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Affaire Nahel : le scoop bidon de la bollosphère pour faire la promo de son nouvel hebdo JDNews

Pour son lancement, mercredi, le nouvel hebdo du groupe, le «JDNews», prétend multiplier les révélations sur l’affaire Nahel. Il ne révèle rien du tout. Depuis, les médias de Bolloré font en boucle la retape du faux scoop.
Marche blanche en mémoire de Nahel à Nanterre, le 29 juin 2023. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 20 septembre 2024 à 16h07

Mercredi, c’était la sortie de JDNews, nouveau magazine de l’empire Bolloré, et ça valait bien une grosse opération de com dans les médias de la bollosphère. Pour son premier numéro, le JDNews, qui a vocation a «rétablir la vérité» (d’après l’édito de lancement signé par Laurence Ferrari), a enquêté sur la mort de Nahel, adolescent d’origine maghrébine de 17 ans tué par le policier Florian M. le mardi 27 juin 2023 à Nanterre après un refus de contrôle. L’hebdo promet en une des révélations : «Exclusif, une manipulation politico-médiatique démontée par l’enquête». Dans les pages intérieures, l’article est titré de manière aussi tapageuse : «EXCLUSIF - Affaire Nahel Merzouk : l’effondrement d’un récit mensonger».

Toute la journée, les chroniqueurs et journalistes du groupe ont salué le travail d’enquête du JDNews, évoquant abondamment des «révélations», de «nouvelles informations». Europe 1, le JDD, CNews puis C8 se sont mis en mode matraquage, prouvant que l’empire Bolloré est une machine médiatique désormais très bien huilée pour informer (ou désinformer) un large public.

L’auteur de l’article, William Molinié, a ainsi été invité chez Pascal Praud, puis chez Cyril Hanouna, sur Europe 1, où il a récité à quelque mot près le même laïus, présentant son travail, en évoquant les fameuses révélations auxquelles a abouti son investigation : «cet été, les juges d’instruction ont clôturé l’enquête. L’idée c’était de mettre la main sur le dossier d’instruction, plusieurs milliers de pages, qu’il a fallu éplucher, comprendre, il a fallu remettre les pièces du puzzle dans l’ordre. Et ce qui nous a apparu comme important, c’est que ce qui ressortait de l’enquête était en contradiction avec la première version livrée après les faits, et notamment le fait que Nahel Merzouk aurait été frappé par les policiers. L’autopsie est catégorique : il n’y a aucun coup. Par ailleurs il avait été dit que ces coups portés sur Nahel lui avaient fait perdre le contrôle du véhicule, et que le véhicule avait avancé, parce que c’était une voiture automatique, que son pied avait glissé de la pédale de frein et que la voiture était repartie. Ça aussi dans l’expertise c’est contredit, l’expert explique qu’il y a eu quatre actions successives volontaires de la part de Nahel Merzouk pour redémarrer le véhicule. Dernier élément qui vient contredire la version des parties civiles, c’est que le tir du policier était pointé originellement vers le bas et non vers le haut du torse. Et que c‘est cette action volontaire délibérée d’accélérer qui a fait dévier la trajectoire du tir.» Ces trois points, supposément nouveaux, ont été rabâchés en boucle toute la journée.

Tournée des médias Bolloré

Dès le matin, Geoffroy Lejeune, directeur des rédactions du JDD et du JDNews, avait donné le ton de la journée en narrant au micro de Dimitri Pavlenko sur E1, un papier «incroyable» sur l’affaire Nahel, «qui démonte factuellement, point par point», tous les éléments d’un faux récit. Modestement, Lejeune voit dans ce premier coup d’éclat la raison d’être du JDNews : «Contrecarrer le récit officiel, avec des éléments factuels, en travaillant un peu mieux que les autres.»

Sur E1, Sonia Mabrouk, recevant le criminologue Alain Bauer, n’a pas manqué de l’interroger sur «ces nouvelles informations».

Sur CNews, Grégory Joron, du syndicat de police Unité SGP, a aussi été invité à réagir. Et s’est réjoui des éléments qu’il dit avoir découverts dans l’enquête du JDNews : «C’est très parlant de savoir que finalement, alors qu’on nous disait que la personne avait accéléré parce qu’elle prenait des coups de crosse dans le visage, n’a jamais reçu de coups de crosse, que finalement pour redémarrer il fallait quatre actions volontaires, et que le hasard ne peut pas être à l’origine du départ.»

