Question posée le 8/07/2020
Bonjour,
Vous nous saisissez au détour d'un tweet estimant, après le remaniement gouvernemental mené par Jean Castex, que «la majorité des ministres viennent du PS et du Modem». Il s'agit d'une réponse à un autre internaute, qui a une lecture très différente : «C'est un gouvernement réac, de droite dure et populiste […] C'est un retour aux années Sarkozy.»
Qui dit vrai ? En analysant le profil des actuels ministres, Libé constate que «près de la moitié du nouveau gouvernement est composée de personnalités politiques qui ont fait leurs armes au PS, comme Olivier Dussopt, Florence Parly, Jean-Yves Le Drian et Olivier Véran, ou chez les radicaux de gauche comme Annick Girardin – il est à noter que tous étaient déjà ministres sous Edouard Philippe. Néanmoins, la nomination de Jean Castex au poste de Premier ministre, tout comme la promotion de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur, signe le retour en force d'une certaine droite sarkozyste au gouvernement. Roselyne Bachelot et Bruno Le Maire, tous deux ministres au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, complètent ce tableau.»
CheckNews vous propose de détailler l'origine politique des 32 membres du gouvernement Castex déjà nommés. Même si, pour l'heure, un seul secrétaire d'Etat a été nommé et que de nouveaux maroquins seront annoncés la semaine prochaine. Une raison d'espérer pour la majorité, qui s'estime lésée par l'actuelle distribution des rôles ministériels.
D’après notre recensement, huit actuels ministres ont été, avant 2017, élus ou ont fait campagne avec l’étiquette PS ; une avec celle du Parti radical de gauche ; et une avec celle d’EELV. On compte aussi dans l’équipe huit anciens UMP ou LR. Parmi les profils partisans, notons enfin la présence de trois Modem. Les onze autres membres du gouvernement n’ont, au moins avant LREM, pas fait de carrière ou de passage dans un parti politique, même si leur sensibilité peut parfois se lire sur ou entre les lignes de leurs parcours.
Ministres venus de la gauche (et apparentés)
La ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, ancienne nageuse professionnelle, a été candidate (et élue) apparentée au Parti socialiste aux régionales de 2010, en Ile-de-France, selon sa biographie sur le site de son association. De même, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a été membre de la majorité emmenée par le PS au conseil municipal du Mans en 2014, et candidate PS malheureuse aux départementales de 2015 dans la Sarthe.
Pour sa part, le secrétaire d'Etat et porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a adhéré en 2012 à la section de Vanves (Hauts-de-Seine) du parti socialiste, selon le Parisien, et occupé un poste dans le cabinet de l'ex-ministre de la Santé socialiste, Marisol Touraine.
D'autres ministres ont un profil de gauche (ou proche du parti socialiste) encore plus marqué. Comme Jean-Yves Le Drian, adhérant au PS en 1974 selon sa biographie sur le site du Parisien, et choisi pour le ministère de la Défense par Jean-Marc Ayrault. Un poste aujourd'hui occupé par Florence Parly, qui avait déjà des fonctions gouvernementales dans l'équipe Jospin, en 2000, et qui s'est encartée dans les années 90 au PS, selon le portrait qu'en a fait Libé il y a deux décennies.
Aussi, le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, la ministre déléguée à l'Autonomie, Brigitte Bourguignon, et le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, ont tous siégé comme députés dans le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, au moins au cours de la précédente mandature (2012-2017). Ce dernier a aussi été maire d'Annonay (Ardèche) sous l'étiquette PS. Outre le fait qu'elle a déjà occupé un poste de ministre sous François Hollande, Annick Girardin, actuelle ministre de la Mer, a également été apparentée au groupe socialiste au palais Bourbon.
Barbara Pompili, pour sa part, a été vice-présidente du parti Europe-Ecologie-les Verts, après avoir été en 2007 «nommée secrétaire adjointe du groupe parlementaire de la gauche démocrate et républicaine, qui rassemble à l'époque communistes et Verts», raconte Libé dans son portrait de 2012. Elle est ensuite nommée secrétaire d'Etat dans le gouvernement de François Hollande, et c'est depuis ce poste qu'elle rallie Macron dès 2017.
Ministres venus de la droite (et apparentés)
Certains ministres peuvent sans ambages être rattachés à la droite. Comme le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, passé dans les cabinets ministériels de la droite sous Chirac, puis devenu ministre sous Sarkozy, et enfin récemment candidat à la primaire de la droite pour la présidentielle de 2017. L'organisation de sa campagne a d'ailleurs incombé à un certain Sébastien Lecornu, aujourd'hui ministre des Outre-Mer, auparavant président UMP-LR du département de l'Eure, et qui déclarait il y a quelques années à Ouest-France : «J'aime l'ordre. Pour moi, la gauche représente le désordre. Et malgré mes origines populaires, je n'ai jamais cru à l'excuse sociale. Quand on travaille, on y arrive toujours.»
La Sarkozie est en bonne place dans ce gouvernement, dirigé par Jean Castex, ex-directeur de cabinet de Xavier Bertrand, conseiller de Sarkozy à l'Elysée, maire UMP puis LR de Prades (Pyrénées-Orientales), et soutien de Fillon dans la campagne des primaires de la droite. Même positionnement pour Gérald Darmanin, aujourd'hui au ministère de l'Intérieur, élu maire UMP de Tourcoing (Nord), filleul politique de Xavier Bertrand et «figure d'une droite populaire» écrivait déjà le Monde en 2014.
