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Les chiffres de Zemmour sur les homicides de Noirs et de Blancs aux Etats-Unis sont-ils justes ?

Violences policières, une colère mondialedossier
L'extrême droite ressort des données sur le nombre d'homicides aux Etats-Unis, dont une partie est fausse, et l'autre, l'objet de comparaisons qui n'ont aucun sens.
Manifestation après la mort de George Floyd, à Times Square, le 1er juin. (TIMOTHY A. CLARY/Photo Timothy A. Clay. AFP)
publié le 2 juin 2020 à 18h36

Question posée par Stanislas le 02/06/2020

Bonjour,

Vous nous avez interrogés à plusieurs reprises sur le nombre de personnes tuées par des Blancs ou des Noirs aux Etats-Unis.

Après les manifestations qui ont suivi l'homicide de George Floyd par des policiers blancs à Minneapolis (Minnesota), des commentateurs ont avancé certaines données visant à montrer que les Noirs sont davantage tués par des Noirs aux Etats-Unis, et que la police tue en réalité plus de Blancs.

Ainsi, l’ancien eurodéputé front national Aymeric Chauprade a tweeté :

Même discours sur CNews, de la part du polémiste Eric Zemmour lundi soir :

«Les Américains sont les rois des statistiques ethniques. Ça a ses inconvénients, ses avantages, mais au moins on a les chiffres. En gros, ce qu’on pense nous en France, c’est que les flics blancs agressent les Noirs et tuent les Noirs. Voilà ce qu’on imagine, alors c’est en grande partie faux. Il faut bien comprendre que les Noirs sont tués d’abord par des Noirs, à 97%. Puis on peut voir qu’après les chiffres qu’ils donnent, les Blancs ont deux fois plus de chance d’être tués que les Noirs. Il y a à peu près 8 000 morts blancs par an et 4 000 Noirs. Sur ces 8 000 Blancs, 80% sont tués par des Noirs alors que les Noirs, eux, sont tués essentiellement par des Noirs. La police […], ils tirent aussi sur les Blancs. 40 à 50% des gens tués par an par des flics sont des Blancs. […] Il est faux de dire que les flics tuent plus les Noirs et que c’est du racisme que les Blancs tuent les Noirs.»

Ces chiffres figurent déjà dans une infographie retweetée par Donald Trump en… novembre 2015 pendant la campagne présidentielle américaine.

Ces chiffres ont été largement fact-checkés par nos collègues américains à l'époque, comme on peut le lire ici ou ici. A l'époque, les vrais chiffres issus du site du FBI étaient ceux-ci :

- 8% de Noirs tués par des Blancs (contre 2% selon Aymeric Chauprade et Trump)

- 82% de Blancs tués par des Blancs (contre 16%)

-15% de Blancs tués par des Noirs (contre 81%)

- 90% de Noirs tués par des Noirs (contre 97%)

A part pour ce dernier chiffre, les autres estimations amplifient donc par quatre à cinq la réalité.

CheckNews a refait le calcul avec les données de 2018, les dernières disponibles. Le résultat est quasiment le même :

- 8% de Noirs tués par des Blancs

- 81% de Blancs tués par des Blancs

-15,5% de Blancs tués par des Noirs

- 89% de Noirs tués par des Noirs

Quant aux personnes tuées par la police, ni le Fact-Checker, ni Politifact n'ont retrouvé la source des 1% et 3% avancés par Donald Trump en 2015 et aujourd'hui repris par Aymeric Chauprade (ces deux chiffres permettent d'arriver à 100% pour détailler les homicides dans chaque groupe, mais l'origine des données n'est en fait pas la même et ces chiffres ne peuvent pas être additionnés).

Par ailleurs, la comparaison du nombre de morts en valeur absolue n’a pas grand sens, même s’il est juste que, ces dernières années aux Etats-Unis, plus de Blancs sont morts suite à une intervention policière.

Comparer le nombre de morts par rapport à la population

Selon la base de données du Washington Post recensant les morts par balles par la police chaque année, deux fois plus de Blancs (2 416) ont ainsi été tués par la police depuis le 1er janvier 2015 que de Noirs (1 265). La mort de George Floyd, plaqué au sol de longues minutes avec un des quatre policiers, Derek Chauvin, pressant son genou contre son cou, ne figure pas dans cette base.

Le nombre de Blancs tués est donc supérieur, mais le rapport s'inverse totalement si l'on regarde en proportion de la population, les Noirs représentant 13% de la population américaine et les Blancs 76%. Ainsi, 30 Noirs par million ont été tués par balle par la police depuis le 1er janvier, contre 12 Blancs par million.

Comme le fait remarquer le journaliste Radley Balko dans une tribune publiée dans le Washington Post publiée vendredi dernier, «si on regarde le nombre d'homicides par arme à feu de personnes non armées, les policiers ont tué le même nombre de Blancs que de Noirs, ce qui implique donc une disparité raciale encore plus importante en pourcentage de la population. C'est probablement parce que quand ils interagissent avec des Noirs, les policiers semblent plus enclins à voir des mouvements inoffensifs – ou même des efforts pour obéir à leurs ordres – comme menaçants».

Même constat si l'on regarde le nombre de morts violentes engendrées par les forces de l'ordre, selon les statistiques du Center For Disease Control (CDC). Sur les 1 142 morts recensés dans 26 Etats américains de 2015 à 2017, 756 sont blancs contre 279 noirs. Rapporté à la population, deux fois plus de Noirs ont été tués par la police dans ces 26 Etats que de Blancs, selon ces statistiques.

Enfin, selon la base de données créée par le journaliste D. Brian Burghart, Fatal Encounters, qui recense tous les homicides par la police en s'appuyant sur les données officielles et les articles de presse, plus de 5 000 personnes ont été tuées par la police depuis 2015. Selon une étude menée à partir de ces données, entre 2013 et 2018, les hommes noirs ont 2,5 fois plus de risques d'êtres tués par la police au cours de leur vie que les hommes blancs.

En résumé, si on compare le nombre de personnes tuées par la police par rapport à la population, les Noirs ont bien plus de risques que les Blancs de mourir.

Ecoutez le podcast hebdomadaire des coulisses de CheckNews. Cette semaine :

Un extrait d’une émission de LCI est devenu viral un mois après sa diffusion à l’antenne, car utilisé pour expliquer comment le «vaisseau média mensonge» aurait menti sur le Covid-19. En analysant l’évolution de certains discours depuis le début de l’épidémie, une journaliste évoque des chiffres de létalité divisés, apparemment, par sept en quelques semaines. La létalité du virus serait ainsi passée de 3,5% à 0,5%. Fabien Leboucq et Pauline Moullot expliquent pourquoi ces données ne sont pas comparables.