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Non, l'ONU n'a pas classé la France au même niveau que le Zimbabwe concernant les violences policières

Depuis le mois de mars, une fausse information sur une supposée dégringolade de la France dans un classement de l'ONU sur les violences policières circule régulièrement. C'est en réalité une interprétation erronée d'un discours de la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme.
Un manifestant à terre lors d'affrontements avec la police le 20 avril 2019 à Paris. (Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP)
publié le 29 juillet 2019 à 15h58

Question posée le 29/07/2019

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question, qui était : «Est-il vrai que la France a dégringolé au niveau du Zimbabwe en termes de violence d'Etat selon un classement de l'ONU ?»

Le 6 mars, Le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) présentait son rapport annuel devant le conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève, en Suisse. Michelle Bachelet, haute-commissaire du HCDH, a prononcé un discours à cette occasion. L'intégralité de cette déclaration est disponible ici, en anglais.

C'est sur ce discours que s'appuie Blandine Lavignon, directrice de la rubrique culture du média d'opinion le Vent se lève, proche des gilets jaunes, pour tweeter le 6 mars :

Elle précise : «J'emploie le mot "classement" parce qu'il s'agit d'un ordre de citation dans le discours, et qu'il a son importance.»

Mais le 10 mars, le site gabonais le Courrier des journalistes publie un article intitulé : «L'ONU classe la France au même rang que le Soudan et le Zimbabwe sur les violences policières.» Il reprend un article également publié le 10 mars sur le site internet camerounais «Coups Francs». L'article en question y est toujours accessible mais il a été supprimé du site le Courrier des journalistes.

Le 27 mars, Priscillia Ludosky, figure des gilets jaunes, partage l’article sur son compte Twitter :

L'information refait régulièrement surface sur le réseau social de manière aléatoire jusqu'à mercredi et le tweet partagé plus de 1 000 fois de la journaliste Aude Lancelin, qui cite elle aussi l'article du Courrier des journalistes :

Pas de classement

En fait, il n'existe pas de classement de l'ONU concernant les violences policières. Il s'agit d'une mauvaise interprétation du discours de Michelle Bachelet, mentionné plus haut. Elle évoque dans ce discours les cas de répression policière et demande à la France d'enquêter sur d'éventuels recours excessifs à la force lors de manifestations des gilets jaunes. Elle liste dans son discours plusieurs pays, dont la France, entre le Soudan, le Zimbabwe et Haïti, mais la haute-secrétaire ne dit jamais qu'il s'agit là d'un classement. L'AFP notait ainsi : «Elle n'a toutefois cité que la France comme pays prospère.» Le rapport annuel 2018 du HCDH ne fait lui non plus jamais état d'un classement des pays en fonction des violences policières.

Voici un extrait de son discours, traduit en français :

«Les inégalités touchent tous les pays. Même dans les Etats prospères, les gens se sentent exclus des avantages du développement et privés de droits économiques et sociaux, ce qui entraîne aliénation, troubles et parfois même violences. Au cours des derniers mois, nous avons vu des personnes du monde entier descendre dans la rue pour protester contre les inégalités et la dégradation des conditions économiques et sociales. Leurs revendications appellent à un dialogue respectueux et à une véritable réforme. Et pourtant, dans plusieurs cas, ils sont confrontés à un recours violent et excessif à la force ; détentions arbitraires ; torture ; et même de présumés assassinats sommaires ou extrajudiciaires.

«Au Soudan, au cours des derniers mois, des manifestants qui protestaient contre les conditions économiques difficiles et la mauvaise gouvernance des forces de sécurité ont été dispersés violemment par les forces de sécurité qui utilisaient parfois des munitions réelles. Le recours excessif à la force, y compris dans les hôpitaux, les mosquées et les universités ; détention arbitraire ; torture ; et la déclaration de l’état d’urgence n’aura aucun effet sur les griefs sous-jacents très réels que les manifestants cherchent à exprimer. Nous encourageons des réformes rapides et constructives pour lutter contre la corruption, ouvrir l’espace civique et permettre un dialogue inclusif et une plus grande participation de la population à la prise de décision.

«Au Zimbabwe, les manifestations contre les mesures d’austérité se sont également heurtées à une violence inacceptable de la part des forces de sécurité. Les efforts du gouvernement pour lancer un processus de dialogue ces derniers jours sont encourageants, mais je m’inquiète des informations faisant état de fouilles des maisons, ainsi que d’actes d’intimidation et de harcèlement de militants, de défenseurs des droits de l’homme et d’avocats représentant les personnes arrêtées.

«En Haïti, des manifestations ont également éclaté le mois dernier contre la hausse des prix des produits alimentaires et la corruption. Au moins 41 personnes ont été tuées et 100 blessées. Le gouvernement a annoncé des mesures pour réduire la hausse des prix, augmenter les salaires et lutter contre la corruption. S’assurer que les responsabilités soient établies – y compris dans les cas présumés d’utilisation excessive de la force par la police – et un dialogue constructif seront également essentiels.

«En France, les gilets jaunes ont protesté contre ce qu’ils considèrent comme une exclusion des droits économiques et une participation à la vie publique. Nous encourageons le gouvernement à poursuivre le dialogue – y compris le suivi des discussions nationales en cours – et à engager une enquête approfondie sur tous les cas signalés de recours excessif à la force.»

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avait alors répondu à la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme sur Twitter.

De nombreux médias avaient à l'époque rapporté cette nouvelle, reprenant l'AFP et titrant «L'ONU réclame une enquête sur "l'usage excessif de la force"».