Question posée sur Twitter
Alors que le mouvement des gilets jaunes perdure et avec lui la critique de la classe politique actuelle, vous avez été nombreux à nous interroger sur le profil des candidats, et notamment la représentation de la société civile. A gauche, la diversité des profils a été largement présentée comme un argument de campagne. CheckNews fait les comptes.
Peu de novices, sauf chez LREM
Nous avons étudié onze listes de candidats (sur les trente-trois finalement déposées et publiées samedi au journal officiel) en s’intéressant uniquement aux quinze premiers noms, qui sont plus souvent en situation éligible (même si la notion de «place éligible» est mouvante, puisqu’elle dépend du résultat des listes).
Les listes retenues sont celles des principaux mouvements politiques, qui avaient détaillé en avance les noms de leurs candidats.
Nous avons d’abord mesuré l’activité politique des colistiers en vérifiant s’ils s’étaient déjà présentés à une élection. La réponse est majoritairement positive. Seules la liste LREM et celle de Génération·s menée par Benoît Hamon comptent, sur les quinze premiers noms, moins de dix candidats s’étant déjà présentés à une autre élection.
A première vue, c’est le parti de la majorité présidentielle qui compte le plus grand nombre de novices en politique, avec sept personnes qui ne se sont jamais présentées à une élection, dont six qui n’ont jamais exercé de fonction politique. On retrouve par exemple à la troisième place Marie-Pierre Vedrenne qui a démissionné de son poste de directrice de la maison de l’Europe à Rennes en vue de sa candidature. Elle avait été pressentie en 2017 pour représenter La République en marche aux législatives, sans finalement être investie.
Parmi les colistiers novices des élections de LREM, on retrouve aussi deux journalistes, une ancienne navigatrice, un exploitant agricole, et une ancienne DRH. Parmi les candidats avec un mandat en cours, certains exercent aussi une profession : comme Irène Tolleret, maire de Fontanès, dans l'Hérault et conseillère départementale, qui est aussi vigneronne.
Les candidats de Lutte ouvrière et Debout La France ont de leur côté tous déjà participé à une élection, sans pour autant forcément présenter des «professionnels de la politique». Cela s’explique notamment par les faibles scores de ces partis aux élections locales et nationales, ce qui les empêche d’obtenir des mandats. A noter que la liste de Lutte Ouvrière compte cinq ouvriers parmi les quinze premiers candidats.
Afin de compléter ce premier aperçu, nous avons aussi vérifié si les candidats ont des mandats en cours. A noter que le cumul d'un mandat de député européen et celui de parlementaire ou avec un mandat exécutif local sont interdits. Le code électoral interdit le cumul d'un mandat européen avec celui de parlementaire depuis les années 2000. En 2014, une nouvelle loi étend cette interdiction aux mandats exécutifs locaux.
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Quatre têtes de listes (sur onze) sans mandat en cours
C’est donc la première fois que des candidats aux élections européennes devront choisir entre leur mandat de maire ou par exemple de vice-président(e) de région, s’ils sont élus. Parmi les têtes de listes que nous avons retenues, François-Xavier Bellamy, adjoint au maire de Versailles, candidat sur la liste LR, Jean-Christophe Lagarde candidat UDI, député de la Seine-Saint-Denis et Ian Brossat candidat PCF, adjoint à la maire de Paris sont concernés par le non-cumul.
A l’inverse, Nathalie Loiseau, sur la liste LREM, Manon Aubry pour la liste de La France insoumise, Raphaël Glucksmann pour la liste mixte Place publique et PS, et Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière n’ont pas de mandat en cours. Mais cela ne signifie pas pour autant que ces candidats sont issus de la société civile. Nathalie Loiseau, ancienne directrice de l’ENA, était jusque très récemment ministre des Affaires européennes. Fonction dont elle a démissionné fin mars pour mener la liste En marche aux Européennes. Et Nathalie Arthaud a participé à plusieurs élections présidentielles.
En toute logique, on retrouve des eurodéputés sortants parmi les quinze premiers de chaque liste. Ils sont sept chez Les Républicains et au moins cinq au Rassemblement national (les deux partis français les plus représentés actuellement au parlement). En revanche, et notamment en raison des lois sur le non-cumul des mandats, on ne compte que quatre parlementaires nationaux (Jean-Christophe Lagarde, Gilbert Collard, député du Gard, et Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne).
A noter que certains candidats cumulent un mandat national ou européen et un mandat local.
Au-delà des restrictions imposées concernant le non-cumul des mandats, la présence de candidats rompus ou non à la politique dénote de stratégies électorales différentes.
Une ouvrière à la retraite, deuxième sur la liste communiste
A gauche, le label citoyen a le vent en poupe. Tous revendiquent des listes à l'image de la société. «Il y a des gilets jaunes, des cols-bleus, des robes noires, des blouses blanches, toutes ces catégories sociales qui se lèvent depuis des mois pour exprimer leur colère. On a besoin de cette colère dans les urnes !» avait annoncé Ian Brossat au lancement de la campagne du PCF dont le slogan évocateur réclame une «Europe des gens, pas de l'argent».
Ainsi le premier député européen sortant Patrick Le Hyaric n'arrive qu'en troisième place, derrière Ian Brossat, adjoint d'Anne Hidalgo à la mairie de Paris, et Marie-Hélène Bourlard, ouvrière textile à la retraite, protagoniste de Merci patron !, le film de François Ruffin. «Marie-Hélène est sur la liste car elle représente les petites gens, elle comprend les souffrances, les difficultés. Son parcours de vie est plus crédible que tous les mots, toutes les promesses», avait indiqué à son sujet un dirigeant communiste à l'occasion d'un portrait que Libé lui avait consacré.
Parmi les quinze premiers colistiers, onze ont une activité professionnelle, parfois en plus d'un mandat. On retrouve ainsi en huitième place l'écrivaine Maryam Madjidi, prix Goncourt du premier roman pour Marx et la poupée, à la dixième place, Barbara Filhol, membre du personnel administratif d'un Ehpad et secrétaire générale du syndicat CGT des Ehpad ou encore Arthur Hay, livreur Deliveroo, à la onzième place.
Quelques figures de la société civile sur la liste insoumise
Le comité électoral de La France insoumise revendique une liste «à l'image de la société française et de l'insoumission générale à l'ordre établi qui la traverse». En tête de liste, la France insoumise a choisi une personnalité issue de la société civile avec Manon Aubry. Idem pour la cinquième place, avec Anne-Sophie Pelletier qui avait conduit au printemps 2017 une longue grève dans un Ehpad du Jura. Aussi à la dixième place figure Bernard Borgialli, conducteur de train et membre de Sud Rail, et décrit comme «leader de la grève des cheminots à Marseille», par l'Obs.
La liste comporte rassemble aussi des proches de Jean-Luc Mélenchon et les personnalités politiques. En deuxième et troisième places, on retrouve deux membres de l’équipe opérationnelle de la France Insoumise : le directeur Manuel Bompard, et Leila Chaibi. Parmi les quinze premiers colistiers, on compte deux eurodéputés sortants, et deux élues locales dont la conseillère municipale Farida Amrani, adversaire de Manuel Valls aux dernières élections législatives.
Génération·s contraint à la liste citoyenne
«Benoît Hamon, qui a longtemps rêvé d'être le porte-parole de la gauche prise en étau entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, se retrouve sans poids lourds politiques à ses côtés. Aucune figure. Aucune alliance. Il a décidé d'en faire une force en présentant une liste "citoyenne"», expliquait notre collègue Rachid Laïreche, spécialiste de la gauche, précédemment dans Libération. Sur le site de la liste, tous les candidats sont présentés par leurs métiers et leur mandat si nécessaire, même lorsqu'ils ne l'exercent plus actuellement. Ainsi Guillaume Balas, à la troisième place est présenté comme «enseignant, député européen».
Reste que dix des quinze premiers colistiers de Benoît Hamon peuvent se targuer d'exercer une activité, plutôt de cadre ou de professions supérieures, mise à part Sabrina Benmokhtar (10e), à la fois étudiante et caissière et Corinne Achériaux, infirmière en CHU (14e). A partir de la dixième place et jusqu'à la quinzième, tous les candidats ont une profession.