Dans Face à l’info de Christine Kelly (19heures sur CNews), Charlotte d’Ornellas a consacré une chronique au sujet.

Europe 1 soir y est allé de sa contribution, n’évoquant rien moins que des révélations «qui changent l’affaire». Invité de l’émission : l’avocat de Florian M., le policier ayant tué Nahel, maître Liénard.

Et pour boucler la boucle, on a retrouvé en début de soirée dans l’émission TPMP, sur C8, un Geoffroy Lejeune en faisant toujours des tonnes : «C’est un rebondissement assez incroyable, assure-t-il. Plus d’un an après, et il y a un journaliste d’E1 et du JDNews qui a tout simplement eu accès aux éléments de l’enquête, là c’est des gens qui prennent le temps de travailler sur le dossier et là c’est absolument incroyable : tout ce qui a été dit sur ce fait divers était faux en réalité.»

Face à cette stratégie de saturation en règle (qui s’est encore poursuivie jeudi), il s’est trouvé nombre de médias pour mordre à l’hameçon. Citons (au hasard) la Dépêche, le Télégramme ou la Montagne, qui relaient les révélations du JDNews.

Des éléments largement déjà évoqués dans la presse

Pourtant, l’enquête du nouvel hebdo sauce Bolloré ne révèle absolument rien qui n’ait déjà été écrit, largement, par d’autres médias, ces dernières semaines voire ces derniers mois. Les expertises sur lesquelles s’est appuyé le JDNews ont largement été évoquées, ainsi que leurs conclusions, dans la presse. Plus gênant, cette campagne de la bollosphère ne se contente pas de ne pas citer le travail des autres médias (inélégance tristement répandue dans la profession), elle les accuse surtout (à tort) de n’avoir pas fait le travail de fond, par partialité, réflexes anti-police, etc. En quelques mots, la bollosphère ment sans scrupule pour mieux prétendre «rétablir la vérité».

C’est d’abord BFMTV, le 4 juillet, qui décrit «ce que révèlent le rapport et les expertises réalisés après la reconstitution». Les journalistes de la chaîne, qui ont eu accès les premiers aux trois expertises remises aux juges d’instruction (les trois rapports – balistique, médical et d’accidentologie – réalisés après la reconstitution judiciaire du 5 mai) abordent en détail, plus de deux mois avant, tous les points abordés par le JDNews. RTL enchaîne le même jour, proposant là encore un tour très complet de l’état de l’enquête.

Le 5 juillet, le Figaro publie à son tour, en se basant sur les mêmes éléments, un long article ainsi titré : «Démarrage volontaire, trajectoire du tir, absence de “danger imminent” : ce que révèlent les dernières expertises sur la mort de Nahel». Les trois supposées révélations de l’article du JDNews sont là encore abordées en détail.

Sur la question des accusations de coups de crosse portés par l’agent, le Figaro évoque les résultats de l’autopsie : «Le médecin légiste présent à la reconstitution des faits du 5 mai dernier a rappelé que l’autopsie n’avait mis en évidence aucune “trace ecchymotiques sur le visage ni sur la face interne du cuir chevelu. Ceci est incompatible avec les coups de crosse décrits par les parties civiles et les témoins.”»

Le quotidien écrit également très clairement qu’il ressort de l’expertise «que Nahel a volontairement redémarré sa voiture». Le Figaro, qu’on ne peut pas soupçonner de gauchisme, ajoute aussi quelques détails d’importance issus de l’expertise : «Si Nahel a délibérément redémarré sa voiture, il l’a toutefois fait avec une «faible intensité», souligne le rapport, qui quantifie la vitesse à “17 % de sa course maximale”. Quand la voiture a achevé sa course en s’encastrant quelques mètres plus loin dans un poteau, elle roulait à 18 km/h. Il apparaît également que “le conducteur n’a pas donné de coup de volant vers les fonctionnaires de police, il n’y avait pas de risque d’écrasement”. Pour ces raisons, l’expert estime que “la mise en mouvement du véhicule ne présentait pas de danger imminent pour les fonctionnaires”.»

Cette absence de «danger imminent», formulée noir sur blanc par l’expertise, et sur laquelle BFMTV, RTL et le Figaro ont jugé utile d’insister, n’est guère mise en avant dans l’article du JDNews. Elle est évoquée, mais surtout pour être contestée. William Molinié préfère ainsi insister sur une déclaration de l’agent auteur du tir mortel : «Quand j’ai senti le véhicule repartir, je me suis senti partir aussi, mon collègue avait les bras dans l’habitacle et aussi pour sa protection, j’ai appliqué un tir pour éviter qu’on se fasse emporter ou coincer contre le mur, ou rouler dessus. J’aurais pu très bien trébucher et passer sous les roues arrière.»

