Question posée par Jean-Charles le 02/07/2019
Bonjour,
Vous nous avez posé la question suivante : «Est-il vrai que Frantz Fanon a été déchu de la nationalité française pour avoir choisi le camp des colonisés algériens ?»
Frantz Fanon, né à Fort-de-France le 20 juillet 1925 et mort le 6 décembre 1961 à Washington, aux Etats-Unis, était psychiatre, essayiste et militant anti-colonialiste. Il est connu pour ses œuvres traitant du racisme et du colonialisme, notamment Peau noire, masques blancs (1954) et Les damnés de la terre (1961).
Raoul Peck, réalisateur haïtien, prépare actuellement un long métrage sur cette figure de l'anticolonialisme. Un casting a d'ailleurs été lancé.
Le site Une autre histoire écrivait, dans sa page consacrée au psychiatre : «Frantz Fanon, déchu de la nationalité française, est enterré en Algérie.» Après avoir été contacté cette semaine par CheckNews, le site a modifié la page.
Selon son fils, Olivier Fanon, Frantz Fanon n'a jamais été déchu de sa nationalité par l'Etat français. «Il s'est auto-déchu de facto de manière symbolique en rejoignant le camp du FLN. Ce n'est pas une déchéance au sens juridique du terme», explique-t-il à CheckNews.
Sa lettre de démission de l'hôpital de Blida, où il exerçait comme psychiatre, adressée en 1956 à Robert Lacoste, alors gouverneur de l'Algérie, lui vaut par ailleurs un arrêté d'expulsion du territoire algérien, daté de 1957. Cette lettre, dans laquelle il critique vivement la colonisation française en Algérie, est disponible intégralement dans son recueil d'essais Pour la révolution africaine, dont voici un extrait : «Mais que sont l'enthousiasme et le souci de l'homme si journellement la réalité est tissée de mensonges, de lâchetés, du mépris de l'homme. Que sont les intentions si leur incarnation est rendue impossible par l'indigence du cœur, la stérilité de l'esprit, la haine des autochtones de ce pays ? La Folie est l'un des moyens qu'a l'homme de perdre sa liberté. Et je puis dire que placé à cette intersection, j'ai mesuré avec effroi l'ampleur de l'aliénation des habitants de ce pays. Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l'homme de ne plus se sentir étranger à son environnement, je me dois d'affirmer que l'Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue.»
Sentiment algérien
De fait, Fanon se considérait comme un citoyen algérien. Dans la préface de L'an V de la Révolution algérienne, il écrit : «Ce que nous, Algériens, voulons», «notre combat», «notre cause», ou encore «notre Révolution», pour parler de la guerre d'indépendance algérienne.
Engagé aux côtés du Front de Libération Nationale (FLN), il a été représentant du gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) et a écrit dans les organes de presse du FLN, Résistance algérienne puis El Moudjahid.
L'historien David Macey, dans sa biographie Frantz Fanon, une vie, écrit que le nationalisme algérien de Fanon «est un nationalisme de la volonté politique d'être algérien. […] Il était algérien parce qu'il se voulait algérien».
Pour autant, nous n’avons pas trouvé trace d’une déclaration publique de Fanon où il exprimerait son rejet de la nationalité française. La journaliste et écrivaine Elaine Mokhtefi, qui a côtoyé Fanon entre 1958 et sa mort en 1961 n’a pas non plus le souvenir d’une quelconque discussion avec Fanon sur sa nationalité française.
Autres nationalités ?
D'après l'historien Jean Khalfa, «Fanon a voyagé avec un passeport libyen sous le nom d'Omar Ibrahim Fanon à partir du 10 septembre 1958 en tant que représentant du GPRA». Information confirmée par son fils Olivier Fanon.
Ce passeport, remis par le consulat du Royaume de Libye à Tunis, en 1958, est aujourd’hui conservé à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, près de Caen.
Décédé en 1961, Fanon n’a jamais obtenu la nationalité algérienne, créée après l’indépendance par la loi du 27 mars 1963 portant code de la nationalité algérienne. D’après son fils, Fanon est mort français. Il est enterré à Aïn Kerma, en Algérie, conformément à ses dernières volontés.