C’était un café paisible et bien connu dans l’enclave palestinienne, construit sur la plage, où les Gazaouis de tous âges aimaient se retrouver pour un moment de répit, échappant au drame que traverse Gaza. La terrasse permettait d’observer la mer en fumant une chicha, ou suivre les matchs de foot diffusés en fin de journée. Lundi 30 juin, après une frappe israélienne, le café Al-Baqa n’était plus qu’un amoncellement de débris, un cratère de plusieurs mètres de large défigurant la terrasse. D’après les secours, l’attaque aurait fait au moins 24 morts, dont des artistes et des journalistes, mais également des enfants.
La frappe a eu lieu en milieu de journée lundi, dans un quartier littoral situé dans le nord-ouest de la ville de Gaza. Des vidéos prises quelques instants plus tard montrent le panache de fumée noire, les décombres, et les nombreux corps sans vie des victimes que les secours découvrent dans le café détruit. Depuis lundi, la liste des victimes identifiées de cette frappe s’allonge.
«Talent rare»
Amina al-Salmi, surnommée Frans, était une dessinatrice, peintre et membre de l’ONG Reviving Gaza, venant en aide aux déplacés dans l’enclave. «Sa dernière peinture ressemblait à une vision de sa propre mort. Gaza a perdu un talent rare. Le monde a perdu de la beauté et de l’espoir», ont écrit ses amies Wissam et Noor sur Instagram.
Autre victime identifiée, Omar Zeno, qui se présentait comme créateur de contenu sur son compte Instagram suivi par plus de 230 000 personnes. Plusieurs médias palestiniens le décrivent comme un activiste social. Son dernier post, le 28 juin, visait à informer les Gazaouis sur l’accès à l’eau potable. Il se filmait régulièrement dans les rues de l’enclave pour raconter le quotidien de ses habitants, dénoncer les actions de l’armée israélienne et informer sur les livraisons d’aide alimentaire par camions.
«Maudire l’occupation un jour de plus»
D’autres hommages ont été publiés sur les réseaux en mémoire du journaliste et vidéaste Ismail Abou Hatab, âgé de 32 ans. Il avait travaillé avec la BBC et réalisé différents documentaires mêlant une approche artistique et documentaire. Ismail avait déjà été blessé le 2 novembre 2023 alors qu’il tournait des images sur la vie à Gaza sous les bombardements israéliens. Le 5 juin, il publiait d’ailleurs une vidéo depuis la terrasse du café Al-Baqa, documentant des tirs de la marine israélienne visant la côte gazaouie, à quelques centaines de mètres du café.
Une autre journaliste a été blessée lors de cette frappe. Plusieurs photos et vidéos montrent Bayan Abu Sultan, sac à main sur l’épaule, tee-shirt taché de sang et l’air hagard, sortir des décombres dans la confusion suivant l’explosion. Celle qui se présente sur ses réseaux sociaux avec le triptyque «Palestinienne, féministe, journaliste» documente aussi la vie à Gaza depuis plusieurs années. «Nous avons survécu pour maudire l’occupation un jour de plus», a-t-elle publié sur Facebook mardi soir.
On trouve aussi, dans la liste des victimes de la frappe, le nom de Nassim Mohammed Abu Sabha, jeune ingénieur spécialisé en développement d’interfaces numériques et d’applications mobile, d’après son profil sur une plateforme professionnelle. Ou encore celui de Mohammed Abu Odeh, tout récemment diplômé d’informatique et également spécialiste du développement de logiciels. Cité par l’AFP, le propriétaire du café, Maher al-Baqa, indique qu’il a perdu quatre employés et trois membres de sa famille dans la frappe. En ligne, de nombreux messages ont en effet rendu hommage à un cogérant de l’établissement, Sahir Al-Baqa.
Fils d’une figure militaire du Hamas
Dans cette liste macabre, on trouve aussi le nom de Hisham Mansour. D’après plusieurs publications en ligne, ce jeune Gazaoui serait le fils d’un ancien commandant des brigades du Hamas, et pourrait avoir été la cible de la frappe israélienne sur le café Al-Baqa, sans que CheckNews puisse confirmer cette information. Son père, Ayman Mansour, était une figure militaire du Hamas à Jabalia, et avait été tué avec son autre fils, Attiah, en juin 2023 lors d’une fusillade à Gaza, d’après des médias liés au Hamas.
Contactée par CheckNews, l’armée israélienne n’a pas confirmé les cibles visées lors de ce bombardement. Elle indique avoir «frappé plusieurs terroristes du Hamas dans le nord de l’enclave de Gaza. Avant la frappe, des mesures ont été prises pour limiter le risque de toucher des civils à l’aide de surveillance aérienne». Une enquête serait en cours concernant cet incident.
Le 2 juillet, le Guardian publiait une analyse des fragments de munitions retrouvés dans les décombres du café Al-Baqa, correspondant à une bombe MK-82, de 230 kg, de fabrication américaine. «L’utilisation d’une arme de cette taille dans un café manifestement bondé risque de constituer une attaque illégale, disproportionnée ou indiscriminée et devrait faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre», a jugé Gerry Simpson, de l’ONG Human Rights Watch.
Mise à jour : ajout de l’article du Guardian le 3 juillet à 14h30.