Question posée par le 11/11/2019
Bonjour,
Dans la Drôme, plusieurs habitations ont été évacuées à titre préventif mais de manière générale, la préfecture ne déplore «aucun dégât majeur». Reste que, dans ce contexte, la proximité de l'épicentre du séisme avec plusieurs sites nucléaires implantés dans la région suscite des inquiétudes. Située à une dizaine de kilomètres de la ville du Teil, la centrale de Cruas-Meysse est la plus proche de l'épicentre. Plus loin, à 30 kilomètres environ, se situent le site nucléaire du Tricastin et, juste en face, le site Orano Tricastin. Ce dernier, à la différence des centrales nucléaires, ne produit pas d'électricité. Il s'agit d'un site spécialisé dans la conversion et l'enrichissement de l'uranium, étape intermédiaire dans la création de combustibles qui seront, ensuite, livrés aux centrales nucléaires.
Contrôles approfondis à Cruas
Sur ce sujet hautement sensible, les autorités se sont montrées rassurantes dès le lundi après-midi. Auprès de CheckNews, la sécurité civile indique qu'il n'y a «rien à signaler sur aucune des deux centrales nucléaires proches ni aucun site classé Seveso». Du côté de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), on confirme également qu'«à ce stade, aucun dommage apparent n'a été constaté» mais que des vérifications sont menées par EDF, l'exploitant des deux centrales. Des vérifications qui ont abouti, lundi soir, à l'arrêt progressif de trois réacteurs du site de Cruas-Meysse, le quatrième étant déjà stoppé pour des raisons de maintenance programmée.
Selon l'ASN, ces arrêts correspondent à une procédure classique. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires au sein de l'Autorité, détaille auprès de CheckNews : «Des mouvements du sol importants ont été enregistrés à Cruas. Nous avons donc demandé à EDF de vérifier si les seuils sismiques vibratoires avaient été dépassés.» EDF confirme : «Sur les cinq capteurs, l'un d'entre eux, situé hors zone nucléaire, a ressenti des vibrations et déclenché une alarme. A partir de là, l'arrêt des réacteurs, afin d'effectuer un audit approfondi, relève de la procédure classique en lien avec l'ASN.» La date de remise en route est incertaine à ce stade : si EDF évoque un arrêt programmé jusqu'au 15 novembre, l'ASN indique que «les procédures de vérification sont toujours en cours avec EDF et qu'il est encore trop tôt pour confirmer des éléments de calendrier».
Autres inquiétudes
1/8 Le #séisme survenu ce matin en vallée du Rhône était d'une magnitude de 5,4 sur l'échelle de Richter à son épicentre, donc supérieure au « séisme majoré de sécurité » de 5,2 pour lesquelles les centrales de #Tricastin et #Cruas ont été construites ! ⤵️https://t.co/6mDusnGlGe
— Sortir du nucléaire (@sdnfr) November 11, 2019
Pour comprendre exactement de quoi il retourne, il faut en passer par une explication quelque peu technique : celle du SMS, ou «séisme majoré de sécurité». Thierry Charles est directeur général adjoint chargé de la sûreté nucléaire de l'Institut de radioprotection de sûreté nucléaire (IRSN). Il détaille : «Les normes de sécurité, pour chaque centrale, sont établies en fonction d'un "séisme de référence", c'est-à-dire le séisme le plus fort connu dans la région. C'est ce qu'on appelle le "Séisme maximal historique vraisemblable" (SMHV). En ce qui concerne la zone de Cruas et Tricastin, le séisme de référence a eu lieu en 1873, il était de magnitude 4,7. Ensuite, pour déterminer la résistance des centrales face aux tremblements de terre, on ajoute 0,5 point : on obtient alors le "séisme majoré de sécurité (SMS)".»
Séismes de référence
En résumé, le SMS des centrales de Tricastin et de Cruas est de 5,2. Et c'est là que ça se complique. Tout d'abord, le SMS est déterminé dans l'hypothèse où l'épicentre du séisme est placé exactement sous la centrale. Ce qui n'était pas le cas lundi. Par ailleurs et surtout, il y a eu une confusion sur l'échelle de magnitude. «Il y a différentes échelles, poursuit Thierry Charles. Le séisme de lundi a été annoncé entre 5,1 et 5,4 en magnitude locale. Or, pour calculer le SMS, nous pensons en magnitude d'ondes de surface. Si on suit cette échelle, cela signifie que le séisme du Treil était d'une magnitude de 4,5 en son épicentre. Ce qui, on le voit, est inférieur au séisme de référence, à partir duquel ont été construites les centrales. Pour y arriver, il y a encore de la marge, donc.»
Enfin, certains commentateurs ont relevé une autre source d’inquiétude : celle-ci concerne une mise en garde réalisée par l’ASN au sujet de la centrale de Tricastin. Celle-ci avertissait, en 2017, de possibles dangers d’inondation en cas de séisme. En cause : le Rhône, situé juste à côté et une portion de digue fragilisée. D’où cette question : la centrale du Tricastin et sa digue étaient-elles équipées pour résister au séisme du Teil ?
Il faut prévenir l'@ASN qui a fait réaliser des travaux sur une digue de protection de Tricastin contre les INONDATIONS, évoquant même le risque d'entrée en fusion des 4 réacteurs !
— Martial Petiot (@MartialPetiot) November 12, 2019
D'autre part la force du séisme de ce matin était supérieure à celle du séisme majoré de sécurité pic.twitter.com/8YWD7QoG6r
Là encore, Thierry Charles, de l'IRSN, détaille : «En 2017, l'ASN a demandé l'arrêt des réacteurs à Tricastin, le temps qu'une portion de la digue le long du Rhône soit renforcée afin de résister au SMS, soit un séisme de magnitude de 5,2. Ce qui a été fait. Et puis, suite à l'incident nucléaire de Fukushima, il a été décidé de majorer encore davantage ce seuil de référence. C'est pourquoi une nouvelle demande de mise à jour a été formulée par l'ASN.» L'Autorité confirme, auprès de CheckNews : «L'idée sera de rendre les centrales résistantes à un séisme une fois et demie supérieure au SMS actuel. Au Tricastin, les travaux devront être effectués d'ici 2022.» Mais, à l'heure actuelle et après les contrôles de 2017 et les travaux qui ont suivi, il apparaît que la centrale du Tricastin, tout comme sa digue, étaient opérationnels pour résister à un séisme de 5,2 sur l'échelle de Richter.
A noter que les contrôles à la suite de ce séisme ne font que commencer. L'IRSN fait savoir à CheckNews qu'il observera les résultats communiqués par EDF sur la centrale de Cruas. Et qu'il se réserve le droit, s'il l'estime nécessaire, de saisir l'ASN pour davantage de vérifications.