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Les grenades lacrymogènes utilisées contre les manifestants à Beyrouth sont-elles fabriquées en France ?

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Ce week-end ont eu lieu à Beyrouth, une semaine après l'explosion, plusieurs manifestations pour protester contre les dirigeants du pays. Au cours de celles-ci, de nombreuses grenades lacrymogènes ont été utilisées par les forces de l'ordre. Parmi elles, certaines ont été vendues par des entreprises françaises.
Affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre sur la place des Martyrs, dans le centre-ville de Beyrouth, au Liban, samedi. (Photo Rafael Yaghobzadeh pour Libération)
publié le 10 août 2020 à 19h24

Question posée par cdespla le 08/08/2020

Bonjour,

Vous faites référence dans votre question, que nous avons raccourcie, aux propos tenus par le journaliste Rémy Buisine, lors de son live du samedi 8 août au Liban, où, une semaine après l'explosion qui a dévasté leur ville, de nombreux habitants de Beyrouth étaient dans la rue pour protester contre leurs dirigeants.

Lors de son live, le journaliste de Brut a en effet déclaré, alors qu'il accompagnait avec son téléphone les manifestants sur un sol jonché de grenades lacrymogènes : «Il y a des grenades lacrymogènes de partout. Il y a des outils utilisés par les forces de l'ordre ici qui rappellent beaucoup ce que l'on peut trouver en France. Il faut savoir que les gaz lacrymogènes qui sont utilisés ici sont des gaz lacrymogènes qui viennent de France, tout simplement.»

En février 2020, en effet, une question similaire nous avait été posée concernant l'utilisation d'armes françaises par la police face aux manifestants libanais, réunis d'octobre 2019 à février 2020 pour dénoncer la corruption de leurs dirigeants. Notre journaliste Fabien Leboucq avait, à l'époque, conclu à l'utilisation de plusieurs grenades lacrymogènes ou lance-grenades utilisés par les autorités libanaises, et fabriqués par des entreprises françaises.

Six mois plus tard, alors qu'Emmanuel Macron affirmait le 6 août à Beyrouth vouloir proposer «un nouveau pacte politique» et demander à ses interlocuteurs officiels de «changer le système, d'arrêter la division et de lutter contre la corruption», c'est toujours le cas, comme CheckNews a pu à nouveau le constater.

Ainsi, Richard Weir, chercheur, membre de Human Rights Watch, a pris plusieurs photos de grenades dégoupillées, dont il a fourni des originaux à CheckNews, qui permettent d'authentifier qu'elles ont été prises samedi 8 août, à Beyrouth, à proximité de la place des Martyrs, où se sont déroulées les manifestations.

Sur l'image visible ci-dessus, on distingue une grenade lacrymogène dite G1, avec une portée de 200 mètres. Les lettres «SAE» lisibles sur les photos ci-dessous renvoient au nom complet de l'entreprise d'armement et d'études Alsetex, à qui l'on doit également, entre autres, les dangereuses grenades GLI-F4 et GM2L, utilisées par les forces de l'ordre françaises. Sur d'autres photos fournies par Richard Weir, on distingue deux grenades lacrymogènes : une CM6, également produite par Alsetex, et une MP7, commercialisée par Nobel sport sécurité, identifiable grâce au sigle PB.

Utilisation «excessive et disproportionnée»

Sur Twitter, la chargée de campagne d’Amnesty international au Liban, Diala Haidar a également publié plusieurs photos montrant des grenades, dont elle indique qu’elles ont été produites par les entreprises françaises Alsetex et Nobel sport sécurité. On reconnaît, en effet, une grenade lacrymogène MP7 de Nobel sport sécurité et ce qui semble être une CM6 d’Alsetex.

Elle assure à CheckNews «qu'elles ont été utilisées contre des manifestants le samedi 8 août» et ajoute que «l'utilisation de gaz lacrymogènes était excessive et disproportionnée, affectant dans une large mesure des participants pacifiques qui ne se livraient pas à des actes de violence». Selon ses observations, les gaz lacrymogènes ont été «tirés directement sur les manifestants et à courte distance, ce qui indique qu'ils étaient utilisés dans l'intention de blesser». L'utilisation non réglementaire et «négligente» de ces armes nous a également été soulignée par Wadih Al-Asmar, directeur du Centre libanais pour les droits humains, qui déplore «l'absence de réaction virulente de la communauté internationale, en particulier de la France, fournisseuse de ces armes».

En plus de ces clichés réalisés par des représentants d'ONG humanitaires, CheckNews a retrouvé sur les réseaux sociaux et authentifié plusieurs images de munitions françaises utilisées à Beyrouth ces derniers jours. «Certaines portent l'inscription 12 PB 19 ou 06 PB 20, qui indiquent qu'elles ont été produites en 2019 et 2020», indique à CheckNews Maxime Reynié, photographe et journaliste, spécialiste du maintien de l'ordre. Ce qui implique donc qu'elles ont été livrées très récemment.

Lance-grenades

Sur plusieurs vidéos filmées en direct lors des manifestations du samedi 8 août (à partir de 8'20 sur celle-ci), on distingue également, comme ce fut aussi le cas en février, l'utilisation du lanceur de grenades à plusieurs canons, monté sur des véhicules des forces de l'ordre. Fabriquée par Alsetex, cette arme «reprend les canons des lanceurs monocoup Cougar» et «dispose de trois rampes de quatre canons» pouvant tirer au coup par coup ou par salve de quatre ou douze grenades, lit-on dans l'article consacré au salon de l'armement Milipol 2011 sur le site du ministère des Armées.

Sur la vidéo ci-dessous, filmée par Russia Today, on distingue également (à 30’40) un petit modèle de Cougar, le lanceur utilisé par les forces de l’ordre en France, et également produit par Alsetex.

Contacté par CheckNews, le ministère de l'Intérieur français n'a pour l'heure pas répondu à nos sollicitations. Nobel sport sécurité a refusé de répondre à nos questions et Alsetex n'était «pas disponible».

Cordialement