Bonjour,
Vous nous interrogez sur une déclaration du directeur général de la santé, Jérôme Salomon, faite mardi lors de son audition devant la commission d'enquête parlementaire sur le Covid-19.
Question du député LR de l'Ain Damien Abad : «Pourquoi, sur les tests, vous avez fait l'exact inverse de ce que l'OMS [Organisation mondiale de la santé, ndlr] vous a recommandé ? L'OMS a dit : "Testez, testez, testez, testez". Et en France, on n'avait pas développé de stratégie de test massive.»
Réponse de Jérôme Salomon : «Il y a peut-être eu une difficulté d'interprétation dans les propos du directeur général de l'OMS, qui ne visait pas la France, mais qui visait de nombreux pays qui n'avaient pas accès aux tests. Il y avait encore beaucoup de pays qui n'étaient pas équipés de laboratoires de référence. On ne peut pas se permettre dans une pandémie mondiale d'avoir des pays qui n'ont pas accès aux tests parce qu'on ne sait pas ce qu'il s'y passe, c'est une inconnue totale. Et donc, il faut tester, tester, tester. Et nous avons répondu, j'allais dire, de façon encore plus volontaire à la demande de l'OMS, en disant que nous avons tous intérêt à tester, et c'est ce que nous avons fait.»
En clair : à aucun moment, selon Salomon, l'invitation de l'OMS à dépister massivement ne peut être assimilée à une critique de la stratégie hexagonale qui était alors menée.
Cette affirmation est très contestable. C'est le 16 mars, en préambule d'une conférence de presse, que le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lance son appel à tester massivement. Voilà un extrait du verbatim publié sur le site de l'ONU :
«Comme je ne cesse de le dire, tous les pays doivent adopter une approche globale. Mais pour prévenir les infections et sauver des vies, le moyen le plus efficace est de briser les chaînes de transmission. Et pour cela, il faut dépister et isoler. Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Et nous ne pouvons pas arrêter cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté par le virus. Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez. Testez tous les cas suspects. Si le résultat du test est positif, isolez-les et trouvez avec qui ils ont été en contact étroit jusqu’à deux jours avant l’apparition de leurs symptômes, et testez également ces personnes.»
Certes, le directeur général de l'OMS abordait dans cette allocution le cas des pays pas encore dotés de tests. Mais son propos, comme en témoigne l'extrait cité, avait bien une portée générale et ne visait pas seulement ces pays ne testant pas du tout, comme l'affirme Jerôme Salomon. Il visait aussi les pays ne testant pas systématiquement tous les cas suspects. C'est même écrit noir sur blanc dans un compte rendu que la rubrique ONU Info consacre le jour même à la déclaration du directeur général de l'OMS.
Voici ce qu'on y lisait : «Aux pays qui ne testent pas systématiquement tous les patients suspectés d'être infectés par le nouveau coronavirus, le message du chef de l'OMS se veut clair : "Testez chaque cas suspect de Covid-19." "Une fois de plus, le message clé est : testez, testez, testez. Il s'agit d'une maladie grave", a-t-il répété. Pour l'OMS, la nouvelle doctrine est de tester chaque cas suspect. "S'ils sont positifs, isolez-les et découvrez avec qui ils ont été en contact étroit jusqu'à deux jours avant l'apparition des symptômes et testez également ces personnes", a-t-il ajouté.»
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Or, la France, au moment de cette allocution, faisait précisément partie des pays qui ne testaient pas tous les cas suspects. Dans un article publié le 17 mars, au lendemain de la déclaration de Ghebreyesus, CheckNews faisait un point sur les pratiques en matière de dépistage dans l'Hexagone à ce moment-là, très éloignées du dépistage massif de l'ensemble des cas suspects. Voilà ce que nous écrivions :
En théorie, cette limitation des tests aux seuls patients graves devait s'opérer en phase 3. Dans les faits, elle a été anticipée, sinon précipitée, dans plusieurs hôpitaux, face à la croissance exponentielle des cas dans certaines régions et au sous-dimensionnement des capacités de dépistage. Ainsi, dès le 10 mars, Marc Noizet, chef des urgences de l'hôpital Emile-Muller de Mulhouse, avait annoncé : <em>«Nous ne prélevons plus tous les patients qui présentent une suspicion de coronavirus. L'établissement n'est plus en capacité de prélever que ceux qui présentent des critères de sévérité.» </em>Même chose à Paris, donc, plusieurs jours avant le passage au stade 3. Un état de fait assumé par les autorités<em>. «Il faut bien comprendre que les tests sont utiles pour comprendre où circule le virus. Ils deviennent moins indispensables dans les zones de circulation active où c'est la prise en charge sanitaire qui devient centrale»,</em> justifie le gouvernement sur le site d'information consacré au Covid-19, assumant cette stratégie.
Ce n'est que bien plus tard, après le déconfinement, que la France a invité l'ensemble des cas suspects, y compris les cas bénins, à se faire systématiquement dépister, après que les capacités de tests, très faibles au début de l'épidémie, ont augmenté.
A noter que, mi-mars, la pratique française consistant à renvoyer chez eux les cas bénins sans dépistage, avec comme seul conseil le respect des consignes de confinement s'opposait aussi à la doctrine de l'OMS énoncée à ce moment-là. Doctrine que résumait aussi l'article publié le 16 mars par ONU Info : «Dans ce combat contre le nouveau coronavirus, l'OMS conseille que tous les cas confirmés, même les cas bénins, soient donc isolés dans les établissements de santé, afin de prévenir la transmission et de fournir des soins adéquats. Même si elle reconnaît que de nombreux pays ont déjà dépassé leur capacité de prise en charge des cas bénins par un personnel spécialisé, l'agence onusienne insiste sur l'importance de maîtriser les chaînes de transmission.»
Cordialement