Question posée par Pierre le 06/09/2019
Bonjour,
Vous nous interrogez sur la présence du parti communiste chinois à la Fête de l’Humanité, du 13 au 15 septembre, alors que l’Etat chinois mène depuis deux ans une vaste opération d’internement et d’acculturation des Ouïghours, une ethnie d’Asie centrale qui compte environ 10 millions de personnes, comme nous l’avons raconté plusieurs fois dans Libération. Alors que les adultes sont victimes de surveillances policières à outrance, d’une hausse des condamnations judiciaires et même d’enfermements extrajudiciaires, les enfants sont séparés de leurs parents et placés dans des internats obligatoires.
«Les messageries sont interdites ou censurées, les appels internationaux surveillés, la population est paralysée par la terreur de la répression. Mais les documents officiels, les appels d’offres, les fiches de renseignements familiaux, les statistiques ou les rapports internes d'écoles apportent des preuves irréfutables d’un ethnocide», écrivent nos collègues Laurence Defranoux et Valentin Cebron.
«Un échange culturel»
Contacté par CheckNews, Vadim Kamenka, journaliste à l’Humanité (quotidien organisateur de la fête) et responsable du «village du monde» qui accueille près de 200 stands, indique que le Parti communiste chinois (PCC) ne sera pas présent. En revanche, le journal du PCC («la voix officielle du parti communiste», rappelle le sinologue Michel Bonnin), le Quotidien du peuple, participera bien au festival, accompagné d’une délégation de cuisiniers, d’artisans et d’artistes. «Chaque année, une région différente de Chine vient présenter sa culture [cette année le Jiangxi, ndlr]. C’est un échange culturel.» En 2011, un journaliste de l’Express remarquait déjà cette présentation folklorique de la Chine. «Côté politique, le PCC a fait le strict minimum : pas de théoricien du communisme à la sauce pékinoise, pas de débats prévus, seuls quelques livres sur la Chine sont en vente. Ici, on vient surtout pour manger», écrivait-il. Rien d'étonnant pour Michel Bonnin : «La Chine ne cherche pas particulièrement à exporter le socialisme, mais elle veut entretenir de bonnes relations et que les pays occidentaux acceptent ses spécificités, comme les violations des droits de l’Homme», analyse-t-il.
Interrogé sur la situation des Ouïghours, Vadim Kamenka a cette réponse : «Si nous commençons à refuser tous les pays qui ont des conflits, il n’y aurait plus grand monde. Nous pensons que la discussion peut faire évoluer les choses.» Mais les spécialistes contactés par CheckNews ont, de leur côté, une interprétation bien différente. «Il est clair qu’il s’agit d’une logique de propagande intérieure : des photos seront prises, puis diffusées dans le Quotidien du peuple, qui montreront que le PCC est accueilli et reconnu partout dans le monde, y compris en France», estime la sinologue Marie Holzman.
«Relations amicales et proches»
En 2017 par exemple, un article publié sur le site du quotidien raconte la rencontre entre un représentant du parti communiste chinois et Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité. «Le Hyaric a déclaré à la presse que chaque année, la Fête de l’Humanité se félicite de la participation de la délégation chinoise. « Grâce à l’exposition et à la représentation du pavillon de la Chine, nous pouvons voir les réalisations de la Chine dans le développement d’une petite province. » Le Hyaric a déclaré que les relations entre le Parti communiste français et le PCC étaient amicales et proches, ainsi que des espoirs dans divers domaines», peut-on lire selon une traduction automatique. Régulièrement, des photos du patron de presse avec un responsable du PCC en train de visiter le stand sont relayées par des médias chinois, comme ici en 2013 ou là en 2014.
«Pour la Chine, bien sûr c’est un élément parmi d’autres de la diplomatie publique, une manière de promouvoir l’image de la Chine», commente la chercheuse Séverine Arsène.
Cordialement