Le plus sûr moyen de ne pas dire de bêtises, c’est encore de se taire. Alors que chaque jour, de nouveaux candidats RN sont épinglés pour des saillies racistes, antisémites ou complotistes, certains ont fait le choix prudent de la discrétion. Voire de la disparition pure et simple. Dans un article du 2 juillet, le réseau des radios publiques locales France Bleu s’étonne ainsi qu’«une vingtaine de candidats Rassemblement national, en lice au second tour des élections législatives anticipées, aient annulé leur présence aux débats proposés» par ses rédactions.
Priorité au terrain, refus de se confronter à un adversaire politique, empêchements de dernière minute, Covid… les excuses pour ne pas participer sont diverses. Dans les Landes, Sylvie Franceschini a justifié son refus de débattre avec le député socialiste sortant Boris Vallaud par les mensonges que ce dernier propagerait, mais aussi en attaquant la presse. La candidate d’extrême droite dénonce dans un communiqué les médias locaux et leur «désinformation» et déclare : «Je ne tomberais pas dans les pièges qui me sont tendus.» D’autres candidats se sont murés dans le silence, ne prenant même pas la peine de répondre aux invitations. C’est le cas de Christelle Ritz et Christian Zimmermann, pourtant arrivés en tête de leurs circonscriptions en Alsace.
Mais comme le notent les journalistes de France Bleu, pour certains, le refus de débattre et de s’exposer à la contradiction s’accompagne, pour certains candidats, d’une absence totale de campagne. On a ici affaire à de véritables candidats fantômes, qui pour certains sont parvenus à se hisser au second tour sans faire campagne, ni dans les médias ni sur le terrain.
«Silence radio» et 33 % des voix
C’est le cas d’Elodie Babin, candidate dans la 2e circonscription du Loiret. Selon France Bleu Orléans, elle n’a jamais donné suite aux sollicitations des journalistes. «C’est silence radio», explique-t-on. Seul signe de vie : une note vocale envoyée à la rédaction de France Bleu par son compagnon, dans laquelle il assure que la candidate est malade du Covid. Pas plus de chances de la trouver sur le terrain. Et pour cause : d’après France Bleu Orléans, la candidate «n’habite pas la 2e circonscription, et encore moins le Loiret», mais résiderait à Saint-Rémy-sur-Avre, dans l’Eure-et-Loir. D’après un post partagé sur son compte Facebook, c’est dans cette commune qu’elle aurait participé à la campagne de son compagnon, Aleksandar Nikolic, également candidat pour le RN lors des élections municipales de 2020. Très engagé au sein du parti, il a été élu eurodéputé à l’issue des élections du 9 juin. Sur son compte Twitter cumulant 560 abonnés, @elodieRN28 partage les contenus de campagne de son parti et de son compagnon… mais sans mentionner qu’elle est elle-même candidate. Une absence remarquée qui n’a pas empêché Elodie Babin d’arriver en tête des suffrages le 30 juin, avec près de 33 % des suffrages exprimés.
Véronique Fossey, candidate du RN dans la 1re circonscription des Landes (Mont-de-Marsan), n’en démord pas : elle ne débattra pas avec sa concurrente, Geneviève Darrieussecq (Modem). «Je ne ferai pas de réunion publique et je n’irai à aucun débat face à Mme Darrieussecq, car c’est une personne insultante, malveillante et je ne veux pas avoir affaire à ces gens-là», s’est-elle justifiée auprès de France Bleu pour expliquer son refus. Une invitation similaire lui avait été proposée par nos confrères de Sud Ouest, sans davantage de succès. «Elle nous a répondu au téléphone qu’elle n’avait pas de temps à perdre pour venir à Mont-de-Marsan», raconte à CheckNews le responsable de la locale de Sud Ouest. En plus de cet emploi du temps chargé, un responsable du RN a également déclaré à la rédaction de France Bleu Gascogne que ces refus s’expliquent par la peur de la candidate de débattre en direct à la radio.
Une absence de campagne dans les médias donc, mais également sur le terrain. Véronique Fossey est originaire de région parisienne et ne dispose pas d’une forte notoriété dans la circonscription. «Personne ne la connaît ! Elle n’est pas présente dans les milieux associatifs», nous précise la locale de Mont-de-Marsan. Pour autant, Sud Ouest n’a pas noté d’efforts de sa part pour se faire connaître : ni distribution de tracts ni réunion publique. CheckNews ne recense qu’une seule intervention médiatique de la candidate, sur la Radio MdM, une antenne locale. «Vos concurrentes sont toutes les deux en campagne sur le terrain. Vous, vous n’êtes pas sur le terrain, mais cela ne devrait pas vous priver d’être sur le podium le 30 juin, si vous êtes en dessous de 20-25 % cela serait un échec ?» lui demande le journaliste. «Oui je serai très déçue», lui répond la candidate. Impossible non plus de trouver trace de sa campagne sur les réseaux sociaux. Véronique Fossey ne possède pas de compte Twitter et son profil Facebook n’est dédié qu’à son usage personnel. Cette campagne «fantôme» ne semble pourtant pas avoir eu d’effet significatif sur son résultat électoral : le 30 juin, elle s’est hissée en tête du podium avec 37,23 % des voix, près de 10 points au-dessus de ses concurrentes.
