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Bataille de chiffres entre Mélenchon et Hanouna sur le temps de parole de l‘extrême droite sur «TPMP»

Le présentateur de C8 a qualifié de «conneries» les chiffres du chef de file des insoumis affirmant que l’extrême droite avait trusté plus de 50% du temps de parole de «Touche pas à mon poste».
publié le 20 novembre 2022 à 18h42

«Je n’ai pas de sympathie pour vous Hanouna.» C’est sur sa chaîne YouTube, ce jeudi 17 novembre, que Jean-Luc Mélenchon a réagi à l’affaire Louis Boyard-Cyril Hanouna. Celle-ci avait commencé jeudi 10 novembre, quand le jeune député LFI a accusé le patron de C8, Vincent Bolloré, d’avoir «déforesté le Cameroun» et de faire partie des «cinq personnes les plus riches [qui] appauvrissent la France et appauvrissent l’Afrique», sur le plateau de Touche pas à mon poste. Cyril Hanouna avait alors pris la défense de celui qu’il considère comme «son grand frère» en allant jusqu’à insulter copieusement Louis Boyard, ancien chroniqueur de l’émission.

La chef de file de LFI en a profité pour expliquer que si les insoumis se rendent sur les plateaux de C8, c’est uniquement «pour y porter [leur] parole» : «Vous avez donné 52 % de temps à l’extrême droite. Donc quand nous venons chez vous, nous savons que nous sommes par effraction sur un plateau favorable à l’extrême droite», a-t-il ajouté.

Cyril Hanouna a répondu dès le lendemain sur son plateau, en expliquant que Jean-Luc Mélenchon était une des personnalités politiques les plus invitées dans ses émissions, avec cinq participations contre deux pour Eric Zemmour par exemple. Et ajoute que «C8 n’a fait l’objet d’aucune sanction liée au pluralisme en 2022».

Sans qu’il ne soit commenté, un tableau récapitulant les «temps de parole TPMP» du 1er janvier au 10 novembre 2022 est également affiché à l’écran. On y apprend que Renaissance et La France insoumise, avec respectivement 23,72 et 18,99 %, seraient les mouvements qui disposent du plus gros temps de parole dans l’émission, juste devant le Rassemblement national (18,06 %), et loin devant Reconquête (11,55 %). Pour un total du bloc d’extrême droite d’un peu plus de 30 % si l’on y ajoute Les Patriotes.

Alors d’où vient le chiffre avancé par Jean-Luc Mélenchon ? Le temps de parole cité par l’ancien candidat semble correspondre à celui calculé par Claire Sécail, chargée de recherche CNRS qui s’intéresse notamment à l’histoire des médias et plus particulièrement à la télévision.

Dans une étude sur la précampagne électorale (septembre à décembre 2021), la chercheuse notait une impressionnante surreprésentation du temps de parole accordé à Eric Zemmour dans le temps d’antenne politique de TPMP. Comme le détaillait Libération en février, le temps d’antenne dédié au candidat d’extrême droite, à lui seul, représentait presque autant que les dix autres candidats présumés réunis.

En effectuant, cette fois, une analyse par bloc politique, l’extrême droite arrivait également largement en tête (53 %), suivie, de loin, par la majorité gouvernementale (moins du quart). La gauche et la droite «classique» se trouvaient, pour leur part, marginalisées, se partageant le temps d’antenne restant.

A noter tout d’abord que la façon dont Mélenchon présente le chiffre peut porter à confusion : le chiffre de 53 % (et non 52 %) correspond à la proportion de la parole de l’extrême droite sur le temps d’antenne politique de l’émission de Cyril Hanouna, soit les segments où des politiques affiliés à des candidats sont présents ou évoqués, et non sur le temps d’antenne total.

«Lisser» les temps de parole

Dans une étude plus récente, portant cette fois-ci sur la campagne en elle-même (période du 1er janvier au 22 avril 2022), Claire Sécail notait «un fort déséquilibre de traitement persistant entre les candidats de l’élection présidentielle 2022», et que l’émission avait «largement favorisé les candidats d’extrême droite et toujours en particulier Eric Zemmour».

Reste cette différence notable d’environ 20 % entre les chiffres calculés par Claire Sécail et ceux donnés à l’antenne par TPMP. Contactée par CheckNews, la chercheuse pointe d’emblée la période retenue par l’émission : «C’est assez bizarre qu’ils prennent comme période de référence janvier à novembre 2022, puisque ça ne correspond pas du tout à la période électorale. Moi dans mes études, je me suis intéressée à la période préélectorale, puis à la période électorale.»

En prenant une période qui dépasse largement l’élection, TPMP a ainsi pu «lisser» les temps de parole, puisqu’on peut par exemple légitimement imaginer que la place accordée à Eric Zemmour a largement baissé depuis ses revers électoraux à la présidentielle et aux législatives.

«Je ne sais pas comment TPMP a calculé ces statistiques, mais c’est probablement extrait des statistiques que la chaîne doit envoyer à l’Arcom [chargée de veiller au respect du pluralisme des chaînes de TV, ndlr], poursuit la chercheuse. Je n’ai pas tout à fait la même méthodologie que ce que demande l’Arcom (car j’intègre par exemple les segments de parodie politique) mais mes chiffres sont en général assez proches.»

«La parole de LFI est souvent décomptée sur des sujets mis à l’agenda par l’extrême droite»

La chercheuse relève au passage que «si Cyril Hanouna a ses chiffres sur tout 2022, cela veut dire qu’il pourrait les donner de janvier à avril, pour la campagne», mais «qu’il ne le fait pas» car cela ferait apparaître la surreprésentation de certains candidats. L’animateur de C8 avait d’ailleurs déjà procédé de la sorte lors de la publication des résultats de la première étude de la chercheuse. Il avait alors mis en avant des chiffres de temps de parole de LFI sur le seul mois de janvier, peu représentatifs car «gonflés» par une émission spéciale avec Jean-Luc Mélenchon.

D’ailleurs, la chercheuse note que «ce tableau ne rend que très moyennement service à Hanouna» puisque l’extrême droite reste le bloc le plus représenté dans son émission, même sur une période plus large que la seule élection. Ce qui explique peut-être que l’animateur ne l’ait pas commenté et ait préféré s’appesantir sur le classement des invités politiques de l’émission.

Au-delà de cette approche quantitative, la chercheuse du CNRS insiste sur le volet qualitatif de son étude, montrant que la tonalité des débats organisés était plus favorable à certains candidats, notamment Eric Zemmour.

«Dans le cas de Reconquête, on était souvent dans un registre de la performance, et le plateau traitait favorablement ses thématiques. A l’inverse, la parole de LFI est souvent décomptée sur des sujets mis à l’agenda par l’extrême droite. Ou alors quand des personnalités insoumises sont mises en cause dans une polémique. Leur parole est alors purement défensive. Pour Marine Le Pen c’était un peu différent : quantitativement elle était peu présente, mais le discours était généralement très favorable, dans la normalisation.» Et pour la chercheuse, l’ambiance n’a pas forcément changé depuis : «On l’a vu encore récemment, avec Jordan Bardella qui a été accueilli dans une très bonne ambiance après son élection à la tête du RN.»

Contacté, le groupe Canal + n’a pas encore donné suite à notre sollicitation.