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Covid-19 : y a-t-il une surmortalité en France par rapport aux dernières années ?

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
L'Insee et Santé publique France communiquent depuis quelques jours des chiffres sur la surmortalité potentiellement liée au Covid-19. Mais le recul manque encore pour mesurer l'impact de l'épidémie.
Hôpital Louis Pasteur, Colmar, le 26 mars 2020. (Sébastien Bozon. AFP)
publié le 2 avril 2020 à 7h37

Bonjour,

De nombreux lecteurs nous ont demandé si l’épidémie de Covid-19 avait un impact mesurable sur le nombre de décès en France. Pour avoir un ordre d’idée, il y a eu, en 2019 (les chiffres varient d’année en année), 610 000 décès en France. Soit une moyenne de 1 670 par jour. Attention : les décès sont impactés par la saisonnalité, et il faut donc comparer les mêmes périodes de l'année.

Ce sujet d’une éventuelle surmortalité liée au Covid-19 fait partie du suivi de l’épidémie en France. A terme, ce sera sur la base de ces données (davantage que sur le décompte en temps réel que les autorités tentent de faire actuellement) qu’on pourra se faire une idée du bilan de l’épidémie en France. Mais le recul est encore insuffisant pour avoir des statistiques et les interpréter. Même si des premiers chiffres circulent.

La première source est l'Insee. Face au Covid-19, l'institut statistique a mis en place un dispositif d'information exceptionnel, «consistant à diffuser chaque semaine le nombre de décès quotidiens enregistré dans chaque département, afin de contribuer en toute transparence à la mise à disposition de données pendant l'épidémie de Covid-19». L'Insee effectue des comparaisons avec les deux années précédentes. La première note sur le sujet a été publiée le 27 mars. La deuxième a été publié vendredi 3 avril.

Sur les vingt-trois premiers jours de mars : plus de décès en 2018 qu’en 2020

Ce travail se heurte à un écueil : les données ne peuvent être obtenues en temps réel. L’Insee dispose ainsi du nombre de décès quotidiens (des données encore provisoires) avec onze jours de décalage. Les mairies ont légalement une semaine pour transmettre les décès à l’Insee, mais il faut y ajouter le temps de la transmission par voie de courrier pour les décès (certes marginaux) qui sont encore communiqués par ce canal. En se basant sur les seuls décès transmis par voie dématérialisée (environ 90% des décès étaient transmis ainsi en 2019), l’Insee parvient à réduire le décalage à sept jours. Des chiffres un peu plus récents, mais qui posent un problème : la comparaison d’une année sur l’autre du nombre de décès enregistrés par voie dématérialisée peut-être biaisée par le fait que ce mode de transmission tend a augmenter d’année en année. Une hausse statistique peut ainsi traduire une modification de l’usage (généralisation de la dématérialisation), et pas une hausse du nombre de décès à proprement parler. Ce qui explique que l’Insee communique plus volontiers sur l’ensemble des décès (transmission papier et numérique) pour laquelle les données sont plus comparables. Mais avec une dizaine de jours de retard, donc.

Autre problème, conjoncturel celui-là : les données concernant les Bouches-du-Rhône ne sont, pour 2020, pas disponibles au-delà du 11 mars en raison de problèmes informatiques affectant la commune de Marseille qui lui empêchent de transmettre à l’Insee des bulletins de décès. La comparaison opérée par l'INSEE se fait donc hors Bouches-du-Rhône.

Au niveau national, écrit l'Insee, le nombre de décès survenus entre le 1er et le 23 mars 2020 est légèrement supérieur aux décès survenus entre le 1er et le 23 mars 2019 mais inférieur à 2018. Ainsi, entre le 1er et le 23 mars 2020, 39 707 personnes sont décédées en France hors Bouches-du-Rhône), contre, sur la même période, 39 141 en 2019 et 44 443 en 2018.

La mortalité élevée en 2018 tient à l’épidémie de grippe qui avait été exceptionnellement longue à l’hiver 2017-2018.

Ces comparaisons doivent aussi tenir compte du fait que l’impact du Covid-19 sur la mortalité en mars 2020 s’est encore relativement peu fait ressentir sur la période étudiée par l’Insee. Si on se réfère aux données officielles (certes incomplètes) du nombre de morts du Covid-19 en milieu hospitalier, il y avait ainsi, au 23 mars, 860 décès, contre plus de 4500 aujourd’hui. Nous n'étions alors qu’au stade précoce (relativement à aujourd’hui) de l’épidémie. La comparaison de l’Insee porte donc sur une période où le nombre de décès liés au Covid était encore faible.