Des candidats «interdits de parler à la presse» ?
Caroline Beout ? «On ne la connaît pas», répond à CheckNews un grand quotidien de presse locale, qui ne dédie donc aucun article à la campagne de la candidate RN dans la 9e circonscription de Haute-Garonne (Toulouse). Impossible d’en apprendre davantage sur les réseaux sociaux. Caroline Beout n’en possède aucun, excepté un compte Facebook inactif. Quant à l’invitation de France Bleu à débattre avec sa concurrente, Christine Arrighi (NFP), Caroline Beout s’y soustrait. «Un empêchement de dernière minute», s’est-elle justifiée. Le 30 juin, elle s’est placée en deuxième position avec 24,89 % des suffrages, face à Christine Arrighi pour le Nouveau Front populaire avec 47,53 % et Florian Delrieu d’Ensemble avec 22,36 %.
L’évitement de la presse a également été constaté par les journalistes de la Provence. Le quotidien observe ainsi que plusieurs candidats du RN qualifiés au second tour semblent avoir été «interdits de parler à la presse». Ni la députée Gisèle Lelouis, ni Olivier Rioult, ni Franck Liquori ou Monique Griseti n’ont souhaité parler aux journalistes après leur première victoire dimanche. La Provence observe que «seul Franck Allisio, délégué départemental et député réélu dans la 12e circonscription est venu distiller les éléments de langage convenus à la presse».
Un constat partagé par TF1, dont les équipes ont également voulu interviewer Monique Griseti. Elle a refusé de s’exprimer dans un sujet du 20 heures de TF1 et a préféré envoyer le même Franck Allisio… qui n’est autre que son neveu bien encravaté et plus expérimenté devant les caméras. Sans doute a-t-elle voulu éviter les questions des journalistes, alors qu’un article de la Provence soulignait que Monique Griseti multipliait les publications antivax et complotistes sur son profil Facebook.
Dans ma circonscription, j'ai face à moi une candidate fantôme.
— Pascaline LÉCORCHÉ (@p_lecorche) July 1, 2024
Vous ne la croiserez jamais sur le terrain et même quand les caméras de @TF1 viennent, c'est son neveu qui la remplace.@MoniqueGriseti, existe-t-elle vraiment ?#Circo1301 #Législative2024 pic.twitter.com/CAOTJmgUfz
Dans les Yvelines, le site Actu.fr a recensé deux candidates du RN dont le bon score au premier tour est proportionnel à leur discrétion : Victoria Doucet (11e circonscription) et Sophie Lelandais (6e circonscription). Le site d’information les qualifie de candidates «les plus fantomatiques des Yvelines, les seules dont les numéros de téléphone ne sont pas communiqués par la fédération départementale des Yvelines du RN».
Aucune trace sur les réseaux sociaux
Sans photo, sans réseaux sociaux, sans profession de foi en ligne, Victoria Doucet a réussi à se qualifier pour une triangulaire en réunissant 22 % des votes dans la 11e circonscription des Yvelines. Mais lorsqu’Actu.fr a voulu la contacter, cette femme de 19 ans a refusé de répondre, renvoyant vers le délégué départemental du RN, Laurent Morin. Mardi 2 juillet, fait rare alors que le Rassemblement national veut réunir une majorité à l’Assemblée nationale, elle s’est finalement désistée au profit du candidat UDI, Laurent Mazaury. Mais lui aussi, ignore qui elle est. «Je ne la connais pas. Personne ne la connaît d’ailleurs. C’est une candidate fantôme», a-t-il indiqué à Actu.fr.
Egalement absente des réseaux sociaux, Sophie Lelandais, 55 ans, reste très discrète puisqu’on ne retrouve d’elle qu’une photo, la même, sur les affiches du Rassemblement national pour les législatives de 2022 et les départementales de 2021. Son opposante, la députée sortante, Natalia Pouzyreff (Ensemble) dénonce aussi un fantôme, qui «ne doit même pas habiter ici» puisqu’elle s’était présentée en 2022 dans une autre circonscription du département.
Quant à Jean-François Perier, candidat du RN dans la 12e circonscription de Seine-Saint-Denis, il est tout bonnement impossible de trouver la moindre trace de sa campagne du candidat RN sur internet ou sur les réseaux sociaux. Sur son compte Twitter, les dernières publications datent d’il y a plus d’un an. Mais au moins lui, à la différence d’autres candidats RN, n’a que peu d’espoir de remporter le second tour des législatives. Avec 26,04 % des voix, il demeure loin derrière son concurrent de La France insoumise, Jérôme Legavre (45,11 %).
Enfin, Josseline Liban, candidate RN dans la deuxième circonscription du Calvados, n’a ni montré son visage, ni fait une seule une déclaration. Pour connaître son apparence, nos confrères de la rédaction de Liberté Caen ont été contraints de retrouver ses publications des législatives de juin 2022, alors que le siège du parti d’extrême droite n’a pas daigné transmettre ses coordonnées, «ni mail, ni numéro de téléphone, ni même ses priorités si elle est élue députée». C’est donc en «candidate fantôme» que son concurrent du NFP, Arthur Delaporte, dépeint la septuagénaire d’extrême droite. Pourtant, certaines de ses publications racistes sur Facebook, remontées par Arthur Delaporte, prouvent bien son existence.