Question posée le 18/11/2019
Bonjour,
Vous êtes plusieurs à nous saisir concernant une vidéo apparue en ligne à la suite de l'acte 53 des gilets jaunes. La scène se déroule place d'Italie, où a eu lieu la plus grosse partie de la manifestation parisienne du samedi 16 novembre.
Sur cette vidéo, on voit un homme discuter avec plusieurs personnes, en cercle. Soudain, il reçoit un projectile au niveau de l’œil. La suite est confuse.
⚠️ Image très violente !!! Blessure à l'oeil un commentaire @CCastaner @prefpolice #PlaceItalie #16Novembre #Acte53 #Paris #GiletsJaunes #Manu #1AnDeColère Mais on imagine que #IGPN va pas réussir a identifier le tireur et ce sera classé sans suite ... pic.twitter.com/HGuJjwydzS
— Altra Énervé #OnOublieraPas #SoigneEtTaisToi (@AltraMale) November 17, 2019
La séquence est filmée par un street medic participant à la manifestation et que Libé a contacté. Au ralenti, ces images permettent d'identifier la nature du projectile : une grenade lacrymogène.
Dans la vidéo, on voit d’ailleurs les palets lacrymogènes incandescents se séparer après que la grenade a touché le visage du manifestant. Pour l’heure, nous n’avons pas établi comment cette grenade avait été tirée (au lanceur ou à la main). Mais celui qui l’a reçue dans l’œil ne semblait pas, au moment de l’action, représenter une quelconque menace.
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Des photos du gilet jaune blessé sur un lit d'hôpital et de son œil avaient déjà circulé sur Twitter ou Facebook dès ce week-end (ici et là, attention, les images sont choquantes). Notamment, Julie Garnier, oratrice de La France insoumise qui a évoqué la vidéo sur LCI et a partagé ensuite une photographie du blessé sur Twitter, lui apportant son soutien. Celle-ci explique à CheckNews avoir été contactée par l'entourage du manifestant après son passage en plateau pour lui donner des nouvelles.
Il se fait appeler Manu, est âge de 41 ans, et venait, samedi, manifester à Paris avec d'autres gilets jaunes depuis Valenciennes (Nord). Libération a retrouvé sa compagne, présente au moment des faits, et le soignant qui a filmé la scène a pris en charge le blessé.
Grenade lacrymogène
Lorsque la scène se déroule, «la situation était calme», raconte Fred, street medic dijonnais qui s'est occupé de Manu après sa blessure. Lui est alors sur la place d'Italie, près de la statue du maréchal Juin et se souvient : «Ça pétaradait au loin mais la zone autour de nous était relativement tranquille. On discutait ensemble des conditions de la manifestation. On trouvait ça ahurissant que les autorités aient autorisé la manifestation ici, alors que la place était en chantier, avec des palettes à disposition et une tractopelle.»
Séverine, la concubine de Manu, décrit la même scène à CheckNews : «On était nassés par les policiers, mais tranquilles à l'écart, en train de parler de banalités. On voit sur la vidéo qu'il n'y a pas beaucoup de gens autour de nous. On a même pas eu le temps de voir arriver le projectile.»
Fred corrobore : «D'un seul coup la cartouche est arrivée, hyper vite. Au moment de l'impact, en voyant les étincelles, j'ai su que ce n'était pas un tir de LBD. On a pensé que c'était un palet de lacrymo mais en fait c'est la cartouche. La victime pouvait marcher, donc on l'a soutenue et installée pas loin des grillages qui bordent le centre de la place.» Le street medic ajoute que l'homme «souffrait extrêmement». Le soignant pense que «le tir vient plutôt du côté CRS et police nationale. Comme on ne voit pas le départ du tir, difficile d'être sûr».
Scanner et nuit à l’hôpital
Gravement blessé à l'œil, Manu est très rapidement pris en charge par des street medics. Dont Fred, donc : «Au début je constate que l'arcade saigne abondamment et que l'œil présente un hématome important, gonflé au niveau de la paupière. J'ai rapidement fait un point de compression sur l'arcade. En retirant doucement la compresse, il y avait, en plus du sang, une substance vitreuse et translucide qui ne pouvait venir que de l'œil.» Les soignants passent ensuite le relais aux pompiers, qui «sont restés une demi-heure à examiner ce qu'il avait», poursuit Séverine.
Le gilet jaune est alors envoyé aux urgences ophtalmologiques de l'hôpital Cochin, à Paris. «Ils ont essayé de regarder dans son œil, mais ils n'ont pas pu bien voir, car le sang giclait dès qu'il l'ouvrait», explique sa compagne. Le quadragénaire est ensuite envoyé au scanner. «Ils nous ont dit qu'il avait de grandes chances de perdre son œil parce qu'ils ont vu qu'il y avait beaucoup de lésions. Les os en dessous de son œil sont fracturés, ce qui fait que tous les muscles au dessus tombent et ne maintiennent pas le globe oculaire», relate Séverine. Manu est alors transféré dans un autre hôpital parisien, à la Pitié-Salpêtrière, pour être pris en charge. Après un nouvel examen, il apparaît que son œil peut être sauvé, selon les médecins qui proposent une opération le lendemain, d'après sa compagne. La plaie est toute de même suturée.
«Nous étions venus avec un car de manifestants qui était déjà reparti et comme nous étions en manif, nous n'avions pas pris nos cartes bleues, donc l'interne nous a dit de rester la nuit, mais sur une chaise pour moi et sur un brancard pour lui», déplore notre interlocutrice, amère après cette nuit passée à l'hôpital. «Personne n'est venu voir l'état de Manu, ils ne lui ont pas donné à manger, ni à boire. On ne lui a pas lavé le sang qui coulait, ni donné de médicaments contre la douleur. J'ai dû venir quémander», assure-t-elle. Le lendemain, un autre médecin propose au couple valenciennois de rentrer chez lui pour l'opération.
Plainte à venir
Rapatrié par Corinne, une des figures locales des gilets jaunes, Manu et Séverine se sont rendus ce lundi midi aux urgences de Lille afin de se faire soigner. Le couple, lui 41 ans, intérimaire dans l'automobile et elle, 39 ans employée dans une maison de retraite, écument depuis plus d'un an les manifestations «pacifiquement». «On veut vivre de nos salaires, et on se bat aussi pour nos enfants. On en a quatre chacun», explique Séverine avant de répondre «évidemment» quand on lui demande s'ils souhaitent porter plainte.
Comme l'écrivait CheckNews dimanche, Manu n'est pas la seule personne à avoir été blessée au visage place d'Italie lors de l'acte 53 des gilets jaunes.
Mise à jour du 18/11/2019: Le préfet Didier Lallement va saisir l'IGPN «à la demande du ministère de l'Intérieur», a indiqué la préfecture de Police à Libération. En fin de journée, le parquet de Paris a annoncé l'ouverture d'une enquête, confiée à l'IGPN, pour violence par personne dépositaire de l'autorité publique avec armes ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours.
Mise à jour du 19/11/2019: Contactée ce matin par CheckNews, Séverine indique que Manu a finalement perdu l'usage de son œil. «Son globe oculaire était coupé de part et d'autre à cause de la violence de l'impact. Et par la suite, il perdra sûrement aussi l'œil», dit-elle.