Question posée par Quentin le 28/08/2019
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question, qui était à l'origine : «Le 28 août 2019, Christophe Castaner affirme sur BFM TV que Zineb Redouane est décédée des suites d'un choc opératoire, disculpant ainsi les forces de l'ordre ayant lancé la grenade. Cette déclaration est-elle vraie ? La cause du décès a-t-elle été identifiée ?»
Le 1er décembre 2018, Zineb Redouane, 80 ans, ferme les volets de son appartement du 1er arrondissement de Marseille, rue des Feuillants dans le quartier de Noailles, à l'angle de La Canebière. Sous ses fenêtres au même moment, et le long de la Canebière, des affrontements ont lieu entre les forces de l'ordre et des manifestants descendus dans la rue à l'appel notamment des gilets jaunes et du Collectif du 5 novembre. S'ils ne portaient pas les mêmes revendications, les cortèges se sont retrouvés devant la mairie de Marseille, où des heurts ont éclaté avec la police, qui se sont ensuite poursuivis sur le Vieux-Port puis sur la Canebière en début de soirée. Pour éviter que les fumées des lacrymogènes ne rentrent dans son appartement du quatrième étage, Zineb Redouane clôt ses volets ; elle reçoit alors au visage une grenade tirée par les forces de l'ordre. Elle meurt le lendemain, à 22 h 20, sur une table d'opération de l'hôpital de la Conception.
Le ministre n’a pas accès à l’enquête
Ce mercredi 28 août, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, était l'invité de Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM TV. Le journaliste a posé la question de l'avancée de l'enquête à propos du décès de Zineb Redouane et de la responsabilité de la police dans ce dernier. Dans sa réponse, Christophe Castaner dit : «L'enquête se poursuit mais attention. Zineb Redouane est sur son balcon, elle ne manifeste pas. Elle est atteinte par une grenade lacrymogène, elle va à l'hôpital parce qu'elle est blessée dans ce cadre-là et l'enquête indique qu'elle meurt d'un choc opératoire.» Le ministre indique par ailleurs que l'enquête est en cours et qu'il n'y a pas accès, ce qui ne l'empêche pas de déclarer : «Qu'on n'accuse pas la police d'avoir tué quelqu'un, qu'on ne la traite pas d'avoir assassiné quelqu'un, ça n'est pas le cas.»
Christophe Castaner sur la mort de Zineb Redouane: "Qu'on n'accuse pas la police d'avoir tué quelqu'un, ça n'est pas le cas" #BourdinDirect https://t.co/mfTaFS6fyK
— BFMTV (@BFMTV) August 28, 2019
Le ministre de l'Intérieur a tenu des propos similaires au micro de France Inter le 19 mars dernier : «Je ne voudrais pas qu'on laisse penser que les forces de l'ordre ont tué Zineb Redouane, parce que c'est faux. Elle est morte d'un choc opératoire après, effectivement, sur son balcon elle ne manifestait pas, avoir semble-t-il reçu une bombe lacrymogène qui avait été envoyée et qui est arrivée sur son balcon». [L'appartement de Zineb Redouane n'a pas de balcon, en tout cas pas du côté de la rue où elle a été touchée par le tir de la grenade lacrymogène, ndlr.]
Christophe Castaner «n'a fait que rapporter», explique son cabinet, les propos de Xavier Tarabeux, procureur de la République de Marseille, qui a déclaré le 3 décembre 2018, lendemain de la mort de Zineb Redouane, que cette dernière était décédée des suites d'un «choc opératoire». Il avait également ajouté : «A ce stade, on ne peut établir le lien de cause à effet entre les blessures et le décès» et que «le choc facial n'est pas la cause du décès.» Contacté par CheckNews, Xavier Tarabeux explique que ses déclarations s'appuyaient alors «sur les conclusions provisoires du médecin légiste».
Contre-expertise en Algérie
Le procureur de la République fait référence à l'autopsie pratiquée le 3 décembre 2018, à la demande de la juge d'instruction de Marseille, dont le rapport est officiellement versé dans le dossier de la procédure en cours. Les conclusions du rapport de l'examen médical du corps ne sont pas catégoriques quant aux causes du décès de l'octogénaire. Si les conclusions annoncent un «œdème pulmonaire aigu» comme étant «cause du décès après tentative de réanimation», rapporte Mediapart, il y est aussi écrit : «Etant donné le contexte (décès survenu au cours de l'induction d'anesthésie pour intervention chirurgicale en urgence sur une patiente "à haut risque anesthésique"), une communication du dossier médical pourrait déterminer avec plus de précision les circonstances de survenue du décès.»
Le corps de Zineb Redouane a été rapatrié en Algérie, pays dont elle avait la nationalité, où elle est inhumée. Les autorités algériennes ont alors pratiqué une seconde autopsie le 25 décembre 2018, date à laquelle le procureur d'Alger a ouvert une enquête. Les conclusions de cette contre-autopsie sont plus affirmatives que celles de l'autopsie française. Les experts algériens, dans leur rapport, publié par le Média le 1er juillet 2019, ont écrit que Zineb Redouane présentait «un important traumatisme à l'impact d'un projectile non pénétrant à surface contondante, pouvant correspondre à une bombe lacrymogène. L'importance de ce traumatisme est directement responsable de la mort par aggravation de l'état antérieur de la défunte, malgré les soins intensifs prodigués en urgence». Interrogé sur cette contre-expertise, l'Intérieur ne nous a pas répondu. L'enquête ouverte par le parquet d'Alger est «en principe» toujours ouverte d'après Brice Grazzini, avocat de l'un des fils de Zineb Redouane.
Etant donné ce second rapport d'autopsie, et tenant compte de la prudence des conclusions du premier, il apparaît au moins prématuré d'affirmer comme Christophe Castaner que le décès de Zineb Redouane est dû à un «choc opératoire». D'autant, donc, que l'enquête qui vise à déterminer les causes du décès est toujours en cours.
Cordialement