Question posée par Pascal le 26/07/2020
Bonjour,
Christophe Girard, adjoint à la culture à la mairie de Paris, a démissionné la semaine dernière. Le 23 juillet, dans un message publié sur ses réseaux sociaux, celui-ci écrivait : «J'ai 64 ans, une vie de famille épanouie, et de nombreux engagements culturels, politiques et associatifs, et n'ai nullement envie de pourrir ma vie plus longtemps et de m'emmerder à me justifier en permanence pour quelque chose qui n'existe pas.»
Ce «quelque chose qui n'existe pas» était au cœur de la manifestation, rassemblant une trentaine de personnes, organisée le même jour devant la mairie de Paris, à l'initiative de deux élues écologistes, Raphaëlle Rémy-Leleu et Alice Coffin, membres de la majorité municipale. Les manifestants réclamaient alors la suspension de Christophe Girard, et l'ouverture d'une enquête interne au sein de la mairie pour déterminer s'il avait utilisé son statut d'adjoint à la culture pour aider l'auteur accusé de viols sur mineurs.
«Pour être adjoint à la mairie de Paris, avoir un casier judiciaire vierge ne suffit pas, il faut aussi des qualités morales et éthiques, expliquait à cette occasion Raphaëlle Rémy-Leleu. On estime que le soutien de Christophe Girard à Gabriel Matzneff le disqualifie pour ce poste.»
«Bienvenue à Pedoland»
Au cours de cette manifestation, une pancarte brandie sur laquelle on pouvait lire «Bienvenue à Pedoland» avait provoqué la colère de la maire, Anne Hidalgo. Dans un communiqué, celle-ci avait dénoncé de «graves injures publiques» et «pris acte» du fait que les deux élues siégeant dans le groupe des Verts au Conseil de Paris se plaçaient d'elles-mêmes «en dehors de la majorité municipale».
Au lendemain de la démission de Christophe Girard, un hommage lui a été rendu au Conseil par le préfet de police Didier Lallement, entraînant applaudissements d'une majorité d'élus. «La honte ! La honte ! La honte !» avait alors hurlé en plein conseil municipal Alice Coffin, depuis placée sous protection policière après la vague d'insultes et de menaces, sur fond sexiste et homophobe, reçue suite à cette séquence.
Hommage appuyé du Préfet de police D Lallement : « J’adresse un salut républicain à C. Girard qui m’a donné hier une grande leçon de dignité et je veux saluer l’homme. » Ovation de nombreux conseillers. Sur sa chaise A. Coffin élue EELV crie « la honte la honte » - @BFMParis pic.twitter.com/YBaIdjjmQL
— Barthelemy Bolo (@B2Bolo) July 24, 2020
Avant même cette nomination et la manifestation qui a suivi, Alice Coffin s'insurgeait déjà contre cette décision, évoquant des liens «avérés» entre les deux hommes :
La Mairie de Paris doit nommer ce vendredi, lors du 1er Conseil de Paris,au poste de maire adjoint à la culture un homme dont les liens avec Gabriel Matzneff, qui sera jugé en 2021 pour apologie de viol aggravé, ont été avérés dans plusieurs articles ou livres.
— Alice Coffin (@alicecoffin) July 2, 2020
Hôtel
Dans ce contexte, vous nous demandez sur quels éléments se sont appuyées les élues écologistes pour demander la suspension de Christophe Girard.
En mars, ce dernier avait été interrogé comme témoin dans l'enquête ouverte pour «viols commis sur mineurs» de moins de 15 ans à l'encontre de l'écrivain pédophile. S'il a été entendu dans les locaux de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), à Nanterre, il n'est actuellement visé par aucune plainte dans cette affaire.
Comme l'expliquait Mediapart à l'époque, l'élu a en effet côtoyé l'écrivain dans les années 80, lorsqu'il était proche collaborateur du couturier Yves Saint Laurent (secrétaire général, puis directeur général adjoint de sa société).
En mars 1987, Gabriel Matzneff et Vanessa Springora, alors âgée de 14 ans, s'étaient en effet installés dans un hôtel, près du jardin du Luxembourg. «Pour échapper aux visites de la Brigade des mineurs», écrit la même Springora trente ans plus tard dans le Consentement, publié cette année aux éditions Grasset, et dans lequel elle décrit l'emprise que l'écrivain exerçait sur elle à l'époque.
La note de cet hôtel avait alors été prise en charge par la Fondation Yves Saint Laurent, racontait, dès 1993, Gabriel Matzneff dans son journal dédié aux années 86-87.
