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Pourquoi l'enquête pour viol contre Gérald Darmanin a-t-elle été rouverte ?

Le dossier a été rouvert à la suite de l'annulation d'un appel de non-lieu en cour de Cassation. Pour la défense, c'est une simple question de procédure. Mais la partie civile y voit la reconnaissance «d'un déni de justice».
Gérald Darmanin, à son arrivée mardi à l'Elysée. (Francois Mori/Photo François Mori. AP)
publié le 9 juillet 2020 à 6h37

Question posée le 08/07/2020

Bonjour,

Lundi 6 juillet, Gérald Darmanin a été promu à l'Intérieur, malgré une plainte pour viol le concernant. Une enquête en cours qui, selon l'Elysée, ne constitue pas «un obstacle» à sa nomination. La plainte évolue d'ailleurs «dans le bon sens», ajoute-t-on du côté de la présidence, tandis que chez Bourdin, mercredi matin, Jean Castex, le nouveau Premier ministre, déclare «assumer totalement» cette nomination, répétant qu'il y a eu «sur ces mêmes faits, des actes d'instruction qui ont été clairement des actes de rejet».

Cette affaire, qui dure depuis plusieurs années, a connu de nombreux rebondissements et notamment une reprise récente de l’enquête le 11 juin. Dès lors, vous nous demandez pour quelles raisons les investigations, un temps arrêtées, ont à présent repris.

Plusieurs interruptions

L'affaire éclate dans les médias en janvier 2018. Le Monde révèle l'existence d'une enquête préliminaire pour viol, à l'encontre de Gérald Darmanin, alors ministre de l'Action et des Comptes publics. Selon la plaignante, Sophie Patterson-Spatz, ancienne sympathisante l'UMP, les faits remontent à 2009. Elle accuse celui qui occupe à l'époque un poste de chargé de mission au service des affaires juridiques de l'UMP, de lui avoir imposé une relation sexuelle en échange de son intervention dans un dossier judiciaire, en l'occurrence «que soit considérée avec bienveillance une demande de révision de son procès», affirment ses conseils.

Dès le départ, ce dossier a connu plusieurs interruptions, classements sans suite et nouveaux dépôts de plaintes. CheckNews refait donc la chronologie de l'affaire, en croisant les éléments fournis par la défense de Gérald Darmanin, d'une part, et de celle de Sophie Patterson-Spatz, d'autre part. Ainsi, il apparaît qu'une première plainte a été déposée par la plaignante en juin 2017, après une enquête pour viol ouverte par le parquet de Paris, celle-ci est classée sans suite en juillet 2017. Précisons que, dans le cas d'une plainte pour viol, l'ouverture d'une enquête préliminaire est automatique.

Une nouvelle plainte est déposée le 22 janvier 2018. La plaignante est entendue par la police judiciaire le 25 janvier, puis, le 16 février, nouveau classement sans suite pour absence d’infraction.

A nouveau, une plainte est déposée, cette fois avec constitution de partie civile, ce qui permet l’ouverture d’une information judiciaire avec désignation d’un juge d’instruction. On est alors le 5 mars 2018. Le 16 août, le juge d’instruction prononce un non-lieu, estimant que le défaut de consentement de la victime déclarée ne caractérise pas le viol.

L’affaire ne s’arrête pas là. Sophie Patterson-Spatz souhaite faire appel de ce non-lieu. Or, le 8 octobre 2018, cet appel est jugé irrecevable, car reçu par la chambre d’instruction en dehors du délai légal des dix jours.

A ce stade, la victime déclarée se pourvoit donc en Cour de cassation, afin de contester cet arrêt. En novembre 2019, la Cour de cassation infirme l’ordonnance du président de la chambre d’instruction, qui jugeait l’appel irrecevable, et renvoie à la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris le soin de déterminer si l’ordonnance de ce non-lieu doit être infirmée ou confirmée.

Cette question est finalement tranchée en juin dernier. Et la plaignante obtient gain de cause. Non seulement l'appel est accepté mais en plus, une information judiciaire est rouverte. A l'époque, ses avocates se félicitent d'avoir «une vraie information judiciaire, qui examinera sérieusement les éléments du dossier».

A cet égard, le Parisien cite une source judiciaire et «explique que la décision de relancer l'enquête aujourd'hui ne s'appuie pas sur un élément nouveau… mais par le fait que le juge d'instruction n'a mené aucun acte d'enquête : ni auditions, ni confrontation».

Les deux parties interprètent différemment la réouverture du dossier

Interrogé par CheckNews ce mercredi, Pierre-Olivier Sur, avocat de Gérald Darmanin, estime que la réouverture du dossier relève «uniquement d'une question procédurale. Vous imaginez bien qu'on ne nomme pas ministre de l'Intérieur un homme accusé de viol, il y a des contrôles», avance-t-il.

Mais pour la partie civile, c'est loin d'être aussi simple : «Ce n'est évidemment pas qu'une question de procédure», souffle maître Elodie Tuaillon-Hibon, qui défend Sophie Sptaz. «La chambre d'instruction devant laquelle nous avons plaidé en mai n'était pas censée s'occuper du fond, ce n'est pas ce qui lui était demandé. Elle a tout de même estimé qu'il n'était pas normal qu'un non-lieu soit rendu dans ces conditions, sans que l'affaire ne soit instruite, sans que ma cliente ne soit même reçue ! Elle a reconnu, implicitement, un déni de justice.»

L'avocate poursuit : «Les affaires de viol, ce n'est jamais simple. Mais en quinze ans, honnêtement, je n'ai jamais vu cela. On n'a jamais dû se battre à ce point et être obligées d'aller en cassation à ce stade.»

Par ailleurs, une autre enquête a visé par le passé le nouveau ministre de l'Intérieur. C'est le Point, en février 2018, qui révèle qu'une plainte pour «abus de faiblesse» est déposée. Cette fois, la victime déclarée affirme avoir fait l'objet de demandes sexuelles de la part de Darmanin, alors maire de Tourcoing, en échange d'un logement. Une enquête préliminaire a été menée par le parquet de Paris, mais la plainte a été classée sans suite. Les investigations n'ont «pas permis de caractériser dans tous ses éléments constitutifs une infraction pénale» a estimé le parquet.

EDIT vendredi 10 juillet 15h00 : ajout d'une précision des avocates de la plaignante sur la demande de révision de son procès. 

Cordialement,

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