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Des lacrymo ont-elles été tirées depuis les étages du tribunal de Paris, lors du rassemblement en hommage à Adama Traoré ?

Plusieurs témoins disent avoir vu des policiers, postés sur les terrasses du tribunal judiciaire, tirer des grenades lacrymogènes sur la foule en contre-bas. Pour l’heure, si les images prouvent une présence des forces de l’ordre dans les étages, aucune n’atteste de tirs depuis cet endroit.
Rassemblement devant le tribunal judiciaire de Paris à l'appel du comité Vérité pour Adama. (Stephane LAGOUTTE/Photo Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération)
publié le 5 juin 2020 à 15h28

Question posée le 03/06/2020

Bonjour,

Vous nous interrogez sur l’issue du rassemblement qui s’est tenu mardi 2 juin, au pied du tribunal judiciaire de Paris, à l’appel du comité «La vérité pour Adama». Interdit en milieu d’après-midi par la préfecture de Paris, il a réuni dans la soirée entre 20 000 (selon la préfecture de police de Paris) et 80 000 manifestants (selon les organisateurs).

L’essentiel du rassemblement, très compact, s’est déroulé dans le calme. Mais aux alentours de 21 heures – alors qu’Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré avait quitté le parvis et qu’une partie des personnes présentes était en train de s’extraire des lieux vers le boulevard Berthier – la situation a commencé à se tendre. Sur les réseaux sociaux, plusieurs manifestants indiquent que ce sont les forces de l’ordre qui ont ouvert les hostilités, notamment en jetant, depuis les terrasses du tribunal, des grenades lacrymogènes sur la foule amassée en contrebas.

C'est le cas de l'avocat Arié Alimi, qui affirme dans un tweet publié mardi soir : «Le plan de la préfecture de police était organisé depuis cet après-midi. Les forces de l'ordre étaient positionnées depuis 17 heures à l'intérieur du palais. Ils ont lancé des gaz lacrymo depuis les étages. Visiblement avec l'accord de la présidence du TGI, causant les incidents.»

Son tweet est assorti d’une photo, prise par ses soins, dans la cour arrière du tribunal, située au rez-de-chaussée. On peut y voir plusieurs policiers en tenue. Il est alors 17 heures, selon Arié Alimi.

L'animatrice Hapsatou Sy affirme, elle aussi, que «la manifestation était calme jusqu'à ce que les policiers sur les toits tirent des gaz lacrymo». Dans un autre tweet, elle demande aux internautes de fournir les preuves vidéo de ce geste.

Des forces de l’ordre sur le toit 

Qu'en est-il réellement ? La présence policière sur les toits, d'abord, se vérifie aisément. Sur place, CheckNews a pu effectivement constater des silhouettes en uniforme sur la terrasse arborée, accompagnées d'individus vêtus de pulls rouges, dès 20h30. Sur certaines chaînes, comme ici sur RT France, on voit également clairement des policiers accoudés à la rambarde.

La même chose se vérifie dans cette vidéo :

En revanche, aucune image sur les directs et sujets montés que CheckNews a visionnés jusqu'ici ne montre de grenades lacrymogènes tirées directement par les forces de l'ordre depuis les terrasses du bâtiment.

De nombreux témoins décrivent pourtant des grenades comme «tombant du ciel». De fait, plusieurs vidéos, postées notamment sur les réseaux sociaux, montrent des tirs de lacrymogènes tomber à la verticale sur une foule pacifique. S'ouvrent alors deux hypothèses : soit les grenades ont effectivement été lancées en surplomb, depuis les terrasses du tribunal. Soit elles ont été tirées au sol, en cloche, de manière réglementaire et au moyen d'un cougar (un lance-grenades d'une portée de 50 à 200 mètres). Ces tirs laissent, en théorie, le temps à la grenade d'exploser en l'air avant de retomber. Cette dernière, qui se désagrège, peut provoquer un effet de tirs «en pluie».

Tirs depuis le dépôt

D'après les informations que CheckNews a pu récolter, la situation semble basculer à 20h56. Le reporter de BFMTV  est sur place au moment des premiers tirs de gaz lacrymogènes. Précisément à cet instant, il filme un nuage de gaz entre le tribunal et le périphérique. Il précise : «J'ai vu des forces de l'ordre sur le toit, sur les terrasses du tribunal qui donnent sur le parvis. Pas un escadron, mais une poignée, une douzaine maximum. Je ne les ai pas vues tirer des gaz lacrymo depuis ces terrasses. A mesure que la foule grossissait, les forces de l'ordre ont reculé dans la rue sur le côté, sans rentrer dans le tribunal. J'étais à l'entrée du dépôt. Je les ai vus tirer des lacrymo depuis l'intérieur du dépôt. Cela faisait comme une pluie de lacrymo, mais je ne sais pas si c'était des lancers à la main ou au cougar.»

