Question posée par Juliette le 25/03/2019
Bonjour,
Voici votre question, que nous avons raccourcie : «Est-il vrai qu'il y a des kidnappings d'enfants faits par des Roms à Aulnay-sous-Bois pour des trafics d'organes, ce qui a entraîné une chasse a l'homme à l'encontre de ces kidnappeurs ?»
Il arrive que des rumeurs aient des conséquences dans la vraie vie. Mardi, l'AFP se fend d'une dépêche glaçante : «Vingt personnes ont été interpellées dans la nuit de lundi à mardi en Seine-Saint-Denis après des violences visant des Roms, désignés par des rumeurs sur les réseaux sociaux comme étant à l'origine d'enlèvements d'enfants.» L'agence de presse note que «"plusieurs rixes et violences" ont eu lieu à Clichy-sous-Bois puis à Bobigny, prenant à partie des personnes de la communauté du voyage». LCI, qui raconte cette nuit de violences, fait état de trois événements distincts, et d'individus armés de bâtons, de pierres ou de battes de baseball.
Parmi elles, «19 personnes sont actuellement en garde à vue (17 majeurs et 2 mineurs), pour des faits de violences volontaires, dégradations par incendie et participation avec arme à un attroupement survenus dans la soirée du 25 mars», a précisé le parquet mardi soir.
Ces violences et ces interpellations sont la conséquence d'une rumeur qui n'en finit pas de tourner depuis des années. L'increvable mythe de la camionnette blanche et des kidnappeurs d'enfants, dont CheckNews vous parlait précédemment, s'est en effet invité depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux (Snapchat, Twitter et Facebook) dans les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Val d'Oise, et des Yvelines. Les récits qui circulent, où la camionnette change parfois de couleur, rappellent la même intox qui circule depuis des années dans toutes les régions de France. Mais cette fois, la rumeur a provoqué de violentes altercations et de nombreuses prises à partie, ciblant principalement les membres de la communauté rom.
Aulnay-Sevran
A Aulnay et Sevran, il y a trois jours, un couple a échappé de peu à une agression, et n’a été sauvé que par l’intervention de la police.
«On a trouvé le fils de pute qui vole des enfants. […] Venez tous […], personne ne va sortir d'ici», lance un homme qui filme sur Snapchat une camionnette rouge garée sur le parking d'un hôtel de Sevran. Le tweet du 23 mars qui relaye cette vidéo suggère que «les jeunes de Sevran» ont «trouvé les suspects» des supposées tentatives d'enlèvement. Cette vidéo a été vue plus de 8 000 fois (et 12 000 fois dans une autre version, 10 000 ailleurs).
Difficile de savoir ce qui se serait passé si la police n'était pas intervenue. Sur la vidéo, on voit, cernés de policiers et menottés, un homme et une femme qui finissent par quitter un hôtel, embarqués dans deux véhicules des forces de l'ordre. «Vous allez mourir», leur crient plusieurs personnes présentes.
D'après nos informations, ce couple, qui appartient effectivement à la communauté rom, a été relâché peu après par la police sevranaise. «Ils n'avaient rien à voir avec ces rumeurs d'enlèvement, et après vérification, ils ont pu repartir», lâche une source proche de l'affaire.
La mairie d'Aulnay-sous-Bois a publié mardi un communiqué démontant la rumeur : «Depuis plusieurs jours, des publications sur les réseaux sociaux font état dans plusieurs quartiers de l'enlèvement d'enfants par des individus circulant à bord de camionnettes. Après vérification auprès des services de police, aucun enlèvement ou même tentative d'enlèvement d'un mineur n'est survenu ces derniers jours sur la commune.»
⚠️ Contrairement aux rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux, aucun #enlèvement ou même tentative d’enlèvement d’un mineur n’est survenue ces derniers jours à @AulnaySousBois.
— Bruno Beschizza (@brunobeschizza) March 26, 2019
👉 La #vigilance doit être privilégiée pour la #sécurité de nos enfants. pic.twitter.com/RaUwIa4aYC
Dans la foulée, le maire de Sevran publie un communiqué du même tenant : «Des rumeurs d'enlèvements d'enfants circulent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Je tiens à vous informer, après vérification auprès des forces de l'ordre, qu'aucun fait avéré ne correspond à ce qui se propage.»
Communiqué de @Blanchet_Sevran, maire de @Sevranville sur les rumeurs d’enlèvement d’enfants circulant sur les réseaux sociaux
— Ville de Sevran (@Sevranville) March 26, 2019
depuis plusieurs jours. https://t.co/juLQyy3qIV pic.twitter.com/TfJSFgOSWf
Clichy-Montfermeil
Même histoire ou presque – cette fois, la victime n'a pu échapper à ses agresseurs. Une vidéo (également filmée sur Snapchat puis diffusée sur Twitter) retweetée plus de 12 000 fois depuis dimanche montre plusieurs personnes frapper et insulter une camionnette jaune. La scène se déroulerait à Montfermeil, selon l'internaute qui l'a partagée. Evoquant une «tentative d'enlèvement à Montfermeil/Clichy», il écrit qu'il s'agit «d'un réseau de Roumains de trafic d'organe, ils sont partout en banlieue».
Dans une vidéo tournée de nuit, toujours à «Clichy» ou «Montfermeil», selon les annotations écrites par un utilisateur de Snapchat qui l'a relayée, plusieurs personnes jettent des projectiles à une personne réfugiée dans l'habitacle, portière ouverte.
Ils se sont fait attrapés pour ceux qui veulent savoir pic.twitter.com/dIHPsspl7D
— Slayty ⁶₆⁷ 🥷🏿 (@CocoHolaa) March 25, 2019
La chasse à l'homme lancée en ligne avait été alimentée par un communiqué du club de foot de Montfermeil : «Quatre de nos joueuses ont été victimes d'une tentative d'enlèvement ce samedi 23 mars 2019 sur la commune de Clichy-sous-Bois.»
Le texte a été supprimé et remplacé par un message publié mardi sur la page Facebook du club, qui incite à «ne pas céder à la panique et à la psychose et ne surtout pas tenter, comme nous avons pu le voir dans certaines vidéos, de faire justice nous-mêmes».
Ce correctif, tardif, fait suite à une rencontre informelle organisée devant la mairie de Clichy-sous-Bois, le 25 mars au soir. Etait notamment présent, pour éteindre les folles rumeurs, le commissaire de Clichy-Montfermeil. Ce dernier n’a enregistré aucun fait d’enlèvement ou plainte en ce sens au cours des derniers jours, selon nos informations.
Le parquet calme le jeu
Mardi soir, un communiqué commun des villes de Montfermeil et Clichy-sous-Bois transmis à la presse demande «que chacun et chacune garde son calme et laisse la police et la justice faire leur travail». «Toute autre attitude peut gêner le travail de la police et de la justice et peut être dangereuse, en mettant en péril la vie de personnes innocentes», écrivent les municipalités de Seine-Daint-Denis, tout en promettant de rester attentives à d'éventuels signalements d'enlèvements.
D'autres villes du département ont connu cette même rumeur. Ainsi, on lit sur Facebook le 26 mars qu'«une camionnette rôde sur Rosny-sous-Bois». Le 14 mars, une fourgonnette blanche est observée près d'une école à Montreuil, selon un post Facebook réutilisant une photo d'un véhicule qui circule depuis plusieurs années en ligne.
Mardi soir, dans son communiqué, le parquet de Seine-Saint-Denis calme le jeu : «Le parquet de Bobigny n'est saisi, à cette heure, d'aucune enquête pour des faits d'enlèvement de mineurs par des personnes de la communauté rom. A ce jour, si des signalements d'individus ou comportements suspects ont été reçus par les services de police, aucun ne fait état d'un enlèvement ou d'une tentative d'enlèvement avéré. Ces signalements sont étudiés avec la plus grande attention par le parquet et les services de police.»
Val-d’Oise
Autre département, et à nouveau la même histoire. Un message posté sur Facebook le 25 mars décrit une «camionnette rouge/orange» à Argenteuil (Val-d'Oise) et invite les internautes à «faire attention à [leurs] enfants». Dans une vidéo postée le même jour et censée montrer une autre ville du département, Villiers-le-Bel, le camion qui semble fuir face à plusieurs personnes qui tentent de l'arrêter est blanc. Une photo d'un couple à bord d'un utilitaire circule en ligne, et un texte (depuis supprimé) assure qu'ils kidnappent des enfants «à Villiers et à Sarcelles».
Le 21 mars, dans une vidéo publiée sur Facebook, un internaute s'était adressé aux Sarcellois pour dénoncer «une organisation, un réseau, qui tente d'attraper nos enfants dans le but de les prostituer et de vendre leurs organes». Il annonçait la création d'un groupe Facebook pour les «parents vigilants», qui s'y recommandent des marques de traqueurs GPS pour leurs enfants.
Cette vidéo a été supprimée quatre jours plus tard (après avoir totalisé plus de 70 000 vues). Dans la foulée, le même homme réalise une vidéo d'un quart d'heure, où il tente d'apaiser la situation : «On a l'impression que tout part dans tous les sens, il y a des choses qui nous échappent complètement. La base du premier post, c'était une vigilance face à un souci qu'on rencontre aujourd'hui. Je répète que le problème d'enlèvements d'enfants, il n'est pas récent […] Aujourd'hui il y a pas mal d'infos qui sont relayées, et dans toutes ces informations, il faut prendre les choses avec des pincettes. En tant qu'adultes, on se doit d'avoir un minimum de réflexion sur ce qu'on relaye comme information, et ne pas attiser les flammes, mettre de l'huile sur le feu et attiser la haine. Aujourd'hui je vois des commentaires, des images qui sont complètement insoutenables, et qui n'ont rien à voir avec ce que je voulais véhiculer dans la première vidéo. […] J'ai eu des messages de haine contre le peuple rom, assimilé dans sa totalité à des vendeurs d'enfants. C'est quelque chose qu'on ne peut pas laisser [faire].»
Contacté par CheckNews, le parquet du Val-d'Oise bat en brèche toute rumeur, précisant n'avoir reçu, au cours des derniers jours, qu'un «signalement» à propos «d'une enfant qui aurait été saluée par les passagers d'une camionnette, ce qui ne constitue pas une infraction à ce stade».
Malgré l'absence de faits établis, la rumeur a, là encore, entraîné l'agression de plusieurs personnes. Deux plaintes ont été déposées lundi, apprend CheckNews auprès du parquet du Val-d'Oise : «Ils expliquent avoir été pris à partie. Ils étaient interpellés en ces termes, "c'est vous qui enlevez des enfants", et ils ont reçu des coups de poing.»
Des Hauts-de-Seine aux Yvelines
C'est par les Hauts-de-Seine qu'était revenue la rumeur. Le 16 mars, deux hommes y ont été agressés car ils conduisaient une camionnette blanche – un peu plus tôt, selon le Parisien, une femme avait vu une camionnette blanche à proximité alors que le conducteur d'une voiture lui faisait un clin d'œil. Une histoire qui, couplée à une vieille rumeur, «aurait suffi à enflammer le quartier», écrit le quotidien. Elle a aussi enflammé les réseaux sociaux, où de nombreuses vidéos de la scène circulent, puis l'ensemble de la banlieue parisienne.
Une vidéo d'un homme traîné à terre aurait également été filmée à Nanterre. Il s'agirait d'un «voleur d'enfant», selon le texte qui barre l'image, également diffusée sur les réseaux sociaux, puis reprise sur Twitter.
Aucun enfant n’a pourtant été enlevé, selon le communiqué publié par la préfecture du département mardi soir.
FAUSSES RUMEURS et FAKE NEWS
— Police Nationale 95 (@PoliceNat95) March 26, 2019
Nous diffusons des informations vérifiées et avérées.@PoliceNat95 dément toutes les rumeurs faisant état d'enlèvements d'enfants dans le Val d'Oise. pic.twitter.com/9kpUoYiMap
Le même jour, le club de football de Bonnières-Freneuse (Yvelines) met en garde sur sa page Facebook contre «des personnes qui viennent rôder autour des stades (généralement en utilitaires, camion ou camionnette) les jours d'entraînement pour enlever des enfants…» Non loin de là, à Mantes-la-Jolie, plusieurs messages circulant sur Snapchat depuis plusieurs jours et relayés par le site Mantes-Actu font état de tentatives d'enlèvement d'enfants. Une source policière locale précise à CheckNews qu'aucune plainte en ce sens n'a pourtant été déposée dans le département des Yvelines.
Depuis plusieurs jours, la préfecture de police de Paris communique sur les réseaux à ce sujet, dénonçant une «fausse information».
❌Les rumeurs de kidnapping d'enfants avec une camionnette sont totalement infondées. Aucun enlèvement n'est avéré.
— Préfecture de Police (@prefpolice) March 26, 2019
❗️Ne relayez plus cette fausse information, n'incitez pas à la violence. pic.twitter.com/FRWPZnpakP
Dans la soirée de mardi, le collectif «la Voix des Rroms» faisait état de «"fake news" racistes», rappelant que «ces stéréotypes racistes de Rroms voleurs d'enfants remontent au Moyen Age en France».
Edit, le 27 mars : SOS Racisme informe CheckNews que des démarches ont été entreprises auprès des différentes plateformes (Twitter, Facebook, Snapchat, etc.) pour faire supprimer des vidéos de violences.