sujet les études statistiques.

Les immigrés extra-européens sont 3,9 millions et représentent environ 6% de la population…

Le nombre d'immigrés, et leur origine, est renseigné par le recensement annuel. Chaque année, l'Insee livre un décompte dans le portrait social de la France. La dernière édition (en novembre 2018) donne les chiffres de 2015 : on comptait en France 6,1 millions d'immigrés (personnes nées étrangères à l'étranger). En se focalisant sur les immigrés non européens, on arrive à 3,9 millions de personnes, venues d'Afrique, d'Asie, d'Amérique ou d'Océanie.

…Comme les enfants d’immigrés extra-européens, qui sont entre 3,9 et 4 millions, selon l’Insee

En raison de son histoire et de l’ancienneté de l’immigration en France (relativement aux autres pays d’Europe), la France se distingue par une part élevée de descendants d’immigrés.

Le nombre de ces derniers est également livré, depuis trois ans, dans le «portrait social de la France». L'édition de 2018 permet ainsi de mesurer les effectifs de descendants d'immigrés par pays d'origine du parent immigré (ou du père quand les deux parents sont immigrés). Une colonne permet même de chiffrer l'évolution sur cinq ans.

Si on se focalise sur les descendants d’immigrés extra-européens, on arrive, en 2015, à un peu plus 4 millions de personnes (comme les immigrés extra-européens), soit environ 6% de la population française.

Comme l'Insee le précise dans la légende, lorsque les deux parents sont immigrés, on retient, par convention méthodologique, la nationalité du père. Le fils d'un immigré portugais et d'une immigrée marocaine sera par exemple considéré comme descendant d'immigré européen. A en croire l'Insee, cela n'a qu'un impact minime sur la statistique : «dans plus de 8 cas sur 10, lorsqu'il y a deux parents immigrés, ceux-ci ont le même pays de naissance. De plus, si on considère l'origine des parents au sens de zones géographiques, on grimpe alors au-delà de 90%. Par exemple, lorsque le père est né en Algérie et la mère au Maroc, on reste sur un descendant du Maghreb quel que soit le choix fait. Les chiffres publiés étant calculés sur des zones géographiques, la différence serait minime si on prenait l'origine de la mère (ou une des deux origines au hasard)»

A noter qu'une autre étude, publiée par l'Insee en février 2017, intitulée «être né en France d'un parent immigré», donne des chiffres très légèrement différents. Le nombre des descendants d'immigrés est chiffré, pour la même année 2015, à 7,3 millions de personnes au total (contre 7,2 millions dans le portrait social de la France). Et les descendants d'immigrés extra-européens sont estimés à 3,9 millions (contre 4 millions dans le portrait social). L'explication de ces divergences tient aux sources : l'estimation qu'on trouve dans le portrait social se base uniquement sur l'«enquête emploi» (100 000 personnes interrogées chaque trimestre), là où l'étude publiée en février se base sur l'enquête emploi pour les descendants d'immigrés de plus de 15 ans, et, pour les descendants de moins de 15 ans, sur le recensement, qui est basé sur un échantillon beaucoup plus large.

Quel que soit l'étude qu'on choisisse, on arrive à donc à des résultats très proches : entre 3,9 et 4 millions de descendants d'immigrés extra-européens. Soit environ 6% de la population.

Si on décidait d'additionner les descendants d'immigrés aux immigrés, on arriverait donc à 12% de personnes en France étant immigrés extra-européens, ou étant nés d'un (ou de deux) parent(s) immigré(s) extra-européen(s). Et non 5% comme l'écrivait par erreur l'article du Monde.

Cette addition est rarement faite dans la statistique publique. Elle revient en effet à comptabiliser ensemble des personnes ayant immigré, à des personnes nées en France, et Françaises (souvent d'un parent immigré et d'un autre non immigré), et ayant donc une expérience sociale différente.

Nous avions également abordé, dans une autre réponse sur CheckNews, la question du décompte (plus complexe) des petits enfants d'immigrés. L'article est lisible ici.

Cordialement