Quelques minutes plus tard, interviennent en effet les fameuses grenades à la verticale. La journaliste Coline Clavaud-Mégevand publie une vidéo, tournée par une de ses proches, à 21 heures. On distingue la foule, dont une partie semble refluer vers la gauche. Quand les grenades tombent, l’auteure des images tente instinctivement de remonter à la source du tir. Au moins un policier est alors visible, posté sur la terrasse. Mais on ne le voit ni tirer, ni recharger, ni lancer une grenade à la main. Deux autres individus semblent regarder la scène depuis un autre balcon. En bas, les manifestants se dispersent et l’ambiance s’électrise.

D’autres images, tournées à 21h02, montrent une présence policière sur le toit et de nouvelles grenades tomber à la verticale. Mais encore une fois, la provenance des tirs n’est pas clairement identifiée.

Interrogée, la jeune femme qui a tourné ces images indique avoir «vu les gaz venir au début du haut du tribunal. Il y a des policiers qui lançaient, et ensuite les CRS sont arrivés». Même version chez l'animatrice Hapsatou Sy, également contactée par CheckNews, qui assure, en parlant des grenades tirées depuis le toit : «Nous l'avons tous vu de nos propres yeux.»

Par ailleurs, des images du rassemblement ont été tournées au drone et montrent une impressionnante vue d'ensemble. Leur auteur affirme, lui aussi, à CheckNews avoir vu les policiers tirer depuis les terrasses, mais n'est pas en mesure de nous en fournir une preuve vidéo.

Sur place, au même moment, se trouve Charles Delouche, journaliste pour Libération. Il ne peut, quant à lui, se montrer catégorique, mais témoigne du doute qui surgit immédiatement dans la tête des manifestants, lorsque les premières grenades apparaissent : «A 21 heures, j'étais face aux terrasses, les forces de l'ordre étaient sur le toit. Autour de moi, j'ai remarqué que les gens ont crié "ils tirent du toit!" et effectivement les grenades pétaient très haut au-dessus du pont du périphérique, face au dépôt. Mais moi, je n'ai pas vu de tir direct.»

Précédentes confusions

Notons qu'à plusieurs reprises déjà, à Toulouse et à Clermont-Ferrand pendant les mobilisations de gilets jaunes, des manifestants ont cru voir des grenades tomber du ciel – ou plutôt d'hélicoptères stationnant au-dessus de leurs têtes. Dans les deux cas, il s'agissait en fait de grenades tirées en cloche, depuis le sol, et retombant à la verticale.

Par ailleurs, lors du rassemblement pour Adama Traoré mardi soir, les tensions ont perduré sur le boulevard Berthier, un peu à l’écart du parvis. Des images montrent toujours des grenades retomber en pluie, à la verticale, alors même qu’elles ne peuvent pas, cette fois, être tirées depuis les étages, le tribunal se trouvant à l’opposé de la provenance des tirs.

Côté autorités, on assure qu'aucune grenade lacrymogène n'a été tirée depuis le tribunal. Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire, était sur place, en lien avec la préfecture de police. Il indique à CheckNews : «Dans un premier temps, il n'y a pas eu d'intervention de police au tribunal. Seul était présent dans l'enceinte le service de sûreté, qui relève de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC, ndlr) et qui est toujours présent sur place. Je n'ai pas donné l'autorisation à des services extérieurs d'accéder aux terrasses du huitième étage. Il est vrai qu'aux alentours de 21 heures, lorsque la situation s'est tendue, des renforts de police sont intervenus. Mais ils n'avaient pas accès aux terrasses. Les seules personnes présentes au niveau des terrasses du huitième étaient les agents de la DOPC et les agents de la sécurité incendie. A aucun moment il n'y a eu des tirs de projectiles depuis la terrasse.» Par ailleurs, la présidence du tribunal assure à CheckNews que les équipes DOPC présentes n'étaient pas dotées de grenades lacrymogènes. Sollicitée sur ce point, la préfecture de police de Paris n'a pas apporté d'élément.

Le parquet de Paris, enfin, précise qu'«à (leur) connaissance, aucune projection de gaz lacrymogène n'a eu lieu mardi soir depuis les terrasses du palais de justice de Paris».

Pour l'heure, donc, malgré de nombreux témoins qui assurent avoir vu des policiers tirer depuis les balcons, aucune preuve vidéo ne vient appuyer ces propos. Mercredi, «dans l'incertitude» et faute de confirmation, l'avocat Arié Alimi a supprimé son tweet initial.

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