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Jadot a-t-il menti en affirmant avoir organisé la marche pour Malik Oussekine ?

Ses anciens camarades s'accordent pour dire que Jadot, sans être un leader, était engagé dans le mouvement étudiant en 1986. Mais il n'a probablement pas organisé la grande marche du 10 décembre, en hommage à l'étudiant tué par des voltigeurs.
Photo issue des archives personnelles de Yannick Jadot lors de la marche en hommage à Malik Oussekine. (Photo Pierre Perrin)
publié le 7 mai 2019 à 12h54

Question posée par Matthieu le 29/04/2019

Bonjour,

Yannick Jadot, tête de liste EE-LV aux européennes a-t-il organisé, dans sa jeunesse (en décembre 1986) la manifestation en hommage à Malik Oussekine, cet étudiant tué par des policiers voltigeurs lors de manifestations étudiantes contre la loi Devaquet ?

Après la polémique visant Nathalie Loiseau, tête de liste LREM, et son appartenance à une liste étudiante d'extrême droite en 1984, EE-LV a tweeté une série de visuels montrant ce que faisaient leurs candidats quand ils avaient 20 ans. Dont l'un, donc, avec Jadot déclarant : «A 20 ans, j'organisais la marche après la mort de Malik Oussekine qui était étudiant dans la même fac que moi.»

Dans un article du Journal du dimanche sur «ce que faisaient les candidats aux européennes à 20 ans», Yannick Jadot a répété la même histoire : «J'avais été un des animateurs du mouvement étudiant contre la loi Devaquet, en 1986. J'ai aussi organisé la marche d'hommage à Malik Oussekine, tué par les violences policières pendant ces manifestations.»

L'anecdote figurait également en bonne place dans des portraits écrits par l'Express ou l'AFP, au moment où celui-ci s'était déclaré candidat à l'élection présidentielle de 2017 (avant de rejoindre Benoît Hamon). Mais aussi sur le site de EE-LV, dans la biographie de Jadot.

L'histoire vaut désormais à Jadot des critiques sur le rôle réel qu'il a joué à l'époque. Le responsable d'EELV a d'abord été accusé par son ancien allié, Sergio Coronado, désormais passé chez la France insoumise, d'instrumentaliser le drame, mais aussi d'exagérer son rôle dans cette manifestation.  «Personne pour dire à Jadot d'arrêter de se servir de Malik Oussekine. Non seulement personne ne se souvient de lui en leader étudiant, mais utiliser Malik est juste immonde !» a tweeté l'ex de EE-LV.

Joël Carreiras, secrétaire général de l’Unef en 1986-1987 et aujourd’hui conseiller municipal d’opposition PS à Toulouse, a publié un message disant sensiblement la même chose :

Et LREM, dont Jadot souhaitait pourtant se moquer à l'origine, a bondi sur l'occasion pour contre-attaquer et dénoncer l'«invention d'un passé glorieux». 

Jadot ne revendique pas d’avoir été «leader» du mouvement

Si invention il y a, elle ne date pas de la campagne. Jadot évoquait déjà l'épisode dans son livre Entrons en dissidence, publié en 2014. Page 35, on peut ainsi lire : «Lorsqu'on retrouve le corps de Malik, il porte sur lui une carte de Paris Dauphine Sports, le club sportif de ma fac. Philippe Darriulat, patron de l'UNEF-ID m'appelle tôt le matin : "Malik était de chez vous, il faut organiser la manif, c'est à vous de jouer." Dans ma chambre de bonne, je trace le parcours du défilé qui doit passer devant l'hôpital Cochin où repose son corps. Nous sommes un million dans la rue.»

Contacté par CheckNews, la tête de liste EE-LV, qui n'était pas alors membre de l'Unef, confirme : «C'est un épisode que j'ai vécu à 20 ans qui m'a beaucoup marqué. Je n'en tire pas plus de gloire que ça mais c'est factuellement vrai.» Au téléphone, il nous raconte la même chose que dans son livre. Il se serait seulement occupé du tracé de la marche, après le coup de téléphone de Darriulat. «Je n'ai jamais prétendu être un leader. On me demande de faire le tracé, je l'ai fait. Les animateurs de la campagne de Dauphine se sont retrouvés en tête de cortège.»

Parole contre parole ? CheckNews a essayé de retrouver un maximum de témoins, à même de raconter ces événements datant de plus de trente ans.

Du côté de l'Unef-ID, personne ne se souvient d'avoir connu Jadot à l'époque. Philippe Campinchi, président de l'Unef-ID de 1991 à 1994, n'a aucun souvenir des faits rapportés par l'écologiste aujourd'hui : «Le tracé c'est moi qui l'ai négocié avec la préfecture. Mais je ne peux ni confirmer ni démentir le rôle de Jadot en 1986. Je ne savais même pas qu'il avait été à Dauphine.»

