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Qui a rédigé les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ?

Les citoyens ont été conseillés par de nombreux experts, qui leur ont aussi apporté un appui pour la transcription réglementaire de leurs propositions.
Pendant un atelier de la Convention citoyenne pour le Climat, le 11 janvier à Paris. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 22 juin 2020 à 8h17

Question posée par Georges le 19/06/2020

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question, qui était : «Les propositions "radicales" de la Convention citoyenne ont été dévoilées. Quel a été le processus de leur élaboration ? Ne sont-elles pas d'abord les propositions des experts sollicités devant la Convention, plutôt que des citoyens tirés au sort et donc sans expertise ni analyse experte ?»

Après neuf mois de travail, les 160 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat ont remis leurs propositions à la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, ce dimanche après-midi avant de rencontrer Emmanuel Macron qui leur donnera des «premières réponses» le 29 juin. Pendant tout le week-end, les citoyens ont voté sur 150 propositions sur lesquelles ils ont planché depuis octobre dernier, parmi lesquelles la réduction de la vitesse à 110 km/h sur l'autoroute, l'organisation d'un référendum sur l'inscription de l'écocide dans la loi, l'interdiction des terrasses chauffées, de l'éclairage de nuit dans les magasins ou encore de la publicité pour les produits à forte émission carbone.

«On aurait aimé un peu plus d’imprudence»

Dans ce contexte, vous nous demandez si les citoyens ont eux-mêmes rédigé ces propositions, rejoignant ainsi plusieurs critiques de cette Convention citoyenne. Ainsi, dans le Figaro, l'avocat spécialisé en droit de l'environnement Arnaud Gossement regrette que les mesures soient peu novatrices : «On pouvait s'attendre à un rapport de citoyens. Par bien des aspects, c'est un rapport d'experts : il est évident qu'énormément de propositions n'ont pas été élaborées que par les citoyens. Le message des organisateurs est de dire qu'ils ont eu l'appui d'experts qualifiés […] On aurait aimé un peu plus d'imprudence de la part de citoyens. Quand on demande des notes à l'administration de l'Etat pour savoir quelles mesures on peut prendre, on obtient cela.»

Comme nous l'expliquions dans une réponse précédente, les citoyens tirés au sort ont été aidés par de nombreux experts. Ainsi, le comité légistique a «procédé à la transcription législative et réglementaire d'une partie des propositions de la Convention», note le dossier de presse de la Convention.

De la même manière, certains experts auditionnés sont arrivés avec une proposition de loi quasi ficelée. La juriste Valérie Cabanes explique ainsi dans Télérama que ce sont les citoyens qui ont demandé aux organisateurs de l'inviter pour parler d'écocide, alors qu'elle avait déjà rédigé une proposition de loi pour inscrire cette notion dans le code pénal rejetée par le Sénat en 2019. «Les citoyens m'avaient demandé de revenir les voir dans la journée pour parler du crime d'écocide. Je leur ai dit que je comprendrais très bien qu'ils n'aient pas envie qu'on leur apporte des solutions toutes faites, mais qu'ils ­devraient, à l'issue de leurs travaux, rendre une proposition impeccable. "On a besoin d'une loi ficelée sur le crime d'écocide", m'ont-ils dit. Or cette loi, je l'avais déjà préparée pour les parlementaires avec d'autres juristes. Je l'ai donc volontiers donnée aux citoyens. A eux, s'ils le souhaitent, de la modifier.»

En parallèle de leurs travaux, plusieurs ressources documentaires ont été proposées aux citoyens. Le Haut Conseil pour le climat a ainsi émis des recommandations, ainsi que le Conseil économique, social et environnemental (Cese) qui a organisé la Convention, et plusieurs ONG comme la Fondation pour la nature et pour l'homme et le réseau Action climat.

Les citoyens aiguillés par des experts

Comme l'explique le Monde dans un article sur le rôle des experts dans cette Convention, les citoyens ont bien été aidés, voire aiguillés par ces spécialistes. Selon une chercheuse qui a assisté aux travaux de la Convention, «les citoyens se sont passionnés pour le sujet et sont devenus, pour certains, presque des experts eux-mêmes, mais ils connaissaient à l'origine peu de choses aux politiques climatiques, et le temps imparti pour leurs travaux était très court». Elle estime que sans les experts, «la Convention n'aurait pas pu aboutir». Si certains observateurs estiment que le manque de contradiction face à ces experts a pu limiter le débat, voire que le groupe d'appui a «parfois suggéré la rédaction de certaines propositions», d'autres estiment que ce processus est inhérent aux conventions citoyennes. «C'est une construction entre les citoyens et les experts, faite de nombreux allers-retours, un réseau complexe avec des rapports de pouvoir, d'influence», explique ainsi Maxime Gaborit, doctorant à l'université Saint-Louis à Bruxelles auprès du Monde.

Restent que les citoyens ne semblent pas avoir été dupes. «Certains ont parfois essayé de nous orienter, mais on n'a pas l'impression d'avoir été manipulés, répond alors une participante tirée au sort au journal du soir. Chaque fois que je rentrais chez moi, je cherchais d'autres informations contradictoires.»

Auprès de Libération, une autre expliquait en novembre : «Quand le PDG d'Aéroports de Paris est venu nous "vendre" des avions verts sans évoquer la privatisation et l'agrandissement de Roissy, je bouillonnais. On nous demande de réfléchir à la façon de réduire les gaz à effet de serre et on le fait venir, lui. C'est du lobbying, il n'a rien à faire ici !» Un autre indiquait à propos de la position des experts sur la taxe carbone : «Les gens ont cette petite peur et ça nous protège. Si on est manipulés, on aura tout le loisir de le faire savoir à la fin.»

Laurence Tubiana, la coprésidente du comité de gouvernance de cette Convention, a ainsi expliqué à propos de ce lien entre citoyens et experts à Libération samedi : «Lors des auditions, ils ont été confrontés à des analyses parfois contradictoires. A partir de cela, ils ont construit leurs mesures. Ils n'ont pas cherché à supplanter les experts : ils les ont sollicités, écoutés avec leurs regards de citoyens et leur indépendance. Ce n'était pas une confrontation mais un rapport sain.»

Cordialement,

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