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Attaque du Hamas : d’où vient l’affirmation selon laquelle un bébé israélien a été mis à mort dans un four ?

La «nouvelle» provient d’Eli Beer, responsable d’une organisation de secours d’urgence, lors d’une rencontre avec des membres juifs du Parti républicain américain à Las Vegas. Elle n’est confirmée par aucune source officielle. Plusieurs médias israéliens l’ont remise en question.
Eli Beer lors de son discours, samedi 28 octobre à Las Vegas. (Capture d'écran /Youtube)
publié le 30 octobre 2023 à 18h38

Depuis dimanche se répand sur les réseaux sociaux un nouveau témoignage horrifique, évoquant la mise à mort par le Hamas d’un enfant dans un four, lors de l’attaque du 7 octobre. A l’origine, on trouve un tweet de Dovid Efune, journaliste américain, qui affirme dans un post vu plus de 10 millions de fois qu’un bébé «a été retrouvé dans un four, cuit à mort par les terroristes du Hamas». Le post cite Eli Beer, fondateur et dirigeant de United Hatzalah of Israel, une organisation de secours d’urgence.

L’affirmation a immédiatement été reprise de manière affirmative par un chroniqueur du New York Post, John Podhortez, dans un message vu également plusieurs millions de fois : «Ils ont cuit un bébé. Dans un four. ILS ONT FAIT CUIRE UN BÉBÉ DANS UN FOUR. ILS ONT FAIT CUIRE UN BÉBÉ DANS UN FOUR. Osez parler de cessez-le-feu encore une fois, putains de goules amatrices des meurtres de bébés.»

L’information a ensuite été reprise et «complétée» par un faux compte très suivi se présentant comme celui du Mossad, le service de renseignement israélien.

Dans un post vu 4,5 millions de fois, le compte reprend le récit en y ajoutant d’autres éléments sordides, comme le viol supposé de la mère pendant la mise à mort de son enfant, et l’affirmation selon laquelle les exactions auraient été enregistrées par leurs auteurs : «Tout a été enregistré. Le Hamas a tout enregistré sur les chaînes Telegram. Beaucoup l’ont vu, l’ont sauvegardé et beaucoup de choses sont déjà disponibles. Le 7 octobre, des nazis du Hamas sont entrés dans une maison. Ils sortent leurs armes, tuent le père et mettent le bébé au four. Puis, au moins trois fois, ils ont violé la mère l’une après l’autre pendant qu’ils la filmaient et que le bébé brûlait. Il y aura cessez-le-feu lorsque le Hamas aura disparu.»

Plusieurs internautes (notamment français, dont le philosophe et éditorialiste Raphaël Enthoven – qui a depuis supprimé ses tweets), ont relayé ce récit ce lundi 30 octobre sur les réseaux sociaux.

A ce jour, il n’existe aucune confirmation officielle de ce récit, qui est l’objet des nombreuses affirmations contradictoires et doit être pris avec prudence.

A l’origine, on trouve donc le témoignage d’Eli Beer samedi 28 octobre à Las Vegas, évoquant devant la Republican Jewish Coalition les atrocités dont il affirme avoir été témoin (à partir de 32 : 16) : «J’ai vu de mes propres yeux une femme enceinte de quatre mois, elle était dans un petit kibboutz. Ils sont entrés chez elle, devant ses enfants, ils lui ont ouvert le ventre, ont sorti le bébé et ont poignardé le tout petit bébé devant elle, puis lui ont tiré dessus devant sa famille. Et puis ils ont tué le reste des enfants. J’ai vu des petits enfants qui se faisaient décapiter, on ne savait pas quelle tête appartenait à quel enfant. […] Nous avons vu un petit bébé dans un four. Ils ont mis, ces salauds, ces bébés dans un four et ont allumé le four. Nous avons retrouvé l’enfant quelques heures plus tard.»

Tsahal pas au courant

Avant sa prise de parole face aux républicains, Eli Beer – qui s’est déjà entretenu avec Joe Biden la semaine dernière lors de la visite du président américain en Israël — avait évoqué dans le Jerusalem Post son intention d’obtenir le soutien des dirigeants américains : «Nous assistons aujourd’hui aux tentatives de la machine de propagande du Hamas de nier et de minimiser l’ampleur de ces massacres afin d’améliorer sa position internationale pendant la guerre, et il est de notre devoir, en tant que témoins de ces actes barbares, d’obtenir un soutien inébranlable des décideurs américains pour Israël. J’ai raconté certaines de ces histoires au président, et maintenant je vais les raconter aux membres de la direction républicaine. Cette question n’est pas une question politique, c’est une question humaine, et tout le monde, de tous bords, Le spectre politique, dans chaque pays, doit tenir tête aux auteurs de ces actes ignobles et dire d’une voix forte et claire : «Plus jamais ça»».

Depuis l’attaque terroriste du 7 octobre, le sort réservé aux enfants est l’objet d’une intense guerre de la communication. Plusieurs témoignages (pour certains contestés ou non encore confirmés) ont fait état d’atrocités infligées à des enfants ou des bébés, mais il n’avait jamais été jusqu’à présent fait mention de l’histoire rapportée par Eli Beer d’un bébé trouvé dans un four. Plusieurs journalistes israéliens ont tenté de vérifier cette affirmation. Sans succès. Dans un post sur X (anciennement Twitter), le compte de fact-checking israélien FakeReporter la met en doute, s’appuyant notamment sur le travail de vérification d’un autre journaliste israélien affirmant que des responsables de Tsahal, de l’organisation de secours Zaka ou de Shura (la base militaire où sont identifiés les corps des victimes du 7 octobre) lui ont déclaré ne pas avoir entendu parler d’une telle histoire.