Elle ne jouit pas de la même notoriété mais la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, pourrait être rangée dans la même famille politique : si elle dit à Paris Match avoir hésité, en 2012, entre Hollande et Sarkozy, elle reconnaît avoir fait la campagne du premier en 2007, puis avoir travaillé pour sa ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse.
Quant à la ministre déléguée à l'Insertion, Brigitte Klinkert, elle appartient à la «droite modérée», selon un portrait de 2017 de Rue89 Strasbourg. La présidente du Haut-Rhin a toutefois bien appartenu au parti Les Républicains jusqu'en 2019, relève Libération, et certaines de ses mesures dénotaient, selon l'opposition, une «approche punitive» de la solidarité.
Notons enfin la présence, au poste de ministre délégué au Commerce extérieur et à l'Attractivité, de l'ex-député UMP Franck Riester, que Libé portraitisait comme un «RPR chimiquement pur [qui] adule Chirac et Seguin». Ou encore, à la Culture, de Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Santé sous Nicolas Sarkozy, députée RPR puis UMP, qui assurait en 2016 à Libé avoir cessé de s'encarter quand le parti s'est renommé Les Républicains.
Ministres marqués au centre(-droit)
Au rang des partisans, citons enfin les trois Modem du gouvernement : Geneviève Darrieussecq, «protégée de François Bayrou» (l'Express), devenue maire de Mont-de-Marsan (Landes) en 2014 en s'alliant à la droite, aujourd'hui ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants ; Marc Fesneau, ministre délégué aux Relations avec le Parlement et à la Participation citoyenne, qui a même été secrétaire général du Modem ; ou encore l'historique Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, dont la biographie sur le site du parti assure qu'elle s'est engagée au centre dès 1974, derrière Valéry Giscard d'Estaing.
Quatre actuels ministres font par ailleurs partie des marcheurs de la première heure (et n'existaient pas auparavant politiquement). Comme Julien Denormandie, aujourd'hui ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, qui a d'abord servi, sous Hollande, dans les cabinets des ministres socialistes Nicole Bricq (Commerce extérieur), et Pierre Moscovici (Economie). Il rejoint finalement celui d'Emmanuel Macron en 2014 à Bercy.
La ministre déléguée à l'Industrie Agnès Pannier-Runacher - qui se dit de gauche, selon son portrait dans Libé - a, pour sa part, été référente En Marche dans le 16e arrondissement à Paris pendant la campagne présidentielle et les législatives, nous a fait remarquer son entourage après la parution de ce papier.
Les deux autres ministres marqués LREM sont un peu moins précoces dans leur engagement avec Macron. Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports, était, avant de devenir député En Marche en 2017, contrôleur aérien puis pilote d'avion. «Au Parlement, ses collègues le classent à droite, écrit Libé dans son portrait. Lui s'en défend : "C'est le côté pilote qui conduit à le penser mais mon cœur et ma structure intellectuelle se situent à gauche."» Quant à Nadia Hai, ministre déléguée à la Ville, elle assure qu'elle a découvert l'engagement politique en étant élue députée LREM il y a trois ans, aux dépens notamment de Benoît Hamon. A l'Express, celle qui vient du milieu bancaire déclare : «J'étais plutôt à gauche, même si j'avais déjà voté à droite pour des élections locales.»
Sans étiquette partisane
On serait ainsi tenté de positionner à droite Jean-Michel Blanquer (Education Nationale, Jeunesse et Sports), qui ne s'est jamais engagé dans une élection, mais que l'UMP Luc Chatel qualifiait de «recteur des temps modernes» avant de le nommer directeur du bras armé du ministère de l'Education, la Dgesco, de 2009 à 2012.
A l'inverse, la ministre déléguée Emmanuelle Wargon (Logement), se pensent plutôt à gauche, malgré sa participation à des cabinets ministériels sous Sarkozy – encore que ce fut chez Martin Hirsch, qui détonnait dans un exécutif de droite. De manière plus évidente, on peut aussi classer plutôt à gauche la ministre du Travail, Elisabeth Borne, comme en témoigne son CV, exposé dans un portrait de 2015 dans Libé : ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal quand elle était ministre du Développement durable, passée par les équipes de la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, et nommée à la tête de la RATP par François Hollande.
Dernier nom et non des moindres : Eric Dupond-Moretti, qui se racontait comme un «homme de gauche» au Journal du Dimanche, il y a plusieurs années, ou encore comme «anar» et «bourgeois de gauche» lors d'une interview à la Tribune en 2015. A la rigueur, on devine où il n'est pas, puisque comme l'écrivait récemment CheckNews, le nouveau ministre de la Justice souhaitait, à la même époque, la dissolution du Front National.
Ni de droite, ni de gauche, ou un peu des deux
Restent, donc, les «inclassables». Celles et ceux qui, avant d’être choisis par Edouard Philippe ou Jean Castex pour rentrer au gouvernement, n’ont pas manifesté (à notre connaissance) de positionnement politique clair.
A leur tête, Alain Griset, ministre délégué aux Petites et Moyennes entreprise, qui a un parcours d'artisan-taxi, et surtout de responsable d'organisations professionnelles d'artisans, d'abord dans le Nord de la France puis au niveau national. Idem pour Elisabeth Moreno (ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes), venue du monde de l'entreprise mais dont le positionnement sur le spectre politique n'est pas de notoriété publique. Même constat enfin concernant Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, qui est pour sa part issue du monde de la recherche.
Edit le 13 juillet : Dans une première version de l'article, Agnès Pannier-Runacher était présentée parmi les «sans étiquette partisane». Elle figure dorénavant parmi les marcheurs de la première heure.
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