Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Adrien Quatennens, «en retrait» de l’Assemblée nationale, pourra-t-il continuer à être payé?

Violences conjugalesdossier
L’élu s’est mis en retrait de son poste en raison d’une procédure pour violences conjugales le visant. «Toujours député», il a donc droit à plus de 5 600 euros net mensuels, sous réserve de ne pas rester absent trop longtemps.
Adrien Quatennens à l'Assemblée, le 3 août. (Alain Jocard /AFP)
publié le 5 octobre 2022 à 10h39
Question posée par Guillaume le 4 octobre 2022.

Bonjour,

Vous nous interrogez sur les conditions dans lesquelles Adrien Quatennens pourra rester «en retrait» de son poste de député. Visé par une enquête pour violences conjugales, après que son épouse a déposé une plainte contre lui à Lille le 26 septembre (comme l’a appris une semaine plus tard l’AFP), l’élu La France insoumise (LFI) du Nord ne s’est pas rendu à l’Assemblée nationale lundi, alors que se tenait la rentrée parlementaire. Autre grand absent : le député Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) Julien Bayou, visé pour sa part par des accusations de violences psychologiques envers une ex-compagne.

Cette mise en retrait de ses fonctions de député, précédée, mi-septembre, d’une mise en retrait de son poste à la coordination de son parti, ne s’apparente pas à une démission d’Adrien Quatennens. Juridiquement, rien ne l’oblige d’ailleurs à quitter son siège. «Tant qu’il n’est pas condamné à une peine d’inéligibilité, il a le droit de siéger à l’Assemblée nationale», a rappelé lundi la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sur BFMTV-RMC, estimant ainsi que «c’est à lui de décider si effectivement il peut continuer à siéger, et à représenter ses concitoyens. C’est à son groupe de décider s’il peut continuer à siéger dans ses rangs». L’Insoumise Raquel Garrido est allée dans le même sens en lançant, dimanche soir : «Une fois que le peuple s’est prononcé, ce n’est pas aux partis de faire démissionner des députés. Imaginez ce monde où, après une élection, les partis viendraient dire «toi tu dégages».»

Depuis la publication, sur ses comptes Twitter et Facebook, d’un communiqué dans lequel il revient sur «les faits qui peuvent [lui] être reprochés», Adrien Quatennens garde le silence s’abstenant même de toute communication. Dans ce texte, mis en ligne le 18 septembre, le député du Nord a entre autres admis avoir «donné une gifle» à son épouse, «dans un contexte d’extrême tension et d’agressivité mutuelle». Un «fait daté d’un an» et qui «ne s’est jamais reproduit», selon lui. «J’ai profondément regretté ce geste et je m’en suis alors beaucoup excusé», écrit-il.

Il est donc revenu à la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale Mathilde Panot, lors de son passage lundi dans la matinale de LCI, d’esquisser ce que recouvre ce terme de «mise en retrait». D’abord, étant «en train de gérer le divorce» avec son épouse, Adrien Quatennens sera absent de l’hémicycle. Une situation qui durera «le temps qu’il faudra», martèle la patronne des députés insoumis. «Il y a à la fois un temps de divorce et de situation humaine. Il y a le temps de l’enquête qu’est en train de faire la [justice]. Donc ce temps-là, on ne peut pas le compresser tant qu’on veut.»

Ce retrait n’empêchera pas Quatennens de percevoir son indemnité parlementaire, «puisqu’il est toujours député», tranche Mathilde Panot. Et de rétorquer, lorsque l’intervieweur politique Adrien Gindre lui demande si cela reste valable «sans faire le travail parlementaire» : «S’il n’abandonne pas son mandat de parlementaire, qu’est-ce qu’il fait ? Il fait un virement de nouveau vers l’Assemblée nationale ? C’est absurde comme question.» Dans ces conditions, vous soulignez dans votre question qu’une telle mise en retrait pourrait s’apparenter à «un congé sans solde».

