Bonjour,
Plusieurs internautes nous ont interpellés sur une publication Facebook, attribuée au «Pr Jacques Theron, neuroradiologue CHU Caen». Selon ce texte, grâce à 50 autopsies effectuées à Bergame et à Milan sur des patients décédés du Covid-19, «il a été démontré que [le Covid-19] n'est pas une pneumonie [mais] une coagulation intravasculaire disséminée (thrombose). Par conséquent, la façon de le combattre est avec des antibiotiques, des antiviraux, des anti-inflammatoires et des anticoagulants. Les protocoles sont modifiés ici depuis midi ! […] des ventilateurs (sic) et des unités de soins intensifs n'ont jamais été nécessaires.»
Contacté par CheckNews, le Pr Jacques Théron dément être l'auteur de ce texte – et nous précise ne plus travailler au CHU de Caen depuis dix ans. Il n'a fait «que relayer vers quelques amis» le fameux texte, et «n'imaginai[t] pas qu'un simple échange d'information entre amis pouvait avoir une telle diffusion involontaire».
La publication circule en réalité depuis plusieurs semaines dans de nombreuses langues (notamment en italien, où il est cette fois attribué à un «cardiologue de Pavie» anonyme…). Celle-ci mêle quelques vraies informations à de nombreuses allégations et extrapolations douteuses, voire mensongères.
Les thromboses ne sont que l’une des complications possibles
Depuis quatre mois, de très nombreuses observations ont été réalisées montrant que l'une des complications possibles des formes sévères de la maladie était la CIVD (coagulation intravasculaire disséminée). Autrement dit : la formation de petits caillots sanguins qui entravent la circulation sanguine (thrombose) et perturbent la coagulation, provoquant des hémorragies. Ces caillots se formeraient notamment dans les vaisseaux pulmonaires. Dès février, une étude menée à Wuhan par le chercheur Tang Ning rapportait que sur 21 patients décédés, 15 présentaient vraisemblablement une CIVD.
Toutefois la CIVD n’est pas la seule forme de thrombose observée dans les cas graves de la maladie. Surtout : les thromboses ne sont pas observées chez tous les patients en soins intensifs.
Dans une étude française à paraître dans la revue Intensive Care Medicine, 64 complications thrombotiques ont été identifiées chez 150 patients atteints de formes sévères d'infection à Sars-CoV-2. Cet évènement était sensiblement plus fréquent chez les patients Covid+ que dans un groupe de patients présentant un syndrome de détresse respiratoire aigu sans lien avec le coronavirus. Les auteurs précisent qu'aucun des 150 patients Covid+ n'a développé de CIVD. Un constat analogue a été fait dans une étude néerlandaise sur 184 patients (31 % de thromboses, aucune CIVD).
Le taux d'embolie pulmonaire – habituellement provoqué par des thromboses – apparaît en outre particulièrement élevé chez les patients hospitalisés. Des angioscanners pulmonaires (scanners réalisés avec injection de produit de contraste) pratiqués au CHU de Besançon par l'équipe du Pr Eric Delabrousse sur 100 patients consécutifs présentant une forme sévère de la maladie ont ainsi révélé 23 cas d'embolie pulmonaire. L'embolie concernait 17 des 39 patients placés en soins intensifs.
Un surrisque connu et pris en compte
Une piste explicative à ces complications fréquentes (atteintes artérielles, développement de caillots) pourrait être l'affinité du virus pour les cellules constituant les parois des vaisseaux, et l'émission de facteurs de coagulation par ces mêmes cellules.
Le fréquent sur-risque de microthrombose est suffisamment connu pour que l'ISTH (Société internationale de thrombose et d'hémostase) présente le 25 mars des recommandations pour le recours à un anticoagulant (les héparines de bas poids moléculaire) chez certains patients présentant des formes sévères de Covid-19. Dans une notice publiée le 11 avril, le périmètre d'usage de ce médicament a été précisé par l'Agence italienne du médicament (AIFA), qui a également donné son feu vert à son évaluation clinique pour cette indication. Les bénéfices de l'héparine chez certains patients Covid+ présentant des troubles de la coagulation liés à l'infection ont été rapportés fin mars par l'équipe de Tang Ning. L'intérêt d'autres formes de l'héparine est également discuté.