Le Figaro enfin, signale que la mise en mouvement de la voiture «pourrait avoir modifié la trajectoire du tir de Florian M., mis en examen pour “homicide volontaire”.» Sur ce point-là encore, le Figaro est un peu plus complet, et nuancé, que le JDNews en précisant qu’on ne peut, d’après l’expertise, rien conclure quant à la question de l’intentionnalité de l’agent. «L’accélération pourrait donc avoir entraîné “une translation de la trajectoire [de la balle, ndlr] vers le haut”», écrit le quotidien, pour qui ces observations techniques, «ne peuvent cependant pas rendre compte des intentions de Florian M.». Et d’ajouter cette citation issue du dossier : «Il n’appartient pas à l’expert de préciser si ces mouvements ont été maîtrisés ou non.»

Dans le JDNews, rien de nouveau, et plutôt moins d’infos qu’ailleurs

Six jours après le Figaro, le 11 juillet, Libé consacre aussi un long article aux derniers éléments versés au dossier. L’article évoquait la thèse selon laquelle le jeune homme aurait démarré la voiture en raison des coups reçus, pour infirmer le récit des témoins : «Les deux jeunes témoins, passagers du véhicule, pensaient que des coups reçus par l’adolescent avaient pu l’étourdir et entraîner le démarrage du véhicule. Or, aucune marque de coups n’a été relevée à l’autopsie au niveau du visage. L’experte, légiste, juge “possible” que de légers coups n’aient pas laissé de trace, mais dans ce cas, “ils n’auraient pas pu avoir de retentissement sur le comportement” de l’adolescent», lit-on dans l’article.

Lequel poursuit à en invalidant à son tour l’hypothèse d’un démarrage involontaire du véhicule par Nahel : «Surtout, l’expert en accidentologie relève que le démarrage de la voiture ne s’est pas fait en lâchant la pédale de frein. Les données extraites des systèmes électroniques du véhicule révèlent que le bouton de contact a été activé, puis le mode D (pour actionner la marche en avant du véhicule) du levier de commande a été passé, puis une légère pression a été exercée sur la pédale de vitesse.» Là encore, Libé soulignait que le redémarrage avait été de faible intensité, et que c’était là un élément permettant de conclure à l’absence de «danger immédiat».

Libé aborde enfin un des points repris par le JDNews, à savoir la conduite dangereuse de Nahel avant le drame. Un point potentiellement décisif pour la suite de l’affaire, comme cela était expliqué : «Au cours des deux minutes et quarante secondes de poursuite entre la voiture et les deux motards, Nahel Merzouk a roulé à une vitesse moyenne de 69,5 km/h, a franchi à six reprises la vitesse de 90 km/h et a atteint la vitesse de 116 km/h, relève l’expertise», écrit Libé. Qui ajoutait : «Ces données pourraient permettre à la défense de justifier le tir par les dispositions de l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, créées par la loi de février 2017, dite Cazeneuve, du nom de l’ancien ministre de l’Intérieur socialiste. Ce texte prévoit la possibilité pour les forces de l’ordre d’ouvrir le feu contre les occupants des véhicules qui n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et “sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui”.»

Le 16 juillet, RTL rend compte de la première confrontation entre les deux parties qui s’est tenue la veille. Début août, BFM revient en détail sur les deux dans un article titré «Mort de Nahel : ce que révèlent les confrontations entre les témoins et les policiers.»

Autant d’éléments qui démontrent que l’investigation bolloréenne, non contente de ne pas apporter la moindre information sur l’affaire, est même plutôt moins complète que les nombreux articles sur le sujet publiés pendant l’été.

On notera que William Molinié – un peu gêné par le buzz mensonger autour de son article ? – s’est tout de même senti obligé de concéder à Pascal Praud, au détour d’une de ses interviews : «Il y a quelques informations qui ont été rapportées cet été par nos confrères, mais de façon assez éparse. Nous, ce qu’on a voulu faire, c’est entrer vraiment dans le dossier.» Manière de reconnaître, sans le dire franchement, que le scoop rabâché depuis mercredi n’en est pas un. Contacté, William Molinié n’avait pas donné suite vendredi à nos sollicitations.