Retenues pour cause d’absentéisme

D’abord, donc, Adrien Quatennens ne remplira plus son rôle de parlementaire, et son siège restera simplement vacant. Lors de son élection, une suppléante a pourtant été désignée en même temps que lui pour le remplacer si nécessaire. Mais cela vaut uniquement si les circonstances l’empêchent de siéger sans pour autant entraîner l’organisation de législatives partielles, ou lorsque le député occupe de nouvelles fonctions incompatibles avec l’exercice de son mandat, comme l’expliquait CheckNews en mai, dans un article revenant sur le rôle des suppléants. En revanche, en cas de simple décision de se retirer pour quelque temps, le suppléant ne saurait être amené à prendre la place du député élu.

Dans le cas de Quatennens, c’est donc bien lui qui continuera à toucher l’indemnité parlementaire, comme s’il exerçait toujours son rôle de député. Théoriquement, il devrait donc recevoir chaque mois un «salaire» de 7 239,91 euros brut (5 679,71 euros en net), qui se compose de 5 623,23 euros au titre de l’indemnité parlementaire de base, de 168,70 euros pour l’indemnité de résidence, et de 1 447,98 euros d’indemnité de fonction (ce que détaille le site de l’Assemblée nationale). A ce «salaire», peuvent s’ajouter d’autres éléments de rémunération, soulignait CheckNews en juin.

Sanction rarissime

Même si le député n’exerce plus son mandat, son indemnité ne peut lui être retirée. En revanche, elle peut être amputée, pour tenir compte de ses absences. Deux règles instaurées en ce sens figurent dans le règlement de l’Assemblée nationale. En premier lieu, l’article 42 prévoit qu’«au-delà de deux absences mensuelles […] chaque absence d’un commissaire à une commission […] donne lieu à une retenue de 25 % sur le montant mensuel de son indemnité de fonction», sauf si elle est justifiée par d’autres impératifs parlementaires. Ainsi, chacune des réunions en commission manquées équivaut à une pénalité d’un peu plus de 360 euros pour le député absentéiste. Appliquée depuis 2009, cette sanction reste rarissime. Sa dernière mise en œuvre remonte à avril 2019. Le député Aurélien Taché, alors élu sous l’étiquette La République en marche (LREM) et depuis réélu sous les couleurs d’EE-LV, avait été pénalisé en raison de quatre absences hebdomadaires non justifiées lors de la Commission des affaires sociales.

A côté de cette règle sur les absences en commission, s’ajoute un article 159 concernant les votes publics dans l’hémicycle. Ce texte dispose que «le fait d’avoir pris part, pendant une session, à moins des deux tiers des scrutins publics […] entraîne une retenue du tiers de l’indemnité de fonction pour une durée égale à celle de la session ; si le même député a pris part à moins de la moitié des scrutins, cette retenue est doublée». Autrement dit, le salaire du député pourrait se trouver amputé chaque mois de quasiment 480 euros en cas d’absences injustifiées à plus d’un tiers des votes publics (globalement, tous les votes qui portent sur les textes de loi et leurs amendements), et de près de 960 euros s’il a été absent à plus de 50 % de ces scrutins. A ce jour, cette règle contenue dans le règlement de l’Assemblée est restée lettre morte. En février 2018, François de Rugy, alors président de l’Assemblée nationale, avait pourtant formulé le souhait de faire peser plus «strictement» les sanctions financières sur les épaules des députés qui feraient figure de «multirécidivistes de l’absence».

Rien n’indique, pour l’instant, qu’Adrien Quatennens sera privé d’une partie de l’indemnité versée aux députés. Rien ne dit, en outre, comment il s’occupe en attendant de retrouver son siège, et notamment s’il continue de s’adonner à l’autre flanc du travail parlementaire, celui mené au sein de sa circonscription. Interrogé par CheckNews à ce sujet, l’élu n’a pas donné suite à nos sollicitations, de même que d’autres membres de LFI.