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Alexis Corbière a-t-il violé le secret défense en évoquant les armes françaises envoyées en Ukraine ?

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Le député LFI de la Seine-Saint-Denis a évoqué ce mercredi 9 mars, les «gilets pare-balles et quelques missiles antichars» livrés par la France à l’Ukraine.
Accusé par certains adversaires politiques d'avoir violé la confidentialité des équipements envoyés par la France à l'Ukraine, Alexis Corbière, ici en septembre 2019 à Bobigny, n'a en réalité pas dévoilé grand chose. (Marc Chaumeil/Libération)
publié le 9 mars 2022 à 20h00

Alexis Corbière était interrogé ce mercredi 9 mars par le journaliste Marc Fauvelle sur les livraisons d’armes à l’Ukraine en cas d’élection de Jean-Luc Mélenchon à la présidence de la République dans deux mois. «Il y en a très peu. Vous parlez des armes Françaises, franchement c’est des gilets par balles et quelques missiles antichars», répond le député de la France Insoumise. Devant la surprise du journaliste face à cette information qu’il pense être classée «secret-défense», Alexis Corbière explique être membre de la commission de Défense à l’Assemblée nationale, avant de se rétracter et refuser de confirmer.

Une information qui «ne devait pas sortir»

La sortie du député insoumis a été vivement critiquée dans la journée, notamment par le candidat communiste à l’élection présidentielle Fabien Roussel. «La période est grave. Elle nécessite sérieux et esprit de responsabilité. On ne communique pas sur des informations secret-défense», a-t-il commenté sur Twitter. A la sortie du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal est aussi revenu sur cette affaire, sans préciser si l’information relevait du secret-défense. «Communiquer sur ce que nous envoyons à l’Ukraine, c’est communiquer sur ce dont l’Ukraine a besoin et donc, c’est communiquer y compris à la Russie sur ce qui manque à l’Ukraine dans cette guerre. Et donc, en responsabilité, nous avons fait le choix de ne pas communiquer sur cette liste», a-t-il déclaré.

C’est mardi 1er mars, au cours d’une réunion à huis clos, que le directeur de cabinet de la ministre des Armées, Martin Briens, a communiqué aux députés membres de la commission Défense et Armées «la liste des équipements qui sont fournis», précise le porte-parole du gouvernement. «Qu’un député membre de cette commission se permette de relayer sur un média des informations qui ont été communiquées dans le cadre de cette réunion, je le dis : ce n’est pas responsable», a critiqué Gabriel Attal, qui pointera ensuite des «approximations» de la part d’Alexis Corbière.

Pour autant, ces informations relevaient-elles du «secret-défense» ? Interrogé par CheckNews, le député LREM Stéphane Vojetta, qui a vivement critiqué sur Twitter la sortie de son collègue, confirme que les détails fournis aux membres de la commission étaient bien confidentiels, sans que le «secret-défense» soit évoqué. «L’intervenant a clairement et explicitement rappelé tous les membres à leur devoir de confidentialité face aux informations stratégiques qui allaient nous être divulguées», explique-t-il. «En particulier au moment de donner la liste des armements donnés à l’Ukraine, il nous a bien été spécifié que l’information ne devait pas sortir», insiste-t-il. Par ailleurs, dans le cadre des commissions à huis clos, il est demandé aux députés de laisser l’ensemble de leur matériel électronique dehors, «dans des casiers», relate Stéphane Vojetta.

Face à la polémique, Alexis Corbière a démenti en bloc les accusations de violation du «secret-défense» et a expliqué tenir ses informations de la presse. Le député a partagé un article d’Europe 1 publié le 8 mars. Si l’article évoque bien, sans être affirmatif, des «missiles antichar», il précise qu’il ne s’agit pas d’une information officielle et affirme également que le contenu précis du matériel envoyé est couvert par le secret défense. On y lit ainsi : «Paris assume l’envoi d’armes dite “létales” tout en les qualifiant de “défensives”. [...] En clair, la France ne livre pas de chars d’attaque ni d’avions de combat. En revanche, les spécialistes militaires évoquent des missiles antichars, des munitions, voire des mitrailleuses. Mais rien de tout cela n’est officiel, le contenu précis du matériel étant couvert par le secret de la défense nationale.»

Contacté par CheckNews, Alexis Corbière répète ne pas avoir eu connaissance de la liste des armes livrées par la France à l’Ukraine et précise qu’il n’était pas présent à la réunion évoquée par Gabriel Attal (ce que confirme le compte rendu de cette réunion disponible sur le site de l’Assemblée nationale). Son collègue insoumis Bastien Lachaud, aussi membre de la commission et présent ce jour-là assure ne pas avoir échangé avec Alexis Corbière au sujet du contenu de cette réunion (ce que CheckNews n’est pas en mesure de vérifier). L’élu de Seine-Saint-Denis précise aussi: «Aucun député n’est habilité secret-défense, excepté les députés membres de [la délégation] renseignement». Ainsi, «toute autorité qui aurait communiqué des informations classées secret-défense à des députés non-habilités aurait violé le secret-défense», poursuit Bastien Lachaud.

Une confidentialité toute relative

S’il est vrai que le gouvernement a fait le choix de ne pas communiquer jusqu’ici la liste exacte du matériel envoyé en Ukraine, quelques éléments ont été diffusés ces derniers jours. Le 1er mars, Florence Parly évoquait au Sénat l’envoi «non seulement d’équipements de protection et de carburants, mais aussi de missiles et de munitions». Le lendemain, le porte-parole du ministère des Armées Hervé Grandjean confirmait sur France info l’envoi «d’équipements létaux» acheminé par voie terrestre. L’exécutif a donc admis avoir envoyé des missiles, sans spécifier leur nature.

«Toute personne qui connaît le milieu, sait ce que “armes létales défensives” veut dire quand un pays est envahi par des chars», poursuit Bastien Lachaud. Une observation manifestement partagée par le journaliste Vincent Lamigeon, spécialiste défense chez Challenges : «Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que dans ces missiles et munitions, il y a de l’antichar. Tous les alliés européens de la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, en livrent à l’Ukraine. C’est un des grands besoins des forces ukrainiennes.»

Selon le grand reporter, les justifications avancées par le gouvernement pour expliquer son silence, à savoir la mise en danger de l’armée ukrainienne, sont aussi discutables : «Les réticences françaises à donner le détail des armes livrées peuvent avoir d’autres explications que celles avancées. Volonté politique de garder le contact avec le Kremlin par exemple. Cela peut aussi être lié au fait qu’il y a peu de stocks dans les armées, et donc peu de choses à envoyer en Ukraine», estime-t-il. De fait, plusieurs Etats européens n’ont pas fait mystère du matériel envoyé.

Quelques heures après l’intervention d’Alexis Corbière, le Monde confirmait que Paris a bien fourni des missiles antichars Milan à Kyiv. «Prélevée sur les stocks de l’armée française, la quantité paraît, pour l’heure, être restée modeste – “quelques dizaines”, entre le 28 février et le 3 mars, selon une source diplomatique», indique le quotidien.

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