Question posée le 20/04/2020
Bonjour,
Vous faites référence à cette publication, issue de Facebook, où un internaute partage une image intitulée : «La France n'apparaît pas dans la liste des 40 pays les plus performants face au Covid.»
Sous le titre, un classement de 40 pays, où n'apparaît en effet pas le drapeau français. «Quelle honte !», commente l'internaute, dont la publication a été partagée près de 5 000 fois.
Il n’est pas le seul à avoir partagé cette image. Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a également relayé ce classement. Et pour cause : le pays dont il est Premier ministre est en tête de celui-ci, devant l’Allemagne et la Corée du Sud. Suivent l’Australie, la Chine, la Nouvelle-Zélande, Taiwan, Singapour, le Japon et Hong Kong. L’Allemagne est donc le seul pays européen présent dans le top 10.
Israel has been ranked first in the Covid-19 Health Safety Countries Ranking on the Deep Knowledge Group (@DeepTech_VC) website.https://t.co/ssRnDMu5Bp pic.twitter.com/f1qTIOOYJj
— PM of Israel (@IsraeliPM) March 31, 2020
D’où provient de classement, qui a donné lieu en France sur les réseaux sociaux à des dizaines de commentaires critiques envers la politique du gouvernement ? D’un consortium, ou groupe de réflexion, basé entre Londres et Hong Kong, le Deep Knowledge Group, dont la mission principale est l’analyse de données, particulièrement dans le domaine scientifique.
Pour faire son calcul, ce collectif créé en 2014 a pioché, comme il l'explique sur son site, dans les données publiées quotidiennement notamment par l'Organisation mondiale de la santé, l'université américaine Johns-Hopkins, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies ou Worldometers. L'organisation assure collecter les données nécessaires pour son calcul auprès d'autres sources, mais ne détaille pas lesquelles.
«Les données ne sont pas analysées de manière efficace»
«Une énorme quantité de données sur la pandémie est générée chaque jour […] Les données ne sont pas analysées de manière efficace pour fournir des informations. La pandémie Covid-19 est un système complexe. […] Deep Knowledge Group a développé des cadres analytiques avancées pour analyser ces données», expliquait pour sa part la cofondatrice du Consortium, Margaretta Colangelo, dans un billet publié sur le site de Forbes le 13 avril.
Comment le consortium parvient-il à ce classement ? Grâce à un «score» attribué à chaque pays (ci-dessous Israël), obtenu grâce à des points additionnés dans 24 paramètres différents, regroupées en quatre catégories : l’efficacité de la quarantaine, l’efficacité de la gestion gouvernementale, la surveillance et détection de l’épidémie, et enfin les capacités hospitalières d’urgence dans chaque pays (quantité de ventilateurs ou de lits de réanimations par exemple).
Certaines de ces catégories regroupent parfois des critères très différents. Par exemple, pour l’efficacité de la quarantaine, le consortium prend aussi bien en compte la durée de la quarantaine que les sanctions attribuées à ceux qui ne respectent pas le confinement. Comment ? Cela n’est pas clairement détaillé sur leur site, dans la partie méthodologie.
La France, 26e sur 33 en Europe
La France figure bien quelque part, mais dans un autre classement. Le consortium a, en effet, également fait un top des pays où les risques structurels et humains liés au Covid-19 étaient les plus élevés. Là aussi, le chiffre est obtenu en attribuant une note à 24 paramètres, regroupés cette fois-ci dans les quatre catégories suivantes : le risque de propagation du virus, la gestion gouvernementale, l'efficacité des soins de santé, et les risques spécifiques à chaque région. Dans ce classement, la France est 5e. En première position l'Italie, puis les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Espagne.
Le consortium a également établi un classement européen des pays qui faisaient le mieux face à la pandémie. La France figure au 26e rang, sur 33. En tête de ce classement : l'Allemagne, suivi par la Suisse, l'Autriche, la Hongrie et le Danemark.
Critiques
Interrogée par le quotidien allemand Der Spiegel, Anastassia Lauterbach, experte en Intelligence Artificielle, considère ce classement «significatif» en raison de la densité de données prises en compte. Mais rappelle : «Le classement n'est qu'un instantané car les données sont constamment mises à jour.» De fait, les résultats évoqués ci-dessus datent du 12 avril, et ils n'ont pas été mis à jour depuis.
Dans un article au vitriol, qui accuse plusieurs membres fondateurs du consortium d'avoir bidonné leur CV, le média israélien The Times of Israël se montre nettement plus critique sur ce classement : «Les critiques ont rapidement balayé cette étude, soulignant à juste titre que si Israël n'était en aucun cas le pays le plus touché au monde, il existe de nombreux pays avec un taux de mortalité par habitant inférieur, un taux de tests plus élevé et une meilleure préparation», écrit le journaliste du site, s'indignant que Nétanyahou puisse se servir de ce classement comme d'une arme politique.
Contacté par CheckNews, Christian Selinger, chercheur post-doctorant en bio statistiques, génomique et épidémiologie, actuellement chargé de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, se montre également dubitatif à la vue de ce classement, et après la lecture de sa méthodologie. «Ils n'expliquent pas du tout comment ils prennent en considération l'hétérogénéité des données. Leur méthodologie n'est pas du tout claire, ce qui est un vrai problème. L'épidémie n'a pas démarré au même moment dans tous les pays, et cela ne semble pas pris en compte plus.»
Autre point discutable selon lui : «Il y a une vraie variation de la granularité des données, et de leur qualité : il y a des pays où, comme aux Etats-Unis, on peut connaître sans trop de soucis les revenus par foyer. Mais dans d'autre pays, où une grande partie de l'économie est informelle, ce n'est pas le cas. De ce simple point de vue là, comparer ces données semble très incertain.»
Cordialement