L'écrivain a confirmé cette information au New York Times, qui l'a rencontré en février. Dans un communiqué, Christophe Girard avait réagi ainsi : «Dans le cadre de mes fonctions et au titre du soutien que la société apportait à de nombreux artistes en difficulté momentanée (Marguerite Duras, Tsilla Chelton, Hervé Guibert, Patrick Thevenon, Rudolf Noureev…), l'écrivain Gabriel Matzneff a bénéficié, selon les instructions de M. Bergé, d'un soutien pour le règlement de frais d'hébergement, à la suite d'une opération chirurgicale des yeux.» Ce dernier affirmait alors n'avoir jamais lu le moindre ouvrage de l'écrivain, et n'avoir jamais suspecté que celui-ci était pédophile.
Changements de version
«Mais s'il a affirmé dans un premier temps n'avoir découvert la pédophilie de M. Matzneff qu'à la lecture du Consentement, il a ensuite indiqué en avoir entendu parler en 2013, quand M. Matzneff s'était vu décerner le prestigieux prix Renaudot et que des groupes antipédophilie avaient protesté», notait le New York Times, dans un autre papier, publié en mars et consacré exclusivement au cas Girard.
«Il dit aujourd'hui regretter ne pas avoir pris position contre l'écrivain, tout en soulignant que d'autres représentants ministériels, notamment des ministres de la Culture, étaient également restés muets», ajoutait le correspondant à Paris du New York Times, Norimitsu Onishi.
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Au sujet du livre, la Prunelle de mes yeux, dans lequel Gabriel Matzneff décrivait la relation qu'il entretenait avec Vanessa Springora et qui était dédié à Christophe Girard, l'élu répond, toujours au New York Times : «Je n'ai pas souvenir de l'avoir lu.» «Il n'a pas su nous expliquer pourquoi il avait déclaré le mois dernier au Parisien, l'avoir, au contraire, "partiellement" lu», souligne à nouveau le quotidien américain.
Allocation à vie
Toujours selon le quotidien américain, c'est notamment grâce à Christophe Girard – devenu adjoint à la culture à la mairie de Paris en 2018 – que Gabriel Matzneff a obtenu en 2002 une allocation annuelle à vie du Centre national du livre, normalement non attribuée aux écrivains retraités. «Cette demande lui a donc été refusée» dans un premier temps a depuis expliqué à l'Opinion l'actuel directeur du CNL, Vincent Monadé. Qui poursuit : «Il [Gabriel Matzneff, ndlr] a alors remué ciel et terre pour faire pression sur le CNL, du président du CNL Jean-Sébastien Dupuis, au ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, en passant par Christophe Girard et d'autres, des personnalités importantes, membres de l'Académie française ou prix Goncourt, qui sont intervenus en sa faveur. Au final, la pression a été telle qu'il a obtenu cette allocation annuelle pour les auteurs.»
A ce sujet, Girard a assuré dans un communiqué ne pouvoir «ni infirmer ni confirmer» cette information, n'en ayant pas «le souvenir». «Cela est tout à fait possible. Il est fréquent que les auteurs en difficulté financière sollicitent des lettres de recommandation.»
Notes de frais
Enfin, dernier point : Mediapart a révélé lundi que les services de la Ville de Paris avaient découverts, jeudi, trois notes de frais de repas entre l'élu et Gabriel Matzneff, toutes trois réglées par la Ville.
«L'une datée du 12 février 2019, portant sur un déjeuner au restaurant le Taxi jaune, pour un montant de 85 euros, que Christophe Girard a fait défrayer en tant qu'adjoint à la culture de la Ville de Paris. Les deux autres remontent à 2016 (un dîner) et 2017 (un déjeuner), lorsqu'il était maire du IVe arrondissement», détaille l'enquête en question, qui assure par ailleurs qu'Anne Hidalgo a transmis la première de ces notes au parquet de Paris, via son conseiller juridique. Cet élément a été versé à l'enquête préliminaire en cours.
«La maire a considéré que cette nouvelle pièce n'était pas incriminante, puisqu'on savait que Christophe Girard avait eu de toute façon des liens, qu'il avait été entendu par la justice et qu'il n'est visé par aucune plainte, rien du tout. Elle le transmet dans un souci de transparence et de coopération. Et elle réitère évidemment son soutien à Christophe Girard», a expliqué le cabinet de la maire à Mediapart.
Cordialement