Question posée par Léo le 10/11/2019
Bonjour,
Nous avons élargi votre question qui était à l'origine : «Alain Jakubowicz prétend dans un tweet qu'une jeune fille arbore l'étoile de David. Est-ce vrai ?»
Vous nous interrogez à partir d'une photo qui circule largement sur les réseaux sociaux depuis hier, dimanche 10 novembre. Elle provient du compte Twitter de la sénatrice EE-LV Esther Benbassa. Sur cette image, prise par son compagnon lors de la marche contre l'islamophobie à Paris, on peut la voir poser en compagnie d'un groupe de manifestants arborant des drapeaux français. Six d'entre eux, dont une petite fille, portent également un autocollant sur lequel on distingue une étoile et un croissant jaunes. Dans l'étoile est inscrite la mention «muslim».
Plusieurs de ces autocollants ont bien circulé dans la manifestation, hier, comme le confirment d'autres photos prises lors de la manifestation, notamment par le journaliste et photographe de Libération Albert Facelly. Il nous indique toutefois qu'il y en avait «très peu et de manière éparpillée» tout au long de la marche. Les organisateurs assurent de leur côté qu'il s'agit d'une «initiative isolée», indépendante des organismes à l'origine de la manifestation, sans toutefois pouvoir préciser qui a imprimé et distribué ces autocollants.
Même relativement rares, ces derniers suscitent une polémique nourrie. A partir de cette photo, de nombreux observateurs ont déploré le «détournement de l'étoile jaune», symbole de la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et une comparaison choquante. Pour l'avocat Alain Jakubowicz, cette photo est «à vomir». Haïm Korsia, grand rabbin de France, y voit «une aberration». L'ancien ministre François de Rugy a quant à lui exprimé sa colère : «Comment peut-on laisser penser que le sort des Musulmans en France en 2019 équivaut au sort des Juifs sous le régime de Pétain en utilisant l'étoile jaune ? A fortiori avec un enfant. C'est honteux !» a-t-il tweeté.
Souffrances et stigmatisations
Erreur d'interprétation, ont rétorqué quelques commentateurs. L'historienne des révolutions Mathilde Larrère, argue par exemple en réponse que cette étoile à cinq branches associée au croissant ne serait pas une référence à l'étoile jaune imposée aux juifs, mais relèverait d'une «combinaison plus largement reconnue comme un symbole de l'Islam».
Même réaction de l'avocat Arié Alimi, qui a vivement répondu à son confrère Alain Jakubowicz ;
Faire affront à l'étoile juive c'est aussi la confondre avec l'etoile et la lune musulmanes. C'est aussi vouloir délégitimer un antiracisme. C'est pietiner la rencontre entre l'étoile et la lune. Jusqu'à quand ce défoulement ? #islamophobie https://t.co/K1xwWOWjKe
— Arié Alimi (@AA_Avocats) November 11, 2019
Pourtant, certains clichés de la manifestation semblent contredire cette lecture, et lever toute ambiguïté quant à l'évocation de l'étoile juive, comme des photos d'un manifestant portant une pancarte où le slogan «juifs d'hier, musulmans d'aujourd'hui» voisinait avec l'autocollant en question). D'ailleurs, les principaux intéressés et les organisateurs, même si parfois un peu embarrassés, ne nient pas la référence, assez évidente par ailleurs (en témoigne la mention «muslim» sur l'autocollant, qui rappelle celle «juif» dans l'étoile jaune).
La sénatrice Esther Benbassa, qui s'est retrouvée au cœur de la polémique, a d'abord insisté sur la différence du nombre de branches («Je n'avais pas remarqué ces insignes : une étoile à 5 branches (celle portée par les Juifs en comptait 6), un croissant de lune évoquant la fin du Ramadan», avant de reconnaître un parallèle avec l'étoile juive. «La condition des Juifs dans les années noires et celle des Musulmans aujourd'hui ne sont pas comparables. Mais que nos contemporains stigmatisés s'identifient à ces souffrances passées et tout à fait compréhensible. Personne ne vole ici sa souffrance à personne.» Le sujet n'est pas neuf pour la sénatrice, autrice en 2004 d'un ouvrage (La République face à ses minorités : les juifs hier, les musulmans aujourd'hui) où elle abordait les réactions en France vis-à-vis des communautés juives (depuis Napoléon), puis musulmanes.
Madjid Messaoudène, co-organisateur, rappelle également que «l'étoile jaune n'est pas celle des juifs car elle n'a que cinq branches» tout en reconnaissant un rapprochement, qu'il qualifie, lui, de «maladroit». «Cela voulait dire qu'aujourd'hui, beaucoup ciblent les musulmans parce que musulmans, comme autrefois on ciblait les juifs. Il n'y a aucune volonté des personnes qui ont fait cela de banaliser la Shoah. Juste de dire qu'aujourd'hui les musulmans sont pris pour cible. Il y avait au contraire beaucoup de bienveillance. Je suis désolée si certaines personnes ont été choquées.»
Climat des années 1930
Chez Les musulmans, association co-organisatrice de la marche, on assume le rapprochement : «Il est effectivement compréhensible que des personnes soient interrogées et touchées : en y regardant bien, il s'agit d'une étoile à 5 branches et d'un croissant. Le sujet, c'est bien la stigmatisation d'une communauté sur la base de sa religion : en ce sens, les communautés musulmanes et juives sont sœurs.»
Même chose du côté du CCIF. Jawad Bachare, président de l'association, qui assure au passage que le port de cette étoile ne faisait pas partie des consignes, ne se montre pas fondamentalement en désaccord avec le message véhiculé par l'autocollant. «On a déjà pu écrire – et on l'assume – que les stigmatisations actuelles envers les musulmans nous rappellent le climat des années 1930 envers les Juifs.»
Sur Facebook, la militante Amal Bentounsi (fondatrice du collectif «Urgence notre police assassine»), assumait elle aussi cette comparaison, dans un post appelant à la manifestation, publié début novembre. «Si on n'y prend pas garde, les Musulmans d'aujourd'hui seront les Juifs d'hier. C'est ce que je pense, ceux qui viendraient me dire ne pas comparer l'incomparable, je leur réponds qu'ils sont des hypocrites et du même acabit que ceux sont qui n'ont rien dit à cette époque.»
Une source proche de l'organisation rappelle par ailleurs à CheckNews que cette comparaison est assez fréquente dans la lutte contre l'islamophobie. On rappelera par exemple qu'en 2011, Abderrahmane Dahmane, ancien conseiller à l'Elysée en charge de la diversité, avait proposé que les musulmans arborent une étoile verte, signe vestimentaire que les musulmans de France ont décidé de porter pour demander l'annulation du débat sur l'islam et la fin de l'islamophobie de l'UMP de M. Copé». La même année, en Suisse, une polémique éclatait alors que des manifestants contre l'islamophobie portaient une étoile jaune à huit branches, traversée par le mot «musulman».