Question posée le 05/06/2020
Bonjour,
L'appel du président de la République, dimanche, à «travailler et produire plus», a ravivé les inquiétudes concernant l'augmentation du temps de travail et d'éventuelles baisses de salaires. Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière, alertait dès dimanche soir sur RTL : «Le salaire n'est pas l'ennemi de l'emploi. Ce ne serait pas juste et ce serait contre-productif sur le plan économique, a fortiori avec la période de congés qui arrive où le tourisme national va avoir du mal à compenser les visites des étrangers.»
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Le lendemain, sur BFMTV, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, ont temporisé les déclarations d’Emmanuel Macron, en écartant une augmentation généralisée du temps de travail.
«La lecture [des propos du Président, ndlr] est très simple. Il faut que nous travaillions tous. Il faudra trouver un emploi pour les jeunes qui vont rentrer sur le marché du travail dans quelques mois», a insisté Bruno Le Maire. Interrogé sur la réduction des RTT et des congés dans les entreprises, Gérald Darmanin a assuré, de son côté, que ce type de solution au sein des entreprises ne devait «pas du tout être la règle générale. La contrepartie de produire plus, c'est que les ouvriers et les employés de France gagnent plus».
De quoi dissiper les inquiétudes des salariés ? Vous nous interrogez précisément sur la photo d'un visuel diffusé par une chaîne de télévision, intitulé «baisse de salaires : une menace qui se précise». On y retrouve une liste de mesures comme la «réduction de la rémunération de 20%» ou encore la remise en cause du 13e mois. Cette image a été partagée de nombreuses fois sur les réseaux sociaux début juin, alimentant les craintes d'une baisse généralisée des salaires. Certains y voyaient la présentation d'un «programme» global pour l'ensemble des Français, quand d'autres assuraient qu'il s'agissait d'une parodie.
Au moins, le programme est clair. Si on ne se révolte pas maintenant, on crèvera comme des chiens. pic.twitter.com/2xrG7MlfXM
— Fabien Tarlet (@FTarlet) June 5, 2020
sur un compte Tweet parodique...j'ai pas retenu...mais en cherchant un peu, je pense que ça peut se retrouver...
— DécérébréEnMarche! (@DecerebreLREM) June 5, 2020
T'as bien compris que c’était une parodie qui faisait reference à l'actualité, tout de même..??? dans une parodie, y a toujours une part de verité...😉 pic.twitter.com/9mVWrKUuzb
Cette capture d’écran n’est pourtant pas un fake. Elle a été prise sur CNews, qui a diffusé le visuel en question le 2 juin 2020, comme a pu le constater CheckNews.
Quel est le contexte ? Eric de Riedmatten, journaliste, évoque dans une chronique les difficultés économiques liées à la pandémie du Covid-19. Dont «une envolée du chômage vers 10% et au-delà», due à la crise économique qui devrait suivre, explique-t-il alors.
Une réunion rassemblant patronat et syndicats était prévue à l'Elysée, deux jours plus tard, le 4 juin, sur ces sujets. Au programme, le soutien des apprentis et l'activité partielle, mais aussi des «questions qui fâchent», comme la baisse des salaires, indique le journaliste de Cnews pendant sa chronique.
Au moment où le visuel apparaît, il explique : «Concernant les propositions de baisser des salaires contre emploi, on parle d'une réduction de rémunération de 20%, d'un 13e mois remis en cause, de la suppression de l'indemnité transport, de l'indemnité de repas annulée : ce que proposent Ryanair et la société Derichebourg qui est un équipementier aéronautique. Bref, si cette mesure de baisser les salaires pour sauver l'emploi était en voie de généralisation, il faut bien reconnaître que ce serait une véritable bombe dans cette guerre contre le chômage.» Le visuel présente donc un résumé de plusieurs mesures prises par deux entreprises et non un programme qui vise à être généralisé, comme ont pu le croire certains.