Le journaliste du Haaretz Chaim Levinson a également affirmé sur X n’avoir trouvé aucun fondement à ce récit, lequel serait basé, selon lui, sur les seuls propos d’un volontaire de l‘organisation d’Eli Beer. Contacté par CheckNews, Yossi Landau, responsable de l’organisation Zaka dans le sud d’Israël, qui est intervenue dans les lieux des massacres, et qui a largement témoigné des atrocités commises, nous a déclaré de manière très affirmative que cette histoire n’était «pas vraie».

Mardi, au lendemain de ces démentis, une déclaration d’un porte-parole de Tsahal, le colonel Olivier Rafowicz, a relancé les spéculations sur les réseaux sociaux. Lors d’une visite au camp de Shura, il a déclaré, rapportant des propos sans plus de précisions : «Ils m’ont dit qu’ils avaient trouvé le corps d’un bébé, qui a en fait été brûlé vivant, je crois, dans un four. Il a été trouvé hier».

Quelques heures après la vidéo du porte-parole de Tsahal, une nouvelle vidéo est apparue sur les réseaux sociaux, mettant en scène Asher Moskowitz, présenté comme volontaire de l’organisation d’Eli Beer, United Hatzalah. L’homme raconte s’être rendu à la morgue de la base militaire de Shura, et avoir vu parmi les corps en provenance de Kfar Aza (un des kibboutz frappés par le Hamas), celui d’un bébé brûlé.

Voici la traduction de l’Hébreu qui en a été faite par United Hatzalah (et que CheckNews n’était pas en mesure de vérifier mercredi) : «Alors qu’ils (les personnes prenant en charge les corps des victimes, ndlr) ouvraient le sac, ils sont tombés sur la vision horrible de ce qui ressemblait à un bébé dont le corps était vraiment enflé, avec ce qui ressemblait à un élément chauffant collé au corps. Ils nous ont dit plus tard, après que nous ayons quitté la pièce et qu’ils aient travaillé sur le corps pour tenter de l’identifier, que pour autant qu’ils aient pu le savoir, après que les terroristes ont affreusement assassiné les parents d’une dans la pièce, ils ont pris le bébé et l’ont littéralement mis dans le four de la cuisine. Alors que le bébé était encore en vie, ils l’ont mis dans le four et ont fait cuire le bébé vivant. Le corps était brûlé et, d’après ce que je pouvais voir, il était enflé, un élément du four s’était attaché au corps lui-même.»

La vidéo a été publiée par la Jewish Telegraphic Agency, qui a également pu s’entretenir avec Eli Beer. Lequel affirme avoir été au courant de cette histoire depuis le 8 octobre, et n’avoir décidé d’en parler que trois semaines plus tard devant la Republican Jewish Coalition à Las Vegas.

Dans ses déclarations à la Jewish Telegraphic Agency, Eli Beer apparaît moins affirmatif que dans le récit livré à Las Vegas, affirmant que de nombreux points demeurent inconnus : «les terroristes du Hamas ont-ils mis le bébé dans le four, puis l’ont-ils tué alors qu’ils allumaient le four ? Les parents du bébé ont-ils caché l’enfant dans le four pour le protéger des attaquants ? Quand le bébé a-t-il été tué ?»

Jeudi 2 novembre, TF1info a ajouté dans son article consacré au sujet le nouveau témoignage de Mendy Habib, secouriste et chef d’équipe pour l’organisation ZAKA, expliquant n’avoir n’a pas eu connaissance d’une telle exaction : «Il y a presque 600 volontaires qui étaient sur place. Mon équipe comptait 30 personnes à peu près. Et on n’a pas entendu parler d’une chose pareille. Il y avait tellement de choses qui étaient horribles et affreuses et inhumaines que je n’ai pas entendu parler d’une chose comme ça. Je pense que ce n’est même pas la peine d’en rajouter.» TF1info explique aussi avoir contacté Tsahal qui n’a pas confirmé le récit.

Il a parfois été affirmé que cette histoire était prouvée par des images dans le montage de 45 minutes (non public) qu’a réalisé Tsahal pour montrer à la presse les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre. C’est faux. CheckNews a réalisé un article détaillant avec précision les atrocités rapportées dans cette compilation d’images et de vidéos.

Le 7 novembre, le quotidien israélien Haaretz a publié un article concernant les théories complotistes circulant sur le massacre du 7 octobre. Le récit du bébé mis à mort dans un four est présenté comme une fausse affirmation, ayant eu pour effet de donner des arguments aux personnes cherchant à nier le massacre.

L’attaque du Hamas, le 7 octobre, a fait près de 1300 morts. En majorité des civils, parmi lesquels des femmes et des enfants

Article mis à jour le 31 octobre à 18h15 avec la déclaration du porte-parole de Tsahal Olivier Rafowicz

Article mis à jour le 1er novembre à 15h55 avec ajout de la vidéo d’Asher Moskowitz

Article mis à jour le 4er novembre à 14h50 avec ajout du témoignage recueilli par TF1info