Question posée par Jeremie le 10 janvier,
Depuis plusieurs semaines circulent sur les réseaux sociaux des extraits vidéos ou des articles renvoyant à l’idée que la vaccination pourrait avoir un effet contre-productif sur l’infection au Sars-CoV-2. Selon ces différentes sources, la vaccination engendrerait non seulement la production d’anticorps neutralisants (qui bloquent le virus), mais également la production «d’anticorps facilitants» qui permettent au virus d’infecter certaines cellules immunitaires. Différentes portions de la protéine spike, codée par l’ARN messager des vaccins, amèneraient l’organisme à produire ces différents anticorps. Une thèse notamment évoquée par Didier Raoult, vendredi et samedi sur C8 dans les émissions de Cyril Hanouna et de Jean-Marc Morandini, à l’appui d’une seconde affirmation – selon lui, les vaccinés connaîtraient un surrisque d’infection peu après leur vaccination. «Ça, maintenant, on pense connaître l’explication scientifique. Il y a une zone qui suscite des anticorps qui, au lieu de neutraliser, facilitent l’infection. C’est quelque chose qui était très bien connu pour la dengue», a-t-il ainsi déclaré dans la seconde émission (à 8 minutes 20), précisant que la durée de vie des anticorps facilitants était «de quinze jours, trois semaines».
La possibilité d’une facilitation de l’infection par certains anticorps – problématique généralement désignée au travers de l’acronyme anglais ADE, pour antibody-dependant enhancement – fait depuis plusieurs années l’objet d’une attention particulière lors du développement de traitements tels que des anticorps monoclonaux ou des vaccins. Ce risque théorique a été soulevé dans plusieurs publications scientifiques au cours de l’année 2020, lors du développement des vaccins anti-Covid. Un dossier de vulgarisation très détaillé, publié fin 2020 du site médical Vidal, résume les incertitudes qui existaient à cette date sur ce sujet.
«Aucune preuve» d’ADE lié au vaccin chez l’homme ou l’animal
Pour faire un point plus détaillé sur l’état des connaissances sur le sujet aujourd’hui, nous nous sommes adressés au Dr Scott Halstead, l’un des découvreurs du phénomène des ADE. Halstead est en particulier connu pour avoir, après analyse de données cliniques sur le vaccin Dengvaxia, alerté de l’augmentation du risque d’infection par le virus de la dengue chez les personnes naïves à cette maladie (ce qu’évoque d’ailleurs Didier Raoult).
«L’ADE, nous explique-t-il, se définit comme une production accrue de virus à l’intérieur de cellules, lorsque l’infection a été initiée par un virus auquel sont attachés des anticorps.» Typiquement, des anticorps se lient à des parties du virus sans neutraliser ses capacités infectieuses (on appelle «épitope» les parties d’une protéine reconnues par des anticorps) et, lorsque des cellules du système immunitaire tentent de se débarrasser du virus, celui-ci les infecte et s’y multiplie. «Ces complexes immunitaires pénètrent dans les cellules du système immunitaire, et l’infection virale dans ces cellules est amplifiée.»
Halstead avait lui-même interrogé la plausibilité d’ADE liée aux vaccins anticovid dans un article de décembre 2020, où il soulignait que les maladies à coronavirus, chez l’homme, «n’avaient pas les attributs cliniques, épidémiologiques, biologiques ou pathologiques de l’ADE». En janvier, la conclusion qu’il adresse à CheckNews est sans détour : «Il n’existe aucune preuve d’un renforcement des infections aux Sars-CoV-2 dépendant des anticorps, que ce soit chez l’homme ou dans des modèles animaux, avec un quelconque vaccin anticovid.»
Des infections plus modérées chez les vaccinés et non plus graves
Sollicitée par CheckNews, Brigitte Autran, professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université et praticienne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, va dans le même sens et note que «si l’hypothèse des anticorps facilitants avait été évoquée en 2020 lors des phases précoces de développement des vaccins, elle n’a pas été confirmée. Aucun phénomène de facilitation n’a été observé ou signalé à l’OMS ou aux autres agences sanitaires après les milliards de vaccinations anti-Covid effectuées dans le monde.» Le chercheur allemand Michael Hust, coauteur de travaux sur des anticorps thérapeutiques contre la Covid-19, abonde en ce sens : «Aujourd’hui, environ quatre milliards de personnes sont entièrement vaccinées, plusieurs sont renforcées et Israël a commencé la quatrième vaccination. S’il y avait un risque d’ADE par des vaccinations, ou des vaccinations multiples, nous devrions l’observer.»