Hausse de 84% des décès dans le Haut-Rhin 

Une approche départementale permet toutefois à l’Insee de noter d’ores et déjà quelques évolutions dans les territoires qui ont été les plus touchés par l’épidémie. Dans la majeure partie du territoire, aucune surmortalité n'est constatée entre 2020 et 2019 sur les vingt-trois premiers jours du mois. Mais dans certains départements, en revanche, le nombre de décès enregistrés est supérieur. Parfois significativement. Dans le Haut-Rhin, il est, entre le 1er et le 23 mars, de 84% plus élevé que celui enregistré sur la même période en 2019. L'augmentation est également de 40% en Corse du Sud, de 20% en Côte-d’Or; de 10% dans le Bas-Rhin, de 16% en Moselle, de 13 à Paris, de 12% dans les Yvelines et de 10 dans le Val-de-Marne.

Attention, l’institut statistique précise qu’il ne s’agit pas d’une estimation de la surmortalité liée au Covid-19. Pour le dire autrement : dans le Haut-Rhin, la hausse de 84% n'est pas forcément entièrement imputable au Covid-19. D’autres facteurs que le Covid-19 peuvent influer sur la mortalité. On peut d’ailleurs constater que le nombre de décès sur les trois premières semaines de mars est également supérieur en 2020 à ce qu'il était en 2019 dans les Deux-Sèvres, département a priori peu touché par le Covid-19 (5 morts au 3 avril).

L’Insee précise que l’estimation de la surmortalité liée au Covid-19 nécessitera la mobilisation de modélisations économétriques mises en œuvre par Santé publique France. Ce qui permettra de voir, au-delà des chiffres bruts, quelle part peut en être imputée à l’épidémie.

Surmortalité de 19% au niveau national sur les premiers jours de la semaine du 23 au 29 mars

Lors de ses points presse consacrés au Covid-19 Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, a coutume de donner d'autres chiffres, émanant de l'agence Santé publique France, qui se base elle sur les données les plus récentes de l’Insee, transmises par voie dématérialisée. Jeudi soir, Jérôme Salomon a ainsi indiqué que les premières remontées de la semaine 13 (du 23 au 29 mars) traduisaient une surmortalité au niveau national de 19% par rapport à la mortalité attendue (calculée sur la bases des données des cinq dernières années). Là encore, cette hausse ne peut être attribuée entièrement au Covid-19.

Santé publique France construit ses statistiques à partir du nombre de décès dans 3 000 communes, enregistrant 77% de la mortalité nationale. Ces communes sont choisies notamment parce qu’elles pratiquent la transmission dématérialisée depuis plusieurs années. Ainsi, la comparaison d’une année sur l’autre n’est a priori pas polluée par une variation du taux de recours à la dématérialisation. Ce qui permet de traiter des données plus récentes que ne le fait l’Insee (avec un retard de «seulement» sept jours).

Les certificats électroniques du CépiDC

Un dernier acteur permet à Santé publique France d'avoir des informations sur les personnes décédées. Il s'agit du CépiDC de l'Inserm, qui informe sur les causes des décès, via la certification électronique des décès. «La certification électronique des décès (via CertDc), explique à CheckNews Grégoire Rey, directeur du CepiDc de l'Inserm, permet d'avoir des données en temps réel, dès que le médecin a validé un certificat de décès. Notre statistique complète celle de l'Insee parce qu'elle est plus réactive, et parce que nous avons les causes de décès. Nous pouvons donc spécifiquement suivre la mortalité par Covid-19, mais aussi connaître les causes des potentielles autres hausses de la mortalité.» Cette source d'information en temps réel ne concerne toutefois qu'environ 20% des décès. «Elle ne couvrait que 18% de la mortalité totale en 2019. Environ 90% des certificats de décès électroniques proviennent des établissements hospitaliers, et seulement 7% des Ephad. Mais cela va évoluer très vite. La DGS vient de transmettre mardi matin des instructions à toutes les Agences régionales de santé (ARS) et tous les établissements médico-sociaux (y compris les Ehpad) pour un déploiement en urgence. Nous avons eu depuis beaucoup de demande de raccordement. Seuls les médecins de ville vont encore être en difficulté pour utiliser CertDc (web ou mobile), car ils doivent imprimer et transmettre un papier à l'état civil dans la plupart des communes.» Ces informations permettront, non pas de mesurer la hausse de la mortalité, mais de l'interpréter, en en renseignant le causes. Un des enjeux sera notamment de voir si le Covid-19 a aussi pu influer indirectement sur la mortalité, en compliquant, en raison de la saturation du système de santé, la prise en charge de malades souffrant d'autres affections.

Cordialement

Ecoutez le podcast hebdo des coulisses de CheckNews.Cette semaine : Les Italiens et les Espagnols comptent-ils mieux leurs morts liés au Covid-19 que la France ?