Des baisses de rémunération dans certaines entreprises
Le 15 mai, la filiale de Ryanair opérant en France avait ainsi envoyé un mail aux élus représentant les hôtesses et stewards, menaçant de «licencier 27 personnes» si le SNPNC-FO, syndicat majoritaire, «ne s'engag[eait] pas rapidement à accepter des baisses de salaires», comme nous l'expliquions dans Libération. La compagnie low-cost souhaite notamment imposer des baisses de salaires de 20% pour les pilotes et de 10% pour les personnels navigants commerciaux, via un «accord de performance».
De son côté, Derichebourg Aeronautics a proposé le même type d'accord, censé éviter la suppression de 700 emplois. Le texte a été signé vendredi par Force ouvrière, le syndicat majoritaire, supprimant ainsi certaines primes, l'indemnité de transport et celle de repas (remplacée en partie par des tickets-restaurants), soit 280 euros par mois sur dix mois, d'après l'Usine nouvelle. «Par ailleurs, les salariés qui perçoivent plus de 2,5 Smic perdront leur 13e mois en 2020», peut-on lire dans l'article. C'est l'un «des premiers accords de performance collective post-crise sanitaire», observe le média spécialisé.
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Pour rappel, les «accords de performance collective» proposés par ces entreprises ont été rendus possibles par les ordonnances travail de l'automne 2017. Négociés au niveau de l'entreprise avec les syndicats, ils permettent notamment de modifier la durée du travail au sein de l'entreprise, ou de revoir les rémunérations. Les salariés qui, individuellement, s'opposent à l'application de l'accord une fois adopté, s'exposent alors à un licenciement.
La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, défendait le 1er juin le recours à ces accords dans les entreprises en difficulté, comme une alternative aux suppressions d'emploi. «J'ai un appel aux entreprises. On va être en situation difficile économiquement, donc il y a un risque sur l'emploi, mais il y a des alternatives. […] On peut négocier les accords de performance collective […] qui permet de se dire plutôt qu'il y en ait 20% qui perdent leur emploi, on va pendant quelque temps baisser le temps de travail donc la rémunération. Il y a des solutions. Il y a des alternatives», explique-t-elle.
Cette position a été perçue comme un appel à revoir les salaires à la baisse. A noter toutefois que la ministre a aussi souligné que le travail supplémentaire devait faire l'objet d'une rémunération en heures supplémentaires. Et le 2 juin, Muriel Pénicaud critiquait la façon de procéder de Ryanair qui ne respecte pas, selon elle, «l'esprit» des accords de performance.
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Mais qu'en est-il des négociations au niveau national ? D'après la CGT, présente lors de la réunion du jeudi 4 juin à l'Elysée, la baisse de salaire et la hausse du temps du travail n'ont pas fait partie des discussions avec le gouvernement. Même retour de la part d'Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière, contacté par CheckNews : les baisses des salaires et l'augmentation du temps de travail «n'ont pas été discutées, le président de la République a mis sur la table un certain nombre de sujets dont l'activité partielle de longue durée».
A l'issue de la réunion, le gouvernement a fait des annonces sur l'apprentissage, la réforme de l'assurance chômage et l'évolution du dispositif de chômage partiel. Contacté, le ministère du Travail indique que «les concertations menées par la ministre du Travail à la demande du président de la République portent sur cinq sujets : le dispositif de chômage partiel longue durée, l'emploi des jeunes, la formation, l'assurance chômage, le travail détaché. Les concertations [en bilatérale, ndlr] ont débuté vendredi et se poursuivent jusqu'à mercredi».
En résumé, l’augmentation du temps de travail et la baisse des salaires peuvent être décidées dans le cadre d’accords de performance collective signés à l’échelle des entreprises. Mais de telles négociations ne sont pas en cours au niveau national. Lors de leurs interventions, les membres du gouvernement n’ont d’ailleurs cessé d’en appeler à la responsabilité des entreprises, tout en évoquant une rémunération supplémentaire pour les salariés amenés à travailler plus.
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