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Stephen J. Kent, coauteur en septembre 2020 d’un article dans Nature Microbiology mettant en avant la possibilité d’ADE avec les vaccins anti-Covid, appuie également cette analyse. Il relève en outre que lorsqu’une infection survient malgré le vaccin, «les données montrent clairement que les infections sont plus modérées chez les personnes vaccinées, et non pas plus graves. [Lorsque nous avons écrit notre article] l’ADE était un risque, mais le temps a prouvé que ce n’était pas un problème».
Interprétation erronée des données
Selon nos différents interlocuteurs, l’idée que le risque d’infection augmente dans les semaines suivant la vaccination pourrait répondre à une mauvaise interprétation de certaines données (CheckNews était déjà revenu, ces dernières semaines, sur l’interprétation hâtive – ou fallacieuse – de données provenant d’Allemagne ou du Danemark brandies comme preuves que le variant omicron touchait davantage les vaccinés que les non-vaccinés).
Certaines affirmations erronées semblent aussi avoir pour origine le fait que les personnes qui ont débuté leur vaccination mais n’ont pas un schéma vaccinal complet enregistrent un taux d’infection plus élevé que les personnes entièrement vaccinées. Mais ceci renvoie simplement au délai nécessaire pour que la vaccination soit efficace, et ne traduit absolument pas une augmentation du risque d’infection par rapport aux non-vaccinés (selon les essais cliniques, l’efficacité vaccinale maximale est atteinte entre une et deux semaines après la seconde injection). On notera ici que, dans sa dernière vidéo, Didier Raoult déclare que «ce qui se passait dans les quinze jours après la vaccination, en termes de Covid» est «une information que, par exemple, Pfizer n’a jamais donnée», un propos déjà tenu chez Morandini. C’est faux, puisque la comparaison entre le nombre de cas de Covid entre vaccinés et non-vaccinés est explicitement présentée dans l’essai clinique rendu public en décembre 2020, pour les semaines après la première dose, et pour la semaine après la seconde dose (dans ce cas de figure, par exemple, les vaccinés étaient dix fois moins infectés que les non-vaccinés). D’autres données présentées dans la vidéo semblent également présentées de façon fallacieuse. Notamment, des travaux de la santé publique de l’Ontario au Canada dans lesquels sont notamment recensées les infections dans les quinze premiers jours postinjection, mais dans lesquels les chercheurs ne comparent pas le taux d’infection des vaccinés avec celui des non-vaccinés.
Les épidémiologistes interrogés par CheckNews expliquent n’avoir connaissance d’aucuns travaux qui montreraient que les vaccinés sont plus à risque d’infection que les non-vaccinés suite à la vaccination – y compris pour les infections avec les variants les plus récents. «Où sont les données ? interroge l’épidémiologiste Catherine Hill. Il faut des sources sérieuses. Cela paraît peu vraisemblable.»
Didier Raoult, dans une de ses vidéos, dit par ailleurs se référer aux résultats d’«une étude publiée dans le New England Journal of Medecine», «par des chercheurs de Stanford», et qui apporterait des éléments en ce sens. Sollicitée sur ce point, l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection, dont Didier Raoult est le directeur, n’était pas en mesure de nous communiquer plus de détails sur cette source, sinon que l’article datait «d’il y a quelques mois».
Pas d’observation in vivo
A ce jour, les travaux suggérant une facilitation de l’infection après la vaccination contre le Covid-19 se cantonnent à des observations in vitro (en éprouvette), nous précise le chercheur allemand Michael Hust. Il cite en exemple des travaux japonais de juin «sur les anticorps de patients Covid-19, et non des personnes vaccinées», qui ont mis en évidence que certains de ces anticorps pouvaient stabiliser la protéine spike, améliorant ainsi leur liaison aux récepteurs cellulaires. Mais ces données, souligne-t-il, ne peuvent être généralisées ni à l’in vivo (dans l’organisme vivant), ni aux vaccinés. Dans d’autres travaux présentés en août par une équipe étasunienne, «des anticorps non neutralisants de patients Covid-19 renforçaient l’infection virale in vitro, mais in vivo la situation était différente, poursuit Hust. Les anticorps qui favorisent l’infection in vitro ne favorisent pas l’infection par le Sars-CoV-2 ni chez la souris, ni chez le singe.» Le chercheur explique que «l’analyse [de l’effet d’anticorps isolés] est importante et permet de mieux comprendre le mode d’action de ces anticorps, mais elle ne donne qu’une image partielle de la situation complète in vivo. Cela pourrait expliquer l’absence d’ADE chez les personnes vaccinées qui avaient ensuite été infectées par le Sars-CoV-2. Encore une fois, si l’ADE était un problème courant, nous devrions constater une évolution plus défavorable de la maladie chez les vaccinés».
