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Macron a-t-il affirmé que les salariés français «sont trop payés» et «doivent pouvoir travailler plus sans être payés plus» ?

Une phrase attribuée à Emmanuel Macron sur le salaire des Français correspond en fait à plusieurs déclarations distinctes, autour du débat sur la remise en cause des 35 heures.
Emmanuel Macron au forum de Davos en 2016. (RUBEN SPRICH/Photo Ruben Sprich. Reuters)
publié le 4 décembre 2019 à 15h39

Question posée par Richard Gaillard le 30/11/2019

Bonjour,

Vous nous interrogez sur cette citation attribuée à Emmanuel Macron : «Les salariés français sont trop payés… Les salariés doivent pouvoir travailler plus sans être payés plus si les syndicats majoritaires sont d'accord.» Cette supposée déclaration apparaît de manière récurrente depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Twitter, sur des blogs, sous la forme de quiz ou encore d'articles compilant le «Top 30 des citations de Macron». En clair, cette phrase est quasiment devenue, au fil du temps, un «meme» politique. Elle ressurgit régulièrement, et notamment ces derniers jours, avant la mobilisation de jeudi.

Nous n'avons trouvé aucune mention d'une telle phrase prononcée littéralement par Emmanuel Macron. En revanche, on peut en retracer la genèse. Occupons-nous d'abord de la deuxième partie de la phrase, selon laquelle «les salariés doivent pouvoir travailler plus, sans être payés plus si les syndicats majoritaires sont d'accord».

«Favorable à la fin des 35 heures de facto»

Celle-ci semble être une synthèse d'une déclaration d'Emmanuel Macron en 2016, à propos des 35 heures. Le 22 janvier 2016, lors du forum économique de Davos (Suisse), Emmanuel Macron, qui a fait le déplacement en tant que patron de Bercy, prend ses distances avec François Hollande, à coups de petites phrases. Il s'exprime notamment sur les 35 heures. Le journaliste économique Jean Leymarie, sur place pour France Info, tweete la fameuse phrase (sans guillemets) depuis Davos : «Les salariés doivent pouvoir travailler plus sans être payés plus, si les syndicats majoritaires sont d'accord, dit Emmanuel Macron.»

Contacté par CheckNews, Jean Leymarie indique aujourd'hui qu'il «n'est pas sûr des mots exacts prononcés par Macron». Et pour cause, le ministre répond alors aux journalistes en français et en anglais, sans dévoiler les mêmes détails selon la langue utilisée. Mais sur le fond et le sens de la proposition de Macron, le journaliste est affirmatif. Comme l'était aussi le reporter Jean-Paul Chapel, lui aussi sur place, et qui expliquait à la même époque, en direct au JT de France 2 : «Ce matin, en anglais, devant la presse internationale, il s'est déclaré, je cite, "favorable à la fin des 35 heures de facto". Comment ? En passant des accords majoritaires au sein des entreprises, en fixant par exemple la majoration des heures supplémentaires à zéro. En clair, travailler plus, sans être payé plus qu'une heure normale.»

Dans les faits, ces déclarations ont trouvé une traduction législative depuis. Certes, Emmanuel Macron n'a pas mis fin «de facto» aux 35 heures, comme annoncé à Davos. Même après la loi El Khomri et les ordonnances Travail de 2017, la durée légale du travail n'a pas bougé. En revanche, ces textes ont, depuis, donné la part belle à ce que l'on appelle désormais des accords de «performance collective», permettant aux employeurs, dans le cadre d'accords avec les syndicats, de modifier la durée du travail au sein de l'entreprise, sans forcément augmenter les salaires en proportion. Ou de revoir les rémunérations, sans forcément baisser le temps de travail. Et avec un licenciement facilité des récalcitrants par l'employeur. Comme le souhaitait Macron, donc, les salariés peuvent être amenés plus facilement, dans le cadre de ces accords, à travailler plus, sans être payés plus.

«Comment quelqu’un peut tenir des propos pareils ?»

Quant à la première partie de la phrase, affirmant que «les salariés français sont trop payés», il n'y en a pas de trace non plus. Elle semble surgir, notamment sur les réseaux sociaux, à partir de 2014. Le 27 août, Le Point publie une interview d'Emmanuel Macron, alors ex-secrétaire général adjoint de l'Elysée, à la veille de sa nomination au ministère de l'Economie. Le futur président aborde déjà la question de la remise en cause des 35 heures, évoque la politique française des dernières années qui n'a rien, selon lui, d'une politique d'«austérité», et déplore la faible compétitivité de l'économie hexagonale.

Deux jours plus tard, un débat sur Europe 1 oppose l'adjoint PCF à la mairie de Paris Ian Brossat à Erwan Le Noan, présenté comme consultant en stratégie et chroniqueur pour Atlantico. Tous deux sont appelés à réagir aux propos de celui qui vient de devenir ministre. Erwan Le Noan interprète ainsi la position de Macron : «L'avantage de l'entretien d'Emmanuel Macron est qu'il prend les chiffres économiques et qu'il vous dit, voilà : on a une question sur la poussée des salaires français qui a été en moyenne, c'est vrai, supérieure à la productivité.»

Ce à quoi répond Ian Brossat : «Mais enfin quand même. Le mec, c'est Emmanuel Macron, il est maintenant ministre de l'Economie. Il a gagné 900 000 euros en 4 mois entre janvier et avril 2012 – parce qu'il était banquier, il en a absolument le droit. Que la même personne puisse dire que les Français ont trop gagné en salaire au cours des dernières années, mais attendez, c'est lunaire ! Je suis élu du 18e arrondissement, dans un quartier populaire, je rencontre des habitants qui n'en peuvent plus, qui ont des salaires complètement écrabouillés, qui aujourd'hui souffrent et on leur dit : bah, après tout vous avez trop gagné en salaire, mais on est où, on vit où ? Comment quelqu'un, qui est aujourd'hui ministre de l'Economie, peut tenir des propos pareils ?» Cette réponse, l'élu parisien la résume dans un tweet, accompagné d'un très court extrait sonore, sous la formule : «Pour Macron, qui a gagné 900 000 euros en 4 mois, les Français sont trop payés.» Une punchline qui sera alors partagée et reprise sur de nombreux blogs (ici), ou sur Youtube (ici).

Si Macron n'a donc jamais (en tout cas selon nos recherches) affirmé que les Français étaient «trop payés», il a en revanche plaidé plusieurs fois pour une modération salariale. En 2014, après son arrivée à Bercy, il expliquait notamment que le CICE devait viser à augmenter les investissements et la compétitivité des entreprises, et ne devait pas servir à augmenter massivement les salaires. «Ce n'est pas une bonne chose, c'est dur à dire dans la période qu'on vit, mais c'est vrai.»