Question posée par Simon le 03/08/2020
Bonjour,
Les députés ont adopté en deuxième lecture samedi le projet de loi bioéthique, autorisant notamment la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de lesbiennes. Avancée dont s'est félicité Emmanuel Macron ce week-end.
Le projet de loi bioéthique vient d'être adopté en 2e lecture par l’Assemblée nationale. Je salue l'engagement des parlementaires, des membres du gouvernement et du Comité consultatif national d'éthique. Ils ont permis l'adoption d'un texte d'équilibre dans un débat apaisé.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 1, 2020
Parmi les autres mesures votées, un amendement sur les interruptions médicales de grossesse (IMG), qui précise que la détresse psychosociale de la femme doit être prise en compte.
Le vote de cet amendement a été critiqué par le mouvement ultraconservateur Alliance Vita, qui «dénonce la disposition adoptée à la sauvette en pleine nuit à la fin de l'examen du projet de loi bioéthique qui fait exploser l'encadrement de l'avortement en ajoutant le critère invérifiable de "détresse psychosociale" pour recourir à l'interruption médicale de grossesse, jusqu'au terme de la grossesse.» Des médias comme Valeurs actuelles ou l'Incorrect (qui défend «l'union des droites») ont aussi relayé cette information.
Premièrement, notons que la loi prévoyait déjà que l'IMG puisse se dérouler sans restriction de délai, contrairement à une interruption volontaire de grossesse (IVG) qui doit se dérouler avant la douzième semaine de grossesse. L'IMG est réalisée pour motif médical, si la poursuite de la grossesse «met en péril grave» la santé de la femme ou si le fœtus est atteint d'une affection «d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.» Elle peut être réalisée jusqu'au terme de la grossesse.
Pratique «mal connue»
En quoi consiste l'IMG psychosociale ? Dans un document sur le sujet, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) explique que cette pratique, «mal connue» dans les services de gynécologie obstétrique, «concerne des femmes en situation de danger personnel, de violences, de difficultés psychologiques majeures ou d'extrême précarité, rendant impossible la poursuite de leur grossesse alors même qu'elles dépassent le délai légal de l'IVG de quatorze semaines d'aménorrhée. Ces situations rendent compte d'une bonne part des déplacements à l'étranger pour interruption de grossesse, néfastes pour la santé, onéreux voire inaccessibles pour certaines femmes.»
Le professeur de gynécologie obstétrique à l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) Aubert Agostini, par ailleurs membre du CNGOF, explique à CheckNews : «Les femmes l'ignorent souvent mais elles sont en droit de voir leur dossier examiné pour une IMG, même après le délai légal d'IVG. Ce qui ne veut pas dire que leur demande sera acceptée. Il y a très peu d'outils pour évaluer une détresse psychosociale mais il peut s'agir par exemple d'une femme victime de viol ou d'une mineure victime d'inceste qui découvre sa grossesse après le délai légal.» Le praticien précise qu'il y a très peu de demandes et qu'il y a peu de dossiers acceptés : «Il faut un travail de fond pour que la loi soit appliquée.»
Rarement pratiquée
Ainsi, comme l'expliquait Libération dans un article sur l'allongement du délai légal d'IVG, selon le Planning familial, sur les quelque 7 000 interruptions médicales de grossesse pratiquées chaque année, environ 250 le sont au motif d'une détresse psychosociale de la femme. «L'appréciation des médecins peut s'avérer aléatoire et source d'inégalités territoriales», déplore Caroline Rebhi du Planning familial.
Que va changer précisément l'amendement ? Il prévoit de rajouter les termes «ce péril pouvant résulter d'une détresse psychosociale», à l'article 20 du projet de loi bioéthique. Celui-ci dispose donc désormais : «Lorsque l'interruption de grossesse est envisagée au motif que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, ce péril pouvant résulter d'une détresse psychosociale, l'équipe pluridisciplinaire chargée d'examiner la demande de la femme comprend au moins quatre personnes…»
Dans l'exposé de l'amendement, porté par la socialiste Marie-Noëlle Battistel, il est expliqué que les situations de détresse psychosociale sont déjà prises en compte dans les IMG, mais qu'il existe «trop souvent des interrogations et des divergences d'interprétation sur l'opportunité de prendre en compte la détresse psychosociale parmi les causes de péril grave justifiant la réalisation d'une IMG. Il convient donc de clarifier le cadre juridique dans lequel le collège médical rend son avis sur l'opportunité de réaliser cet acte».
