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Caster Semenya interdite de Mondiaux : est-elle discriminée et toutes les athlètes sont-elles contrôlées ?

L'athlète sud-africaine Caster Semenya ne pourra pas disputer les mondiaux d'athlétisme 2019. D'après le règlement de la fédération internationale d'athlétisme, la coureuse, qui produit naturellement de grandes quantités de testostérone, ne peut concourir avec les femmes qu'à condition de suivre un traitement.
Caster Semenya remporte la médaille d'or du 800 mètres féminin lors de la Diamond League à Doha, au Qatar, le 3 mai. (Photo Kamran Jebreili. AP)
publié le 5 août 2019 à 7h43

Question posée par Marchand le 30/07/2019

Bonjour,

L'hyperandrogénie désigne, chez une femme, un taux élevé d'hormones mâles. Caster Semenya, athlète sud-africaine, triple championne du monde et double championne olympique dans sa discipline du 800 mètres, en est atteinte. C'est la raison pour laquelle, depuis le début de sa carrière, et comme le relate cet article de Libération, ses performances font régulièrement polémique. Cette fois, son hyperandrogénie lui vaut d'être privée des mondiaux d'athlétisme, qui auront lieu à Doha au Qatar, du 28 septembre au 6 octobre prochains.

En cause, un règlement de l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF), publié le 23 avril 2018 mais entré en vigueur seulement le 8 mai 2019. Ce «règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine pour les athlètes présentant des différences de développement sexuel (DSD) pour les compétitions internationales», aussi appelé «règlement DSD», s'appuie notamment sur une étude qui affirme qu'un taux élevé de testostérone améliore significativement les performances sportives dans certaines disciplines.

Il énonce qu'une athlète présentant «un taux de testostérone sanguin supérieur ou égal à 5 nmol/L» ne peut s'aligner au départ de la course, à moins de suivre un traitement, pendant au moins six mois et de manière ininterrompue, pour faire chuter son taux de testostérone sous cette limite. Les épreuves concernées sont «les courses de 400 mètres, 400 mètres haies, 800 mètres, 1 500 mètres, [le] mile en course individuelle, en relais ou en épreuve combinée». Autrement dit, les distances dont est spécialiste Semenya.

Pourquoi ne peut-elle pas concourir à Doha ?

Pour faire invalider ce règlement et éviter sa mise en vigueur, Caster Semenya, qui refuse de suivre un traitement pour faire baisser son taux de testostérone, a déposé une requête d'arbitrage le 18 juin 2018 devant le Tribunal du Sport (TAS), institution internationale basée à Lausanne en Suisse, et qui dépend donc du droit suisse. Si sa demande a été déboutée le 30 avril 2019, le TAS a cependant mis en garde l'IAAF. Sans invalider le règlement mis en cause, il fait part de ses préoccupations quant à l'application dudit règlement, qu'il a reconnu comme une «discrimination» nécessaire à la bonne tenue des épreuves d'athlétisme féminin. Semenya a fait appel de la décision du TAS.

Dans l'intervalle, l'athlète a également déposé un recours au civil devant le Tribunal fédéral suisse le 28 mai 2019 «en vue d'obtenir l'annulation de la sentence du 30 avril 2019» du TAS. Le 31 mai, le tribunal a suspendu de manière «super-provisoire», et seulement pour elle, ce règlement en attendant de statuer sur le fond de l'affaire. Suspension finalement levée le 29 juillet par ce même tribunal, qui a jugé son recours «infondé».

Semenya est-elle la seule concernée ?

Toutes les athlètes féminines qui veulent concourir dans les disciplines de l’athlétisme au niveau international doivent désormais se plier à un test pour définir leur taux de testostérone. A ne pas confondre avec les tests dits «de féminité» qui, jusqu’en 1992 étaient systématiques puis ont été pratiqués ponctuellement, en cas de «suspicion». Caster Semenya en avait ainsi subi un en 2009. Ces derniers ont aussi été pratiqués, dans toutes les disciplines, jusqu’aux Jeux olympiques de Sydney, en 2000.

Mais l'association internationale se défend de viser Caster Semenya personnellement avec les tests de testostérone : «Certains commentateurs ont insinué que le règlement était (et a toujours été) destiné à un athlète en particulier. Ce n'est pas vrai. L'IAAF est tenue à une confidentialité stricte et ne peut donc pas - et ne veut pas - divulguer le nombre d'autres athlètes concernées [par un taux de testostérone élevé] ou l'identité de ces dernières.» Elle ajoute : «Caster Semenya n'est pas du tout la seule a avoir subi ce test. Mais nous n'annonçons rien à ce sujet pour des raisons de confidentialité.»

Dutee Chand, athlète indienne spécialiste du 100 et 200 mètres, avait elle aussi été exclue des pistes en 2014 pour un taux de testostérone naturellement trop élevé. Le TAS l'a cependant autorisée à concourir à nouveau en 2015. Si elle n'est pas concernée par le «règlement DSD» puisqu'il ne vise pas les courses de 100 et 200 mètres, elle a néanmoins apporté son soutien à Semenya.

Ce règlement est-il discriminant ?

Bernard Amsalem, membre du conseil de l'IAAF, s'est opposé au règlement en question. «Je pense qu'il s'agit d'une injustice par rapport au genre. L'étude sur laquelle s'appuie ce règlement a été présentée de manière détaillée mais je n'ai pas pu la consulter. On nous a expliqué qu'il existe aussi une disproportion chez les hommes, donc je ne comprends pas pourquoi ce règlement ne s'applique qu'aux femmes. Quand j'ai posé la question, on m'a répondu que les effets chez les femmes et les hommes étaient différents. Aussi, il n'existe aucune étude sur les éventuels effets secondaires qu'entraînerait la prise d'un traitement pour faire baisser le taux de testostérone». A quoi l'IAAF rétorque sur son site : «Ils ne sont pas différents de ceux qui affectent les milliers voire millions de femmes non hyperandrogènes qui prennent la pilule.»

En ce qui concerne les accusations de discrimination envers Caster Semenya, l'IAAF a répondu à CheckNews : «Comme l'a constaté le Tribunal arbitral du sport, le règlement DSD est discriminatoire, mais une telle discrimination est légale si elle constitue un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné pour atteindre l'objectif légitime consistant à garantir une compétition loyale en athlétisme féminin

Cordialement.