Question posée par Quentin S le 12/05/2019
Bonjour,
Votre question fait référence aux déclarations de plusieurs responsables ou militants de La France insoumise (LFI), qui dénoncent une répartition défavorable pour leur mouvement du «temps de parole accordé aux listes pour les européennes». C'est le cas par exemple de la candidate Pascale Le Néouannic, ou de la tête de liste Manon Aubry (citée par Jean-Luc Mélenchon), qui ont tweeté des valeurs exprimées en minutes.
La voilà la démocratie #macronienne, temps de parole accordé aux listes pour les #Européennes2019 ( min)
— Pln (@leneouannic) May 11, 2019
Tout cela issu d'une loi, passée en douce par En Marche.😱😡
- 55 #LREM
- 48 #RN
- 38 #LR
- 19 #PS
- 18 #FI
- 14 #EELV
- 10 #UDI
- 8 #DLF
- 7 #PCF
- 4 #Gén
- 3 pour les autres
"Sur les antennes officielles de France Télévision, nous avons seulement 19 minutes de temps de parole. Et combien ont #LREM et le #RN ? #LREM a 56 minutes et le #RN 48 minutes. Le duel se transforme en duo organisé !" @ManonAubryFr #MaintenantLePeuple https://t.co/z946poAnUW pic.twitter.com/PEqP1AM7RK
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 11, 2019
Il ne s’agit pas de temps de parole
Attention, ces valeurs ne correspondent pas au temps de parole des candidats et de leurs soutiens, comme certains tweetent le suggèrent. Il s'agit de la durée de diffusion pour les spots officiels de campagne. Des clips qui, de l'avis général (c'est la position par exemple du Conseil d'Etat), pèsent peu dans les scrutins.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a accordé il y a trois jours à chaque liste un temps d'antenne sur les chaînes et radio publiques pour diffuser leurs spots de campagne, en se basant sur les nouvelles règles. Comme l'expliquait CheckNews en janvier 2018, une réforme a en effet modifié les règles. Au moment de sa discussion, la réforme avait déjà suscité la polémique, parfois à tort, en raison du traitement préférentiel qu'elle était censée assurer à LREM, au détriment d'autres partis, dont la France insoumise.
En 2014, moins de trois minutes pour le FN
Avant la réforme, deux heures d'antenne étaient attribuées de façon égale aux groupes constitués à l'Assemblée ou au Sénat. Ceux qui ne disposaient d'aucun groupe devaient en revanche se répartir une heure, «sans que chacun d'entre eux puisse disposer de plus de cinq minutes».
Résultat : aux dernières européennes, en 2014, les six partis qui possédaient des groupes parlementaires (Europe Ecologie, Front de gauche, Parti radical de gauche, Parti socialiste, UDI et UMP) disposaient de vingt minutes chacun. Tandis que les 21 autres partis et groupements (dont le FN et Debout la République) avaient droit à deux minutes et cinquante-deux secondes chacun.
Une «heure et demie de correction»
Le nouveau texte, notamment motivé par une décision du Conseil constitutionnel, avait pour objectif de donner plus de poids aux partis ayant peu de poids parlementaire… La réforme a ainsi divisé en trois fractions le temps d'antenne accordé pour les campagnes audiovisuelles :
- Première fraction: tous les partis présentant des listes ont droit à trois minutes d'émission chacun.
- Deuxième fraction: deux heures sont réparties entre les listes au prorata «du nombre de députés, de sénateurs et de représentants français au Parlement européen ayant déclaré les soutenir». Prime donc aux partis ayant le plus d'élus à Paris et à Strasbourg.
- Troisième fraction: pour ne pas léser les partis ayant une faible représentation parlementaire mais ayant du poids dans le débat démocratique, le CSA peut répartir une dernière heure et demie dite de «correction» entre toutes les listes enregistrées. Cette répartition tient compte de plusieurs critères comme les «résultats obtenus aux Européennes de 2014, à l'élection présidentielle et aux élections législatives de 2017, des indications de sondages […], du nombre de conseillers régionaux et départementaux, et la contribution de chacune des listes de candidats et des partis et groupements politiques qui les soutiennent à l'animation du débat électoral», précise le texte.
En janvier 2018, au moment de la polémique sur ce projet de réforme, plusieurs médias avaient sorti la calculette pour estimer qui seraient les grands gagnants et les grands perdants de cette réforme. À l'époque, les observateurs jugeaient que le FN et LFI seraient les grands perdants. Problème: le texte présenté à l'époque n'était pas celui qui est depuis entré en vigueur. Surtout, en plus des règles liées au nombre d'élus au Parlement, il n'était pas possible à l'époque de savoir comment le CSA répartissait les 90 minutes de correction.
