Question posée par Jean le 22/04/2020
Bonjour,
Votre question a été raccourcie, la voici en intégralité : «Pourquoi la mortalité a-t-elle baissé dans une vingtaine de départements tous dans le quart sud-ouest – voire beaucoup (10% et plus ) dans cinq d'entre eux ? Les accidents de la route peuvent-ils suffire à expliquer cette baisse régionale ?»
Vous renvoyez à la dernière publication de l'Insee consacrée à l'étude de la mortalité en France. Chaque semaine, depuis le début de la crise sanitaire, l'institut statistique publie les données de mortalité (avec dix jours de décalage) permettant de comparer la mortalité en France depuis le 1er mars à la même période en 2019.
Dans le quart sud-ouest
Comme on le voit sur la carte issue de la dernière publication, de nombreux départements – notamment en raison du Covid-19 – affichent une surmortalité entre le 1er mars et le 13 avril, 23 départements (en bleu clair) affichent eux une sous-mortalité sur la période par rapport à 2019. Ils se situent outre-mer, ou (l'essentiel) dans le quart sud-ouest du pays.
Capture d’écran d’une carte de l’Insee
Attention, cela ne veut pas dire que tous les départements qui figurent en bleu sur la carte ont connu une moindre mortalité depuis le début du confinement. En effet, l'Insee se base sur une période – plus longue –, allant du 1er mars au 13 avril.
Le Lot, par exemple, apparaît en bleu clair sur la carte de l'Insee, affichant une sous-mortalité sur la période du 1er mars au 13 avril. Mais le département a pourtant connu davantage de morts depuis le confinement que sur la même période en 2019 (20 de plus). En revanche, le Lot avait connu un faible nombre de décès entre le 1er au 17 mars, relativement à 2019 (30 de moins).
A l'inverse, certains départements peuvent apparaître en jaune clair sur la carte (légère surmortalité depuis le 1er mars), tout en ayant eu moins de morts depuis le début du confinement qu'en 2019. Il suffit qu'ils aient connu davantage de morts du 1er au 17 mars 2020, relativement à 2019.
C’est le cas des Landes, du Vaucluse, ou des Alpes-de-Haute-Provence, qui font pourtant partie des départements ayant connu (très légèrement dans les trois cas) moins de décès depuis le début du confinement que sur la même période en 2019.
Vingt départements
Pour avoir une idée de l’évolution de la mortalité uniquement depuis le 17 mars et le début du confinement, il faut aller fouiller dans les chiffres bruts que l’Insee livre en annexe de ses publications hebdomadaires.
CheckNews a compté vingt départements pour lesquels la mortalité a baissé entre le 17 mars et le 13 avril 2020, par rapport à la même période en 2019. Quasiment la moitié des départements (9 sur 20) se trouvent en Nouvelle-Aquitaine, région très peu touchée par le Covid-19. Voici les vingt départements (entre parenthèses, la baisse des décès) :
Alpes-de-Haute-Provence (-4,5%), Ariège (- 13%), Calvados (-0,5%), Cantal (-18%), Charente (-3,5%), Charente-Maritime (-2%), Creuse (-3%), Dordogne (-10%), Haute-Corse (-20%), Gironde (-3%), Landes (-1%), Lot-et-Garonne (-5,5%), Pyrénées-Orientales (-2%), Tarn (-8%), Tarn-et-Garonne (-27%), Vaucluse (-2%), Vienne (-2%), Haute-Vienne (-4,5%), Martinique (-2%), Guyane (-35%)
Un effet collatéral du confinement ?
Peut-on expliquer ces baisses par des effets collatéraux du confinement ? Celui-ci, en plus d'éviter une mortalité accrue en freinant la pandémie, a-t-il aussi limité la mortalité habituelle ? Les médias ont largement insisté sur l'impact du confinement sur le trafic automobile et donc sur la mortalité routière. En mars, 154 personnes sont mortes sur les routes de France, soit 101 personnes en moins par rapport à l'année dernière. Les chiffres de la dernière publication de l'Insee montrent qu'entre le 17 mars et le 13 avril, la mortalité a baissé de 26% chez les moins de 25 ans (passant de 448 à 332 morts), relativement à la même période en 2019. Et l'Insee de suggérer que cela s'explique «probablement du fait des mesures de confinement qui peuvent agir sur d'autres causes de décès notamment accidentelles». D'autres facteurs potentiels ont été évoqués comme le ralentissement de l'activité économique (qui peut se traduire par un nombre moindre d'accidents du travail). L'impact du confinement sur d'autres causes de décès est inconnu, notamment les suicides. «Personne ne sait dire quels effets aura le confinement sur d'autres types de causes de décès, notamment les maladies cardiovasculaires, qui sont les premières causes de décès en France», explique par ailleurs l'institut statistique.
Gare aux conclusions hâtives
S’il est possible que le confinement ait eu un impact (dans les deux sens) sur la mortalité en France depuis le 17 mars, il est impossible, en l’état, d’affirmer qu’il explique la baisse de mortalité qu’on a constatée dans vingt départements depuis un mois.
La baisse de la mortalité routière, fréquemment citée dans les médias, porte sur des effectifs trop faibles pour être un facteur d’explication unique. La sous-mortalité dans les vingt départements entre le 17 mars et le 13 avril 2020, par rapport à la même période en 2019, représente environ 350 décès en moins. Là où la mortalité routière a baissé au mois de mars de 100 morts… pour l’ensemble de la France.
Mais surtout, l'évolution de la mortalité par rapport à une année donnée dépend de nombreux facteurs – la mortalité était-elle particulièrement haute l'année précédente ? Y a-t-il eu une épidémie de grippe plus longue ? En Dordogne, un des départements pour lesquels la sous-mortalité est la plus forte depuis le confinement par rapport à 2019, l'essentiel de la baisse s'explique par les décès moindres chez les personnes de plus de 85 ans. France Bleu suggérait simplement comme possible explication une grippe moins virulente cette année.
On peut aussi noter que plusieurs départements sur les vingt présentaient déjà, sur la période du 1er au 17 mars (sans aucun rapport possible avec le confinement, donc) une mortalité inférieure à 2019 sur la même période. C'est le cas de l'Ariège, de la Charente, de la Dordogne, des Pyrénées-Orientales, du Tarn, du Tarn-et-Garonne, de la Haute-Vienne, de la Martinique ou de la Guyane.
Enfin, la mesure de la mortalité par rapport à une seule année (2019), et la faiblesse des effectifs (on parle parfois seulement, dans certains départements, d’une centaine de morts sur la période étudiée) rendent fragile la signification des données, et incitent d’autant plus à la prudence quant aux conclusions à en tirer.
Cordialement
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