Amazon réalise des milliards de bénéfices, tout en ne payant aucun impôt sur ces sommes aux Etats européens. C’est l’idée défendue par Thomas Porte, député Nupes-La France insoumise de Seine-Saint-Denis. Faisant suite à une enquête publiée dans l’Humanité lundi 7 novembre, le député s’est fendu d’un tweet dans lequel il affirme que le géant américain du commerce en ligne «a réalisé 121 milliards de bénéfices au deuxième semestre 2022 en Europe».
Révélations de l’@humanite_fr. #Amazon a réalisé 121 milliards de bénéfices au deuxième semestre 2022 en Europe. Le montant de ses impôts : 0€ !
— Thomas Portes (@Portes_Thomas) November 6, 2022
Niveau emploi c’est 42% d’intérimaires, 106 salariés inaptes sur 4 ans sont 101 licenciés !
Évasion fiscale et casse sociale. pic.twitter.com/XqRBX1pKYb
Le chiffre a ensuite été repris dans une publication du Parti communiste, déplorant : «Amazon, c’est 121 milliards de bénéfices en 2021 en Europe.» Mais aussi par le collègue de Thomas Portes à l’Assemblée nationale, élu de la Haute-Vienne, Damien Maudet.
Problème : ces 121 milliards correspondent en fait au chiffre d’affaires réalisé par Amazon, et non aux bénéfices de l’entreprise. Ensuite, le chiffre ne concerne pas le deuxième semestre 2022 (qui n’est pas encore terminé), mais bien le deuxième trimestre de l’année. Enfin, il porte sur toutes les opérations d’Amazon au niveau mondial, et non pas seulement en Europe.
Documents comptables
C’est d’ailleurs bien ce qu’indique l’Humanité dans son article, à la fois dans la version imprimée du quotidien et dans sa reprise sur le site du journal. «Tandis que la multinationale réalise des recettes records – 121 milliards de dollars au deuxième trimestre 2022 –, Amazon n’a payé aucun impôt sur ses bénéfices en Europe en 2021», y est-il écrit. L’Huma utilise ainsi ici le terme «recettes» comme synonyme de «chiffre d’affaires» (même si d’un strict point de vue comptable les deux indicateurs peuvent différer).
Le montant de 121 milliards de dollars est directement tiré des documents comptables d’Amazon, dont les résultats pour le deuxième trimestre 2022 ont été dévoilés le 28 juillet. Malgré ce chiffre d’affaires conséquent, le leader de l’e-commerce déclare ne pas avoir engrangé de bénéfices dans le même temps, mais une «perte nette» s’élevant à 2 milliards de dollars.
A noter que des résultats plus récents ont depuis été diffusés, ceux portant sur le troisième trimestre 2022. Rendus publics le 27 octobre, ils font état d’un chiffre d’affaires atteignant sur cette période 127,1 milliards de dollars, et un «bénéfice net» de 2,9 milliards.
«Désolé, ça arrive»
Sollicité sur sa triple confusion, à la fois spatio-temporelle et en termes d’indicateur retenu, Thomas Portes répond à CheckNews qu’il a «fait une erreur en tweetant», ajoutant : «Je me suis trompé, désolé, ça arrive.» Quant à Damien Maudet, il s’est autorépondu sur Twitter en corrigeant l’emploi du mot «bénéfices» par «chiffre d’affaires».
Cette confusion n’enlève rien au fond du discours porté par le député insoumis, estime-t-il, insistant sur le décalage entre les sommes encaissées par Amazon et le montant des impôts dont le groupe doit s’acquitter : «0€ !» En effet, Amazon Europe n’a pas eu à payer d’impôts en 2021, et ce en raison de pertes chiffrées à 1,16 milliard d’euros – tandis que la filiale européenne d’Amazon a enregistré cette année-là un chiffre d’affaires de 51,3 milliards d’euros (+17% sur un an). Des pertes que la firme attribue aux investissements réalisés sur le sol européen.
Amazon Europe bénéficie, en outre, de dispositions fiscales particulières grâce à son implantation au Luxembourg, pays dans lequel le géant américain a choisi de s’établir en 2003. Ces stratagèmes fiscaux ont fait d’Amazon une cible privilégiée des régulateurs européens. Alors qu’en 2017, la Commission européenne lui avait réclamé 250 millions d’euros d’arriérés, estimant que les rabais fiscaux luxembourgeois constituaient des aides d’Etat irrégulières, cette décision a été annulée en 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne.