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Des journalistes ont-ils été convoqués par les gendarmes pour avoir couvert le décrochage d'un portrait de Macron ?

Plusieurs journalistes de médias régionaux ont reçu des convocations à la gendarmerie après avoir fait des reportages sur le décrochage d'un portrait présidentiel dans la mairie de Rouillon (Sarthe).
C'est un décrochage de ce type (ici à Saint-Sébastien-sur-Loire) qu'ont couvert trois journalistes de la Sarthe, avant d'être convoqués à la gendarmerie. (Photo Loïc Venance. AFP)
publié le 3 avril 2019 à 19h52

Question posée par Alain le 03/04/2019

Bonjour,

Vous nous avez demandé : «Des journalistes sont-ils poursuivis par le gouvernement pour "complicité de vol en réunion" simplement parce qu'ils ont assisté et relayé, dans le cadre de leur travail, un décrochage de portrait du président Macron dans une mairie de la Sarthe ?»

«Vol en réunion»

Les faits ont lieu le 23 mars à la mairie de Rouillon, petit village de la Sarthe. A 10h30, une poignée de militants de l'association environnementale Action non violente (ANV) – COP 21 décrochent le portrait d'Emmanuel Macron dans la salle du conseil municipal. Les journalistes de la télé locale viaLMTV Sarthe, de l'hebdomadaire le Maine Libre et de Ouest-France, sont présents pour couvrir l'événement, à l'invitation des militants écolos.

Dans une précédente réponse, nous vous parlions des consignes reçues par les gendarmes pour répondre aux décrochages des portraits présidentiels dans les mairies - 30 au moment où ces lignes sont écrites. D'après un télégramme envoyé aux militaires, ceux-ci doivent «s'assurer qu'une procédure judiciaire de flagrance soit systématiquement ouverte pour vol aggravé (en réunion)» et «recueillir les plaintes des maires».

C'est peu ou prou ce qu'il s'est passé à Rouillon, puisque le maire a déposé plainte, a appris CheckNews auprès du procureur de la République du Mans. Une enquête est ouverte dans la foulée pour «vol en réunion».

«Intimider»

Bruno Mortier, journaliste qui a couvert l'événement pour le Maine Libre, raconte la suite à CheckNews : «Le 2 avril, des gendarmes sont venus chez moi pour m'apporter un procès-verbal de convocation en vue d'une audition libreSelon le document, que CheckNews a pu consulter, il est «soupçonné d'avoir commis ou tenté de commettre l'infraction de vol en réunion».

Le soir même, le Syndicat national des journalistes (SNJ), se fend d'un communiqué. S'indignant de l'«entrave à la liberté d'informer», le SNJ rapporte qu'un correspondant local de presse travaillant pour Ouest-France a reçu la même convocation. Jointe par téléphone, la secrétaire générale du syndicat, Dominique Pradalié, s'emporte : «Je n'ai jamais vu ça, c'est comme si les gendarmes tentaient d'intimider les journalistes.»

«Témoin»

Le 3 mars, Bruno Mortier reçoit de nouveau la visite de gendarmes. A peine plus d'une heure avant le rendez-vous fixé à la gendarmerie du Mans par la précédente convocation, ceux-ci lui tendent un papier : il s'agit dorénavant d'une «convocation de témoin».

«Ça ne me rend pas service, poursuit le journaliste, parce que devenir témoin ça veut dire donner ses sources, c'est contraire à notre métier.» Il précise toutefois «ne pas en avoir dit plus que ce [qu'il en a] écrit» dans son article.

Selon le procureur du Mans, le même changement – schématiquement, de suspect à témoin – a été opéré pour le correspondant local de presse de Ouest-France, qui aurait lui aussi reçu deux convocations. Il sera entendu vendredi, en tant que témoin.

«Nous [les responsables du journal] l'accompagnerons car nous voulons lui témoigner notre soutien et notre responsablilité», déclare à CheckNews le directeur départemental de Ouest-France dans la Sarthe, Eric Degrandmaison, qui ajoute : «Le correspondant a bien fait son job, et le journal a usé de sa liberté d'expression pour raconter cet "enlèvement" de portrait du président. Nous ne comprenons pas où il y a maldonne. Et n'osons bien sûr pas croire qu'il y a là une pression sur les médias.»

La journaliste et rédactrice en cheffe adjointe de la télé mancelle ViaLMTV Sarthe, Laure Girard, devrait bientôt recevoir sa convocation, également en tant que témoin. Elle prévoit de s'y rendre, explique-t-elle, même si elle n'a, comme son confrère, «été témoin que de ce qu'il y a dans [son] reportage».

«Complicité»

Auprès de CheckNews, le procureur de la République du Mans précise avoir insisté auprès des enquêteurs pour que «les questions posées ne puissent pas avoir pour but ou conséquence de faire échec» au respect du secret des sources.

Surtout, il assure que ces convocations de journalistes – à une audition libre ou en tant que témoin – portent sur «un point précis». Un employé municipal présent au moment des faits aurait assuré aux gendarmes qu'un des trois journalistes présents se serait placé entre lui et l'action, comme pour l'empêcher de voir. Le cas échéant, «il pourrait s'agir d'une complicité», poursuit le proc.

Notre confrère du Maine Libre, notre consœur de ViaLMTV Sarthe, ainsi que le directeur départemental d'Ouest-France dans la Sarthe s'exprimant au nom de son correspondant assurent de concert n'avoir rien vu ni fait de tel.

Edit le 4 avril : ajout des déclarations de Ouest-France.