L'amendement était soutenu par la délégation aux droits des femmes (DDF) de l'Assemblée : deux de ses membres LREM (sa présidente, Marie-Pierre Rixain, et le député du Val-de-Marne Guillaume Gouffier-Cha) ont d'ailleurs déposé des amendements identiques.
Cadre «plus clair et lisible»
Concrètement, ce texte n'introduit donc aucune mesure ou critère nouveau. Il ne fait que clarifier le droit, comme l'ont précisé les députés lors des discussions parlementaires. Ainsi le rapporteur du texte Jean-François Eliaou (député LREM de l'Hérault), qui a appelé à retirer les amendements, reconnaît que ceux-ci «tendent à préciser que l'IMG pour cause maternelle, qui est possible lorsqu'il y a péril grave pour la santé de la mère, doit prendre en compte les situations de détresse psychosociale. Or c'est déjà le cas».
Il poursuit : «Vous avez souligné, comme le font les professionnels, l'existence de divergences sur le territoire dans l'application de cette possibilité. C'est un vrai problème mais, je le répète, le collège, les associations et la formation initiale et continue doivent jouer leur rôle. Le problème n'est pas le droit, mais la pratique. Vos amendements m'offrent l'occasion de le redire haut et fort : oui, l'IMG constitue une possibilité, et la santé de la femme doit être prise dans sa globalité, dont fait partie la santé mentale. Toutefois, le préciser dans ce texte me gêne. Puisque cette possibilité existe déjà dans la loi, pourquoi la rappeler ? Pourquoi énumérer ce seul motif d'IMG, et non pas d'autres ? Que se passera-t-il si ce péril résulte d'une cause purement psychologique, et non psychosociale ? Comment définir exactement les causes psychosociales ? Enfin, je crains qu'on n'envoie, en inscrivant cette précision dans la loi, un signal complexe sur la frontière entre IVG et IMG.»
Le secrétaire d’Etat Adrien Taquet, au nom du gouvernement, s’en est de son côté remis au vote des députés.
Loi pas suffisamment appliquée aujourd’hui
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), cité au cours des débats parlementaires, s'était déjà positionné à l'automne pour la prise en compte de la détresse psychosociale. «L'IMG d'indication maternelle implique une prise en compte des causes psychosociales "lorsqu'il y a péril grave pour la santé de la mère". Ce cadre juridique existe depuis la loi du 4 juillet 2001», qui dispose qu'une équipe pluridisciplinaire doit examiner toute demande d'IMG. Equipe composée «d'un médecin qualifié en gynécologie obstétrique, un médecin choisi par la femme et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue.» (1)
Pointant que la prise en charge de ces IMG est inégalement appliquée sur le territoire, le CNOGF préconisait alors de formaliser ces IMG : «Les situations difficiles, voire dramatiques que vivent les femmes justifient des processus de réflexion des équipes médicales dans la clarté et la transparence en utilisant complètement les dispositions légales de notre pays.» Pour le CNOGF et Aubert Agostini, le problème vient du fait que la loi déjà en vigueur est mal appliquée : les personnes constituant l'équipe pluridisciplinaire censée analyser le dossier n'étant pas les bonnes, et la patiente n'étant pas toujours entendue.
Contactée par CheckNews, la présidente du CNOGF Joëlle Belaisch-Allart répète que l'IMG psychosociale «existait déjà auparavant. C'est une pratique rarement utilisée». Ce que confirme Aubert Agostini : «Si cela clarifie le fait que la détresse psychosociale ne doit pas être exclue, tant mieux, mais cela ne change pas grand-chose à la loi. Cela rajoute une couche qui n'est peut-être pas nécessaire.»
Cordialement
(1) La loi de bioéthique prévoit désormais que «l'équipe pluridisciplinaire chargée d'examiner la demande de la femme comprend au moins quatre personnes qui sont un médecin qualifié en gynécologie obstétrique, membre d'un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, un praticien spécialiste de l'affection dont la femme est atteinte, un médecin ou une sage-femme choisi par la femme et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue».