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S'il venait en France, Carlos Ghosn serait-il extradé vers le Japon ?

Après avoir fui le Japon, où il était inculpé depuis plusieurs mois, Carlos Ghosn, ancien patron de Renault-Nissan, pourrait rejoindre l'Hexagone sans risquer d'être extradé. Mais il pourrait y être jugé.
Carlos Ghosn, le 8 novembre 2018, pendant la visite de l'usine Renault de Maubeuge (Nord). (Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 2 janvier 2020 à 16h07

Question posée sur Twitter le 02/01/2020

Bonjour,

Vous faites référence à la fuite de Carlos Ghosn, ancien patron de Renault-Nissan, qui a quitté dimanche le Japon, où il était inculpé d’abus de biens sociaux et de fraude fiscale. L’ancien chef d’entreprise libano-brésilo-français a rejoint le Liban en avion privé.

Carlos Ghosn, qui a également la nationalité française et dont les circonstances précises de sa fuite restent encore à éclaircir, serait-il extradé vers le Japon s'il revenait en France dans les prochains jours ? Non, a répondu Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, au micro de Jean-Jacques Bourdin ce jeudi : «Si M. Ghosn venait en France, nous ne l'extraderons pas, parce que la France n'extrade jamais ses nationaux. Nous appliquons à M. Ghosn, comme à monsieur Tout-le-monde, les mêmes règles du jeu. Ça ne nous empêche pas de penser que M. Ghosn n'a pas à se soustraire à la justice japonaise. Simplement, ce sont les mêmes droits pour tout le monde. La nationalité française protège ses ressortissants et, de ce point de vue-là, est assez valorisée par rapport à d'autres nationalités.»

C'est la loi du 10 mars 1927, relative à l'extradition des étrangers, qui a la première défini ce principe : «L'extradition n'est pas accordée lorsque l'individu, objet de la demande, est un citoyen ou un protégé français, la qualité de citoyen ou de protégé étant appréciée à l'époque de l'infraction pour laquelle l'extradition est requise.»

La loi a ensuite été abrogée en 2004, et remplacée par l'article 696-4 du code de procédure pénale, qui dit exactement la même chose.

En 2015, la question s’était déjà posée, alors que deux pilotes français impliqués dans le scandale connu sous le nom d’«Air Cocaïne» avaient fui la République dominicaine. Ils avaient été condamnés sur l’île à plusieurs années de prison pour trafic de drogue et étaient en liberté provisoire en attendant leur jugement en appel. Lors de leur retour en France, Stéphane Le Foll, alors porte-parole du gouvernement, avait rappelé que la France n’extradait pas ses ressortissants.

Interrogé à l'époque par Libération, Matthieu Bonduelle, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Créteil (Val-de-Marne), amené à instruire un certain nombre de dossiers transnationaux, précisait toutefois : «Il y a une exception à cela : c'est lorsqu'un ressortissant français fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen.»

Il donnait à l’époque, dans la même interview, l’exemple d’Aurore Martin, française et militante du parti indépendantiste basque Batasuna. Que la France avait accepté d’extrader alors même que ce que lui était reproché en Espagne n’était pas répréhensible en France (il lui était reproché d’avoir fait plusieurs apparitions publiques au sein de Batasuna, mouvement illégal en Espagne mais pas en France).

S'il venait en France, Carlos Ghosn ne serait donc pas extradé, mais il pourrait y être jugé, comme le confirme à CheckNews Philippe Ohayon, avocat pénaliste : «En dehors de l'Union européenne, la France n'extrade pas les citoyens français mais peut par contre les juger, quel que soit le pays où l'infraction a été commise, sous la seule réserve que les faits soient punissables en France. Si le principe de non-extradition d'un citoyen français lui permet d'échapper à une justice étrangère, elle ne le protège cependant pas de poursuites pénales en France.»

Cordialement

Mise à jour du 3 janvier 2020 à 11h : retrait d'une phrase erronné, sous-entendant que Ghosn serait renvoyé au Japon s'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt européen.