Question posée par le 13/01/2020
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question initiale : «Dans quel but deux caméras ont-elles été installées au sommet de la colonne de Juillet, place de la Bastille ? J'ai été sidéré de voir ce dispositif de surveillance sur un monument commémorant la Révolution française de juillet 1830, élevé par le nom des victimes des Trois Glorieuses, au pied de la statue du "Génie de la Liberté". S'agit-il de caméras dites "tactiques", installées par la préfecture de police sur le parcours de la manifestation contre la réforme des retraites du 11 janvier 2020 ? Colonne par ailleurs classée au titre des monuments historiques. Il y est inscrit : "A la gloire des citoyens français qui s'armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830".»
Votre demande est accompagnée de deux photographies (dont celle qui illustre cet article), que vous avez prises le dimanche 12 janvier 2020.
Des caméras installées par la préfecture de Paris
Sur les images envoyées, on peut effectivement distinguer deux caméras de type dôme au sommet de la colonne de Juillet, située au centre de la place de la Bastille à Paris. Mais il ne s'agit pas d'une installation récente, liée au climat social actuel. On retrouve en effet une trace de leur installation dans un jeu de données publiques du ministère de l'Intérieur répertoriant l'«implantation des caméras prévues par le plan de vidéoprotection pour Paris» (PVPP) de l'été 2012. En ouvrant le fichier dans Google Earth, les deux caméras apparaissent comme ayant été mises en service le 14 septembre 2012. Ces caméras figurent également dans le décompte du site Paris sous surveillance, qui recense toutes les caméras de surveillance en service à Paris. Le site indique qu'elles sont opérées par la préfecture de police de Paris, ce que nous confirme également le service de presse de la mairie de Paris.
Présentée comme faisant part du plan de vidéoprotection pour Paris pour l'été 2012, l'installation de ces caméras avait déjà été annoncée par la préfecture de police dans des arrêtés publiés par Le Parisien au début de l'année 2011. Egalement surnommé «plan des 1 000 caméras», ce projet présenté par la préfecture de police de Paris en 2008, répondait à la volonté du président Nicolas Sarkozy de mettre en œuvre un plan national d'équipement de vidéoprotection. En 2009, la région Ile-de-France, majoritairement socialiste, et la mairie de Paris, alors aux mains de Bertrand Delanoë, avaient accepté ce dispositif installant 1 105 caméras de surveillance dans la capitale.
Jusqu'à fin 2017, le site de la préfecture de police de Paris permettait d'accéder à un document dans lequel était écrit que «le PVPP vise à renforcer la capacité opérationnelle de la préfecture de Police dans cinq domaines principaux : la circulation sur les principaux axes de la capitale et aux abords de ses portes ainsi que le renforcement de la sécurité routière ; la gestion de l'ordre public notamment lors de grands rassemblements et manifestations, ainsi que la protection des institutions et établissements sensibles ; la sécurisation de Paris, de sa population et de ses visiteurs contre la délinquance. La vidéoprotection a des effets dissuasifs et préventifs, c'est aussi un moyen d'aide à l'élucidation et au rapport de la preuve, à charge comme à décharge ; la prévention du risque terroriste notamment des sites sensibles ; les interventions urgentes et de secours effectuées par les sapeurs-pompiers». Ces caméras peuvent donc bien être utilisées pour surveiller les manifestations.
Des caméras déjà présentes sous Maurice Papon
En effectuant des recherches sur la présence de caméras au sommet de la colonne de Juillet, CheckNews a pu constater qu'une photo prise en 2009 (selon ses métadonnées) et publiée sur un blog montrait déjà un autre type de caméra de surveillance, de forme rectangulaire, au pied du Génie de la Bastille. Le blog remarque aussi qu'une caméra apparaît dans une scène du film Le Viager de Pierre Tchernia, sorti en 1972.
Dans un article paru en 1994, l'Express s'intéressait déjà à la présence de caméras de surveillances dans les rues de Paris et notait que «ces yeux artificiels sont descendus sur la voie publique pour améliorer la circulation automobile dans les grandes villes. Les principaux axes de Paris sont "vus" par un réseau de 200 caméras (plusieurs d'entre elles sont fixées sur la tour du Génie de la Bastille)». La mairie de Paris assure que les caméras dépendaient déjà de la préfecture de police de Paris. On peut les apercevoir dans le film Chacun cherche son chat réalisé par Cédric Klapisch et sorti en salles en 1996.
Contacté par CheckNews, l'historien Jean-François Decraene, auteur de la Colonne de Juillet et la place de la Bastille (éditions du Patrimoine, août 2019) indique que l'accès à la colonne de Juillet était fermé au public depuis 1954 pour plusieurs facteurs (difficulté d'accès, sécurité, organisation du personnel, suicides). Il ajoute qu'«un autre motif en était, sans que cela fut dit ni connu du public, l'installation dès le début du mandat du préfet de police Maurice Papon, de caméras de surveillance officiellement pour observer et réguler la circulation automobile». Maurice Papon fut préfet de police de Paris à partir de mars 1958.
L'historien indique également que «des modèles plus performants sont installés par le préfet Maurice Grimaud (mandat de 1966 à 1971). Les raisons officielles en étaient la surveillance renforcée de la circulation de plus en plus dense. La qualité du matériel au fur et à mesure des temps, ajoute la mobilité aux caméras qui, commandées à distance, permettent de suivre le cours des manifestations nombreuses sur la place de la Bastille (rotation à plus de 180°, zoom, grand angle, etc.) et pourquoi pas dans le futur, avec la reconnaissance faciale ? Ces caméras sont renouvelées régulièrement, remplacées par du matériel de plus en plus performant. L'administrateur actuel du monument m'a confirmé que, lorsque le monument enfin rattaché au trottoir côté canal, sera accessible sans danger au public la visite exclura, pour des raisons de sécurité, la montée au pinacle. Les caméras de surveillance, compte tenu du climat sécuritaire actuel avec la possibilité d'actes terroristes, ont encore de beaux jours devant elles».
Cordialement