Ces derniers temps s’est développée l’hypothèse d’un risque d’infection accru par des anticorps facilitants pour des variants récents du Sars-CoV-2 (avec par exemple l’idée que les anticorps neutralisants développés contre les anciens variants s’apparient plus difficilement au virus que les anticorps facilitants, favorisant l’infection). Ce quand bien même, comme on l’a dit, aucune donnée épidémiologique ou étude in vivo n’appuie pour l’heure l’idée d’un surrisque d’infection chez des patients vaccinés.
L’idée d’un risque spécifique aux plus récents variants apparait défendue dans un article diffusé en prépublication sur la plateforme Authorea, essentiellement cosigné par des chercheurs de l’université d’Aix-Marseille, dont plusieurs auteurs ont déjà coécrit avec Didier Raoult. Cet article est présenté par l’un des auteurs, sur le controversé site FranceSoir, comme «une analyse prédictive, c’est-à-dire que ce n’est pas basé sur de l’expérimentation» : «Ce ne sont pas des constatations de phénomènes de facilitation qui ont été observés avec tel variant et pas un autre. Ce sont des prédictions par rapport aux différents sites antigéniques, c’est-à-dire aux différents épitopes qui ont été décrits sur des variants.» N’étant pas encore publiés, ces travaux n’ont pas encore été revus et analysés par la communauté scientifique.
Le document présenté sur Authorea inspire toutefois ce commentaire acerbe au Dr Scott Halstead : «Dans cette crise du Covid, des hypothèses erronées ou des interprétations erronées de données sont répétées suffisamment souvent pour devenir des “faits”…» Ici, il dénonce le fait que «les auteurs fondent leur raisonnement sur la description d’un “épitope ADE” sur le virus Sars-CoV-1 [responsable du Sars] qui est également présent sur le Sars-CoV-2 [responsable du Covid-19]», renvoyant selon lui à des représentations «incorrectes» de l’ADE dans la littérature scientifique sur le Sars-CoV-1. «Rien ne prouve que quelqu’un ait jamais observé une augmentation de la production de virus dans les macrophages des tissus infectés d’animaux vaccinés avec des vaccins contre le Sars-CoV-1 puis confrontés à un virus vivant.»
Selon lui, les phénomènes étudiés dans cette littérature sur le virus du Sars-CoV-1, confondus à tort avec l’ADE, devraient être identifiés à un évènement distinct, «l’hypersensibilité associée au vaccin», réaction qu’il compare «à une forme d’allergie grave au vaccin». Halstead a récemment consacré une publication à cette distinction «très importante». «On parle dans les deux cas de maladie dont l’exacerbation est liée au vaccin, mais dans le premier cas c’est l’infection qui est facilitée, tandis que dans le second l’organisme réagit de façon anormale à la présence du virus», nous explique le chercheur. Doit-on s’attendre à observer de telles réactions d’hypersensibilité, chez l’humain, avec les vaccins anti-Covid ? «Seul le temps nous le dira, commente prudemment Halstead, mais le phénomène d’hypersensibilité aux virus de type Sars n’a été décrit que chez des animaux de laboratoire, avec des vaccins développés contre les virus du Sars et du Mers il y a dix à quinze ans. Il n’existe aucune preuve expérimentale que l’administration d’un vaccin Sars-CoV-2, ou même de doses multiples de ces vaccins, augmente ce risque de sensibilisation.»
Deux des coauteurs de l’article prépublié sur Authorea ont été sollicités par CheckNews pour répondre aux différentes critiques formulées par nos autres interlocuteurs. Si l’un d’eux a accusé réception de notre demande, aucune réponse ne nous était parvenue à l’heure où nous publions.