Sylvia Zappi, aujourd'hui journaliste au Monde, à l'époque membre du bureau de la coordination du mouvement de grève nationale des étudiants en 1986, se montre, elle aussi, perplexe : «Il n'était pas dans la coordination, ni dans le bureau du mouvement. Il n'était pas non plus organisateur du cortège. Il n'avait aucun rôle au niveau national, alors l'entendre dire qu'il a organisé cette marche…» Est-il possible, selon elle, qu'il se soit au moins occupé du tracé de cette marche, la dernière grande marche de ce mouvement de grève des étudiants ? Non plus selon Zappi. «C'est le bureau de la coordination, dont il ne faisait pas partie, qui avait négocié avec la préfecture de police de Paris pour l'organisation de cette marche. Par ailleurs, avec toutes les violences qu'il y avait eues, il est difficile d'imaginer qu'on ait laissé quelqu'un sans aucune expérience s'occuper du tracé de cette manifestation.»

A CheckNews, Jadot répète n’avoir jamais négocié aucun parcours avec la préfecture, mais s’être simplement occupé du tracé de manière un peu informelle.

Sollicité, Philippe Darriulat, censé lui avoir téléphoné, ne se souvient pas de cet épisode, sans en tirer aucune conclusion : «Je ne savais même pas que Yannick Jadot était dans le coup, mais je ne peux pas vous dire que c'est faux. J'essayais de joindre tout le monde, il est possible que j'ai appelé quelqu'un à Dauphine et que je sois tombé sur Jadot mais je ne le connaissais pas à l'époque. Ce n'est pas parce que je ne m'en souviens pas que c'est faux.»

Le criminologue Alain Bauer était lui aussi à l'Unef-ID à cette époque. Au moment de la mort de Malik Oussekine, il s'est occupé du service d'ordre des manifestations. «Le tracé s'est fait à la préfecture, qui ne reconnaissait que les organisations syndicales. Il y avait donc les deux Unef, la CGT, la CFDT, FO et le syndicat lycéen. On ne peut pas dire qu'une seule personne ait fait le tracé. Pour déclarer les manifs, et ça se passe encore comme ça, chacun vient avec son projet, la préfecture avec son contre-projet, et on discute, on négocie.»

Sans avoir de souvenir précis de Jadot, il poursuit : «Que Yannick Jadot ait proposé un tracé et qu'il ait participé à des réunions, c'est possible. Il y avait des dizaines de personne et chacune avait son idée. Il y avait un monde fou, mais à la fin tout se décidait dans le bureau de la préfecture. Tout le monde voulait être là, donc qu'il ait discuté, pourquoi pas.»

Confusion sur la date de la marche

Cette polémique de campagne repose probablement sur une confusion de dates. L'ensemble de nos interlocuteurs, à l'évocation de «la marche» en hommage à Malik Oussekine, parlent de celle qui a eu lieu le 10 décembre 1986, le jour des obsèques du jeune homme, et qui est restée dans les mémoires. Mais il y avait déjà eu deux autres marches après sa mort : le 6, jour de son décès, et le 8 décembre. De quoi brouiller les souvenirs ?

Il a semblé à CheckNews, lors des échanges avec Yannick Jadot lui-même, qu'il confondait par moments les deux marches du 6 et du 10 décembre. Dans son livre de 2014, certains éléments («nous sommes un million dans la rue») renvoient forcément à la marche du 10 décembre, qui rassemble 250 000 personnes à Paris selon Libération du 11 décembre 1986 et a eu lieu dans plusieurs villes françaises. Mais d'autres éléments de son récit («les animateurs de la campagne de Dauphine se sont retrouvés en tête de cortège») laissent à penser qu'il parle d'une autre marche. Celle du 6 décembre (qui avait mobilisé quelques dizaines de milliers de personnes à Paris, loin du raz de marée du 10). Pour laquelle les étudiants de Dauphine (qui croyaient alors qu'Oussekine venait de leur fac), avaient joué un rôle important, se retrouvant en effet en tête du cortège, selon les souvenirs de plusieurs camarades de Jadot à l'époque.

«Avec Yannick et d'autres, on avait créé une association, "La Déferlante", à l'université. Quand la mort de Malik a eu lieu, on a demandé à être en tête du cortège, symboliquement, pour l'honorer, parce que c'était sa fac», raconte ainsi à CheckNews Emmanuel Faux, membre du bureau national de coordination du mouvement de grève des étudiants.