Qui perd ? Qui gagne ?
On connaît désormais la répartition exacte du temps de spots de campagne pour chaque liste aux européennes. Alors qui perd et qui gagne par rapport à 2014 et l'ancien texte ? La comparaison est difficile pour deux raisons. La première est que la réforme augmente le temps d'antenne global, qui passe de trois heures en 2014 (pour 27 listes) à presque 5 heures (pour 34 listes) en 2019. La deuxième est que les listes apparaissent, disparaissent ou se scindent.
La liste portée par LREM et ses alliés (Modem, Agir) disposera de cinquante-cinq minutes et cinquante-trois secondes de clips de campagne (trois minutes de «socle» auxquelles s'ajoutent cinquante-deux minutes compte tenu du nombre d'élus soutenant la liste et 33 secondes de correction) pour ces élections de 2019. Mais il est difficile de comparer avec 2014 puisque le parti n'existait évidemment pas. On peut toutefois estimer qu'avec l'ancien texte, la liste LREM, aurait bénéficié d'un temps de parole équivalent, voire légèrement supérieur. La liste est en effet portée par trois partis qui disposent de groupes parlementaires distincts à l'assemblée ou au Sénat : LREM, le Modem et Agir (qui dispose d'un groupe au sénat). A ce titre, la liste aurait pu avoir droit à soixante minutes de temps d'antenne cumulé (trois fois vingt minutes).
Parti de gauche et PCF
Pour LFI, même difficulté. En 2014, c'est le Front de gauche (réunissant PCF et Parti de gauche), qui porte la liste aux européennes en disposant de vingt minutes pour ses spots. Aujourd'hui, LFI et le PCF font liste à part.
La France insoumise dispose à elle seule de dix-huit minutes et trente-sept secondes cette année, selon la répartition décidée par le CSA. Le PCF, lui, dispose de sept minutes et quarante secondes. Au total, et en valeur absolue, les deux listes de la gauche de la gauche disposent donc d'un temps d'antenne plus important qu'en 2014. Le temps d'antenne officielle pour les deux partis (un peu plus de vingt-six minutes), représente environ la moitié de celui de la majorité. Une situation… pas si différente de celle de 2014, où le PS et ses alliés du Parti radical de gauche (qui portaient ensemble les listes «Choisir notre Europe») disposaient à eux deux de quarante minutes, soit le double du Front de gauche.
Plus de quarante-huit minutes pour le RN
Un parti peut toutefois se féliciter du nouveau texte sans réserve : le Rassemblement national. En 2014, le Front national, qui ne disposait pas d'un groupe parlementaire, n'avait droit qu'à deux minutes et cinquante-deux secondes lors de la campagne européenne. Cette année, la liste soutenue par Marine Le Pen disposera d'un peu plus de quarante-huit minutes pour diffuser ses spots de campagne à la télé et la radio publique. Un temps multiplié par 16, et qui est surtout très proche de celui de la majorité.
Pourquoi le RN dispose-t-il d'un tel temps de diffusion ? Le CSA lui a accordé pas moins de quarante-deux minutes de la fameuse «heure et demie de correction», répartie notamment en fonction des résultats des dernières élections et des sondages d'opinion. Le deuxième parti qui a le plus bénéficié de cette correction ? La France insoumise (mais dans une bien moindre proportion), avec douze minutes et quarante-trois secondes.
Europe Écologie
Derrière le RN, c'est le parti Les Républicains qui a le plus bénéficié de la réforme. Il s'est vu accorder trente-huit minutes et vingt secondes de temps d'antenne pour sa campagne publicitaire par le CSA, là où l'UMP ne disposait que de vingt minutes en 2014.
Un parti comme Debout la France gagne aussi en visibilité. Le parti passe ainsi de moins de trois minutes en 2014 à un peu plus de huit minutes cette année.
Le PS, lui, reste globalement stable (dix-neuf minutes et quarante-trois secondes en 2019, contre vingt minutes en 2014, même si ses listes disposaient de quarante minutes de temps d'antenne grâce au PRG). Idem pour une grande partie des listes, comme le Parti pirate ou la liste royaliste, qui passent de deux minutes cinquante-deux secondes à un peu plus de trois minutes.
Comme le temps d'antenne a globalement augmenté, les partis qui ont perdu du temps d'antenne sont plus rares. Parmi eux, on retrouve par exemple Europe Ecologie-les Verts, qui disposait de vingt minutes en 2014 contre moins de quinze minutes en 2019.
Cordialement