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Peut-on être verbalisé par vidéosurveillance ?

La police de Millau, dans l'Aveyron, s'est aidée des caméras de vidéoprotection de la ville pour confirmer l'identité de manifestants et leur envoyer une amende par courrier. La procédure est légale, même si cela détourne les caméras de vidéoprotection de leur usage initial.
Des caméras de surveillance en France le 14 février 2019. (Photo Regis Duvignau. REUTERS)
publié le 3 août 2020 à 12h39

Question posée par François le 15/06/2020

Bonjour,

Votre question a été raccourcie, la voici en intégralité : «Le lendemain du premier déconfinement (12 mai), un rassemblement a eu lieu à Millau (12). Une trentaine de participants ont ensuite reçu une amende de 135€ sans qu'il y ait eu une quelconque présence physique de policiers. Cette verbalisation a été effectuée sur la base de la vidéosurveillance. Ce serait une nouveauté en France. Est-ce légal ?»

Vous faites référence à une manifestation non déclarée qui s’est tenue mardi 12 mai, à Millau (Aveyron). Une centaine de personnes se présentant comme la convergence des luttes millavoises étaient réunies pour dénoncer la gestion de la crise sanitaire, et soutenir les services publics et le système de santé.

Les militants affirment qu'une dizaine de jours plus tard, 36 personnes ont reçu par courrier une amende de 135€ pour «rassemblement interdit sur la voie publique dans une circonscription territoriale où l'état d'urgence sanitaire est déclaré» (Article L3131-15 et L3136-1 du Code de la santé publique, et article 7 du décret du 23 mars 2020, abrogé par le décret 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire).

Le vendredi 22 mai, une nouvelle manifestation non déclarée a été organisée sur le marché de Millau. Les manifestants s’étaient réunis en cinq groupes de dix, séparés d’un mètre entre eux. Ils racontent là aussi que par la suite, une dizaine de personnes ont été verbalisées par courrier, dont quatre qui étaient en situation de récidive.

Que s’est-il passé ?

Au total, une cinquantaine d’amendes ont été envoyées selon les militants. Les personnes sanctionnées soupçonnent une identification via les caméras de vidéoprotection de la ville puisque aucune interpellation et aucun relevé d’identité n’ont eu lieu sur place. Elles déclarent en revanche avoir vu des agents des renseignements territoriaux aux deux manifestations.

Une version en partie confirmée à la presse locale par le directeur départemental de la sécurité publique, Jérôme Buil : «Ces faits ont été constatés par les fonctionnaires de police présents sur le terrain. Il ne s'agit pas là d'une vidéoverbalisation mais de constatations réalisées sur les lieux des rassemblements. L'utilisation des images de vidéoprotection est venue en appui des constatations initiales effectuées par les policiers.» De plus, cité par nos confrères de Midi Libre, le commandant de police de Millau Pierre-Henri Calmejane a déclaré que «99 % des reconnaissances avaient été réalisées sur place. Elle [la vidéoprotection] n'est qu'un support pour accréditer les destinataires du PV et non le contraire. Les policiers ont appliqué l'essentiel de la verbalisation sur des constats sur le terrain.»

Est-ce légal ?

Que les manifestants aient été reconnus sur place, ou grâce aux images enregistrées par les caméras, ne change rien au niveau du droit, assure l'avocat spécialisé en droit des technologies avancées Alain Bensoussan. «Utiliser la vidéoprotection, c'est possible. On le ferait pour un assassinat, pour un délit, et on peut le faire pour n'importe quel type d'opérations. C'est une réquisition de la police, qui a parfaitement le droit de le faire», assure-t-il.

Dans un communiqué, la Ville de Millau confirme que les images des caméras ont été fournies à la police, selon la procédure habituelle : «Les réquisitions sont des actes de procédure par lesquels un officier de police judiciaire (OPJ) ou un magistrat enjoignent la municipalité de lui fournir les éléments vidéo qu'elle détient. C'est précisément cette procédure qui a été mise en œuvre concernant le regroupement de la convergence des luttes. La ville ne peut s'opposer à ces réquisitions sans motifs légitimes (images qui porteraient atteinte à la sûreté de l'Etat, compromettraient la sécurité publique, nuiraient à une procédure engagée devant une juridiction…) et n'est en rien responsable des suites données en matière de verbalisations.»

Julien Brel, l'avocat au barreau de Toulouse contacté par les manifestants pour contester leurs amendes, dénonce toutefois, dans le cas de ses clients, un usage de la vidéoprotection en dehors du cadre prévu : «Les vidéos ne sont pas censées servir à verbaliser ce type d'infraction», signale-t-il. L'article L251-2 du code de la sécurité intérieure liste les motifs pour lesquels des caméras de vidéoprotection peuvent être installées. Il s'agit par exemple de prévenir des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression, de vol ou de trafic de stupéfiants, de constater des infractions aux règles de la circulation, de protéger des bâtiments et installations publics et leurs abords, ou de lutter contre les incendies. Le règlement d'utilisation de la vidéoprotection de la ville de Millau dispose que les caméras ont été installées pour «améliorer la sécurité des personnes et des biens et lutter contre le sentiment d'insécurité».

Toutefois, selon l'avocate Alexandra Aderno, «même si le dispositif a été installé pour un motif plus large, il peut servir, dans le cadre d'une manifestation, à identifier une personne. Mais tout ça doit être fait dans le cadre d'une procédure juridiquement sécurisée.» L'avocate explique qu'une convention de partenariat doit être signée entre la police municipale et la police nationale. «A la base, le dispositif de caméras de vidéoprotection relève de la police municipale. Donc si derrière on identifie, on mène des interpellations ou des verbalisations, ce n'est plus la police municipale qui fait ça, on passe sur la police nationale. Des conventions de partenariat sont conclues pour savoir dans quel cadre les images peuvent être transférées. Il faut que cela soit respecté.»

Il existe une convention communale de coordination de la police municipale et des forces de sécurité de l'Etat «dès lors qu'un service de police municipale comporte au moins trois emplois d'agent de police municipale», indique l'article L512-4 du Code de la sécurité intérieure. L'article 512-6 dispose ensuite que cette convention de coordination «précise les missions prioritaires, notamment judiciaires, confiées aux agents de police municipale ainsi que la nature et les lieux de leurs interventions, eu égard à leurs modalités d'équipement et d'armement. Elle détermine les modalités selon lesquelles ces interventions sont coordonnées avec celles de la police et de la gendarmerie nationales.» Une coopération renforcée peut être mise en œuvre dans le domaine de la vidéoprotection. C'est ce qui est indiqué dans la convention de coordination entre la police de Millau et la police nationale, que CheckNews a pu consulter. Son article 19 dispose que les forces de la police nationale et de la police municipale partagent des informations utiles, notamment dans le domaine «de la vidéoprotection par la rédaction des modalités d'interventions consécutives à la mise à disposition des vidéos dans l'hypothèse de la commission de crimes ou de délits dans un site mis à profit par ce système de protection».

La ville de Millau, dans son communiqué, décrit d'ailleurs à propos de ce dispositif : «A de nombreuses reprises, la collaboration entre la police municipale, qui pilote le dispositif par le biais de la cellule de protection urbaine, et le commissariat a démontré l'utilité de caméras de vidéo protection à Millau pour la résolution de nombreuses affaires.»

Cordialement

Mise à jour le 05/08 à 9h31 : Correction du nombre d'agents de police municipale à partir duquel une convention de coordination est conclue.