Faux évoque clairement ici la marche du 6 décembre, qu'il loupera, car convoqué au ministère de l'Intérieur avec Harlem Désir, déjà président de SOS Racisme.

Baptiste Venet, qui était aussi engagé à Dauphine à l'époque, livre un récit conforme : «Pendant tout le mouvement de novembre-décembre 86, on s'est retrouvés à une petite quinzaine à essayer de faire bouger les choses à Dauphine, en dehors des syndicats. Après la mort de Malik Oussekine, en accord avec la coordination étudiante, on a monté une marche le jour même. On était en tête de cortège et on portait une cible sur la poitrine.»

Plusieurs photos transmises à CheckNews par l’équipe de Jadot, dont le cliché en tête de cet article, montrent un jeune Jadot à cette marche en hommage à Malik Oussekine. On y retrouve les cibles évoquées par Baptiste Venet. Les clichés, selon toute vraisemblance, sont datés du 6 décembre.

«Hommage appelé par les étudiants de Dauphine», selon «Libé» à l’époque

Le rôle des étudiants de Dauphine dans cette marche du 6 est avéré par Libé. Qui écrit au lendemain de ce premier hommage«Regards tristes ou durs, poings serrés au fond des poches, trente mille personnes se dirigent vers l'hôpital Cochin, terme officiel de l'hommage appelé par les étudiants de Dauphine.» Dans les jours qui suivent, les références aux étudiants de Dauphine se font nettement plus rares. Il n'en est plus question pour la marche du 10 décembre.

Lors de ce grand hommage, qui se tient le jour des obsèques de Malik Oussekine, la coordination nationale, puis les lycéens, puis les syndicats défilent, dans cet ordre. Il y a bien des centaines de milliers de personnes. Mais à la différence de la marche du 6, les étudiants de Dauphine n’étaient pas au premier rang.

Si les étudiants engagés de Dauphine ont joué un rôle pour la marche du 6, Jadot a-t-il pu en organiser le tracé ? Emmanuel Faux n'a aucun souvenir précis que Yannick Jadot ait pu s'occuper du parcours de cette marche. «C'est un cortège qui devait passer par l'hôpital Cochin. Il n'y avait pas de tracé particulier. Ça s'est fait en accord avec la famille, mais je ne me souviens pas de discussions sur le tracé.» Le comparse Baptiste Venet se souvient d'un travail collectif : «On a organisé la marche du 6 décembre à plusieurs.»

Une poignée d’étudiants engagés à Dauphine

Ce qui est, en revanche, raconté par l'ensemble des témoins, c'est que Jadot était, à la petite échelle d'une fac (Dauphine) peu mobilisée, un des étudiants actifs, même s'il ne tenait aucun rôle de leader. Un autre de ses anciens amis, Guillaume Otzenberger, raconte : «Dauphine était une fac de non grévistes. Avec Emmanuel Faux et Jadot, au sein de notre association, La Déferlante, on essayait de foutre un peu le bordelYannick était particulièrement actif.»

Il existe quelques traces audiovisuelles de cette activité. Les étudiants de Dauphine avaient été invités pour témoigner, le 6 décembre par TF1, dans l'émission Droit de réponse consacrée aux violences policières. CheckNews a visionné des passages de l'émission. On y aperçoit Jadot, qui reste silencieux pendant toute l'émission. C'est Emmanuel Faux qui prend la parole au nom de la petite troupe.

Faux était alors le leader de la bande. Jean-Christophe Ulmer, délégué Unef-ID de Dauphine à l'époque s'en souvient : «Jadot était un suiveur. Il suivait Emmanuel Faux. Il était derrière, c'était un nobody à l'époque.» Otzenberger confirme, avec plus de rondeur : «On ne va pas dire que c'était un haut gradé, mais au moment de la manif c'était celui qui s'est le plus bougé le cul. C'est pas complètement faux que personne ne le connaissait à l'époque à l'Unef, mais je pense qu'il s'est vraiment super impliqué.»

Jadot, lui, insiste : «Ce drame est à l'origine de mon engagement en politique.»

Au regard des témoignages recueillis par CheckNews, il semble très improbable, comme l'intéressé le suggère dans son livre, que Yannick Jadot ait «organisé» la marche du 10 décembre. Il apparaît plus plausible que la tête de liste EE-LV se soit retrouvée à organiser, avec certains étudiants de la faculté de Dauphine, une autre manifestation, celle du 6 décembre. Même si plus personne, parmi ses camarades de l'époque, n'a de souvenir précis du rôle que joua Jadot, alors.

Mise à jour du 9 mai à 10h : corrections des titres, à l'époque, de Philippe Campinchi et Harlem Désir.