A l’inverse, la liste place publique menée par Raphaël Glucksmann qui a réussi à rallier le Parti socialiste comporte plus de personnalités politiques (au moins onze ont des mandats en cours et/ou des responsabilités politiques). Les candidats du mouvement place publique, issus de la société civile devraient finalement être peu nombreux parmi les quinze premiers colistiers. D’après notre décompte, seulement quatre colistiers exercent une activité.
Europe écologie-les Verts «pas là pour le symbole»
Contrairement aux autres liste de gauche, la liste d'Europe écologie-les verts n'a pas misé sur des candidats représentatifs de la société, mais sur «la maîtrise des dossiers», explique une source à Libération. «On n'est pas là pour le symbole.» De fait, on retrouve peu de personnes issues de la société civile parmi les quinze premiers colistiers, même si les profils sont variés. parmi les sept candidats qui exercent une activité professionnelle, six ont des mandats en cours ou des responsabilités politiques. Marie Toussaint, en quatrième position, présentée comme la «juriste écolo aux 2 millions de signatures», en référence à la pétition sur «l'affaire du siècle», assume aussi le rôle de déléguée à l'Europe et chargée de la jeunesse chez EELV. Seul Claude Gruffat, président de Biocoop jusqu'en mars, treizième sur la liste, n'a pas d'autres engagements, à notre connaissance. On compte six membres du bureau exécutif ou du conseil fédéral sur les quinze premiers colistiers.
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Pas de velléité citoyenne chez les républicains
Sur la liste menée par l’adjoint au maire de Versailles, François-Xavier Bellamy, seule Cristina Storoni (12e), directrice de cabinet adjoint de Christian Jacob, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale ne s’est jamais présentée à une élection. Pas vraiment issue de la société civile.
En revanche, Les Républicains ont parié sur le rajeunissement du trio de tête avec François-Xavier Bellamy, 33 ans, Agnès Evren, 48 ans, vice-présidente de la région Ile-de-France, et Arnaud Danjean, 48 ans, député européen. «Ce sont les nouveaux visages de la nouvelle droite. C'est le choix du rassemblement et du renouvellement. Ce sont des élus de conviction, une nouvelle génération engagée, qui porte des valeurs et qui incarne également les différentes sensibilités de notre famille politique», peut-on lire à leur sujet sur la page de présentation de la liste. Pour le reste, on retrouve les historiques, comme Nadine Morano ou Brice Hortefeux, respectivement à la quatrième et cinquième place, mais aussi les porte-parole du parti, Lydia Guirous (14e) et Laurence Sailliet (10e).
A l’extrême droite, un gilet jaune et un essayiste identitaire
Idem côté Rassemblement national qui mise plutôt sur une stratégie de désenclavement avec la venue des républicains Thierry Mariani et Jean-Paul Garraud. Deux candidats peuvent être classés dans la «société civile». L'essayiste Hervé Juvin (5e), adepte de la théorie du grand remplacement et proche de Marine Le Pen a rédigé le texte du manifeste européen du RN dans lequel il théorise un programme écologique identitaire. Par ailleurs, Maxette Grisoni-Pirbakas candidate surprise à la douzième place est exploitante agricole et présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) en Guadeloupe.
Nicolas Dupont-Aignan, quant à lui, a réussi convaincre le gilet jaune Benjamin Cauchy de se présenter à la neuvième place à ses côtés. La liste de Debout la France compte huit personnes en activité, même si à regarder plus près, on retrouve nombre de ses soutiens, comme la lanceuse d'alerte Stéphanie Gibaud, en deuxième place sur la liste. Florian Philippot a réussi quelques jours avant la fin du délai officiel de dépôt des candidatures pour les élections à rallier une liste gilet jaune menée par Jean-François Barnaba. Une alliance lui permettant d'estampiller la liste du nom du mouvement social commencé le 17 novembre («Ensemble patriotes et gilets jaunes : pour la France, sortons de l'Union européenne»), même si les membres de son mouvement «les patriotes» occupent les premières places.
Enfin, plusieurs listes revendiquent des candidats à l’image de la société. Par exemple, le mouvement «Evolution citoyenne», menée par le gilet jaune Christophe Chalençon est presque exclusivement composé de personnes de la société civile, et souvent novices en politique. Ou encore la liste «Démocratie représentative», menée par un militant associatif d’Aulnay-sous-Bois, Hadama Traoré.
Cordialement