Question posée par Sophie le 11/04/2020
Bonjour,
Votre question fait référence à plusieurs publications virales ces derniers jours, notamment sur Twitter et Facebook.
Tout commence avec la publication d'un article de l'association Robin des toits, qui milite entre autres pour la limitation des antennes-relais de téléphonie mobile et l'interdiction de technologies comme le wi-fi ou le Bluetooth. L'association revient sur une ordonnance prise dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 et publiée le 26 mars au Journal officiel.
«Dans un contexte de mise sous tension des réseaux de communications électroniques résultant d'un accroissement massif des usages numériques du fait de la mise en œuvre des mesures de confinement de la population, l'ordonnance introduit, pour la durée de l'état d'urgence sanitaire, des adaptations des procédures applicables pour garantir la continuité du fonctionnement des services et de ces réseaux», peut-on effectivement lire sur le site du gouvernement Vie-publique.fr.
En d'autres termes, l'ordonnance assouplit fortement les procédures qui permettent aux opérateurs téléphoniques d'installer ou de modifier des installations comme les antennes relais pour leur permettre de faire face à l'augmentation du trafic lié au confinement. Pendant la période de la crise sanitaire, les fournisseurs d'accès à Internet ne seront par exemple plus obligés de transmettre un dossier d'information au maire de la ville où est installée une antenne pour la modifier, ou de solliciter l'Agence nationale des fréquences (ANFR) pour en implanter une.
Pour l'association Robin des toits, «il est légitime de penser que cette libéralisation du secteur a pour but de préparer le déploiement de la 5G».
L'analyse est ensuite reprise et déformée le 2 avril dans un article du site Le Media pour tous, qui se définit comme un «site de réinformation», fondé par un ancien militant d'Egalité et Réconciliation (mouvement d'extrême droite d'Alain Soral), Vincent Lapierre.
Son titre est ainsi beaucoup plus affirmatif : «Coronavirus : une ordonnance passe en douce et facilite l'installation de la 5G (entre autres).» Le texte permettrait en effet «une liberté presque totale pour les opérateurs de téléphonie d'installer des antennes relais», avance Le Media pour tous. Qui conclut que l'installation de la 5G «va arriver exactement pendant l'état d'urgence sanitaire», car avec ce «nouveau décret, l'Etat franchit une nouvelle étape en offrant une liberté totale aux opérateurs de téléphonie mobile».
Quelques jours plus tard, l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage dénonce à son tour le fait que «l'ordonnance du 26 mars généralise la 5G».
Puissances d’émission
Selon l'avocat Alexandre Archambault, spécialiste des questions liées aux télécoms et au numérique, l'ordonnance n'a pourtant rien à voir avec la 5G. Le texte précise en effet que la pose d'une nouvelle antenne n'est possible sans accord de l'ANFR que «lorsque l'implantation est strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques». Surtout, «les normes régissant les puissances d'émission continuent de s'appliquer, et l'implantation doit être régularisée au bout de trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire», précise l'avocat. L'ordonnance ne concerne ainsi «que la 2G, la 3G et la 4G, déjà déployées, sur des zones en tension nécessitant de densifier temporairement des infrastructures afin de garantir la continuité des communications en situation de crise».
C'est également ce qu'explique le directeur de l'ANFR, Gilles Brégant : «Il s'agit d'une mesure qui permet de reparamétrer le réseau et qui concerne uniquement les fréquences attribuées pour la 2G, la 3G et la 4G. Certains opérateurs ont besoin de plus de capacités à certains endroits. Par exemple, les antennes qui sont vers le quartier de la Défense [où se trouvent principalement des bureaux] sont probablement sous-utilisées en ce moment. Alors que des antennes près de quartiers résidentiels le sont plus en raison du confinement.» Les opérateurs peuvent donc choisir d'utiliser une des six bandes de fréquence qu'ils n'utilisaient pas jusque-là sur des antennes déjà installées dans ces zones.
En temps normal, ces ajustements prennent cinq semaines : le temps que l'ANFR vérifie que les nouvelles fréquences souhaitées par un opérateur s'intègrent bien dans le «paysage électromagnétique» (et ne perturbe pas la diffusion de la télévision ou les activités de l'armée par exemple). «Pour un confinement de quelques semaines, ce délai n'avait pas beaucoup de sens. Donc on effectue toujours nos contrôles, mais a posteriori.»
Gilles Brégant précise également que les opérateurs n'ont pas profité du texte pour multiplier les antennes relais : «Pour l'instant, nous n'avons eu qu'une seule demande déposée dans le cadre du dispositif d'urgence, sur une antenne existante.»
La raison est simple : comme le relève le média indépendant écologiste Reporterre, «construire une antenne relais nécessite l'intervention d'entreprises du bâtiment, dont beaucoup subissent aussi des mesures de confinement». Reste que selon Reporterre, «cette dérégulation temporaire inquiète les associations de lutte contre les ondes», notamment car la suspension de l'obligation d'information des maires risque de nuire à l'information des habitants.
Retard
Comble de l'affaire, la crise sanitaire pourrait plutôt avoir pour conséquence un retard du développement de la 5G en France : comme le rapportait les Echos, les enchères qui devaient permettre l'allocation «des fréquences 5G aux opérateurs télécoms devaient avoir lieu à partir du 21 avril», mais seront «reportées, à une date encore indéfinie», en raison de la pandémie.
«Les seuls sites 5G qui tournent actuellement sont uniquement des sites de tests. Les fréquences n'ont pas encore fait l'objet d'une décision d'attribution. Donc la 5G commerciale, ce n'est pas pour demain, y compris en douce», conclut l'avocat Alexandre Archambault.
A noter que les opérateurs anticipent d'ores et déjà le déploiement de cette nouvelle technologie : certaines antennes relais étaient en cours d'installation pour améliorer le maillage en 3G et 4G, et éventuellement être réutilisées dans le futur pour la 5G, puisque ces critères seront pris en compte pour l'attribution des nouvelles fréquences. C'est le cas par exemple de cette station dans la région Grand-Est, prévue depuis mai 2019 selon le Républicain Lorrain, et dont l'installation a commencé début mars, avant la nouvelle ordonnance.
Une autre information a également pu alimenter la confusion : en Belgique, l'opérateur Proximus a décidé récemment de lancer son offre 5G sur des fréquences normalement dédiées à la 4G. «A ma connaissance, il n'y a aucun plan de ce type en France», précise Gilles Brégant de l'ANFR.
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