Quoi qu’il en soit, le recours aux anticoagulants à hautes doses (au-delà des doses couramment employées pour limiter le risque de thrombose veineuse chez les patients en réanimation) semble sans bénéfice chez de nombreux patients Covid+ en soins intensifs dont le tableau clinique n’évoque pas d’évènement thrombotique.
Des autopsies suisses remettent en perspective celles réalisées en Italie
Revenons au message relayé sur les réseaux sociaux. Des autopsies de patients Covid+ ont bel et bien été réalisées à Milan et Bergame (plus de 80 dans cette dernière ville depuis mi-mars). Un compte rendu d'observation a été prépublié le 22 avril sur le site medRxiv (qui donne accès à des articles avant relecture critique indépendante et publication).
Selon cette étude, qui porte sur 33 hommes et 5 femmes, une CIVD a été observée au niveau des petits vaisseaux artériels dans tous les tissus pulmonaires analysés. Les auteurs décrivent également des lésions pulmonaires caractéristiques (dommages alvéolaires diffus, ou DAD), déjà décrites «pour les deux autres coronavirus qui infectent les humains, le Sars-CoV et le Mers-CoV».
Le fait qu'une CIVD ait été observée chez ces 37 patients italiens est notable. Mais il ne permet pas, comme le fait pourtant la publication virale, une généralisation abusive selon laquelle la thrombose serait systématiquement impliquée dans tous les décès. Publiées début mai, les données d'autopsies suisses sur 21 individus dressent en effet un tableau plus contrasté. Ainsi, des microthromboses au niveau des vaisseaux des alvéoles n'ont été observées que chez cinq individus. Une embolie pulmonaire a été observée chez quatre personnes, et des dommages alvéolaires diffus exsudatifs chez 16.
La pneumonie, complication la plus fréquente du Covid-19
«La pneumonie reste le motif d'admission en réanimation le plus fréquent, nous explique Thomas Gille, pneumologue à l'AP-HP. C'est la principale complication possible d'une infection à Sars-CoV-2. On est à la fois malade en raison de l'effet du virus sur les cellules pulmonaires, mais probablement encore plus de la réaction immunitaire disproportionnée en réponse. Difficile de différencier ces deux composantes au scanner : c'est cet ensemble que l'on désigne sous le nom de pneumonie.»
«Dans les formes sévères, la réaction inflammatoire peut prendre le dessus, faisant évoluer la pneumonie en un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Une pneumonie modérée peut survenir parallèlement à une embolie pulmonaire. Ce sont deux choses différentes.»
Pourquoi les respirateurs restent indispensables
Contrairement à ce que sous-entend la publication Facebook, les auteurs de l’étude italienne sur les autopsies ne remettent à aucun moment en doute l’intérêt des respirateurs.
Interrogé par CheckNews, le Pr Alexandar Tzankov, responsable des travaux suisses, critique vivement l'affirmation du message viral selon laquelle «des respirateurs et des unités de soins intensifs n'ont jamais été nécessaires». «Beaucoup de patients dans un état critique ont besoin d'une assistance respiratoire. Peut-être que cela devrait être fait avec des seuils de saturation d'oxygène inférieur et l'augmentation des transfusions de plasma… Mais il n'existe aucune donnée pour suggérer d'abandonner l'assistance respiratoire !» Il juge tout autant mensongère l'allégation selon laquelle accroître les places en soins intensifs «n'était pas nécessaire».
Lorsque les cellules qui tapissent les alvéoles pulmonaires sont infectées par le virus, leur destruction va avoir une conséquence directe : les poumons ne peuvent plus oxygéner correctement le sang. Le recours à un respirateur pour accroître l’apport en oxygène devient nécessaire. Le même problème survient lorsque l’infection entraîne une thrombose au niveau des vaisseaux pulmonaires. La ventilation mécanique peut parfois s’avérer nécessaire. Elle permet la survie des patients les plus sévèrement atteints, en maintenant une oxygénation maximale des alvéoles saines tant que les caillots entravent la circulation sanguine.
En résumé
La formation de caillots dans les vaisseaux irriguant les poumons n’est que l’une des complications possibles de l’infection par Sars-CoV-2, et non la cause systématique des symptômes du Covid-19. Le recours à des doses élevées d’anticoagulants est sans effet, et même potentiellement délétère, dans de nombreux cas.
A noter qu'en France, un nouvel essai clinique pour la prévention du risque de thrombose va être mené sur 600 patients Covid+, sous la coordination du Pr Stéphane Zuily (CHRU de Nancy). Le premier patient a été inclus ce 13 mars.