C’est une séquence qui a fait beaucoup de bruit. Lors d’un reportage depuis un blocage mené par un petit groupe d’agriculteurs sur l’autoroute A11 au niveau de Chartres (Eure-et-Loir), indépendamment du «siège de Paris» mis en œuvre par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) du grand bassin parisien, BFM TV a tendu son micro à l’un d’eux, ce lundi 29 janvier. Présenté comme «céréalier et éleveur», Benoît Durand déclare alors : «[Bloquer Paris] ça va se faire naturellement et gentiment, de près et de loin. De toute façon, les Parisiens vont être affamés. Le but c’est d’affamer les Parisiens, point.»
Blocage de l'autoroute A11 par les agriculteurs: "Le but, c'est d'affamer les parisiens" assure Benoît Durand, céréaliser et éleveur pic.twitter.com/nMOeNU2LwF
— BFMTV (@BFMTV) January 29, 2024
Une déclaration qui a fait jaser, et notamment après un tweet signé du journaliste François Camé. Dans sa publication postée sur X (ex-Twitter) sur les coups de 11 heures, et depuis supprimée, le journaliste ironise : «J’ai regardé, c’est un pauvre paysan. Il est juste coresponsable d’une grosse société de négoce [agricole]» qui collecterait 120 000 tonnes de céréales par an, emploierait une centaine de salariés, et aurait «bénéficié d’un prêt de [600 000 euros à taux zéro] de la région Normandie». Problème, François Camé a confondu ici avec un autre Benoît Durand, le directeur général de la société Axone, basée dans le département de l’Orne, en région Normandie. Le journaliste n’est pas le seul à avoir entretenu cette confusion, d’autres internautes – comme ici – se sont interrogés sur l’interlocuteur de BFM TV, qui ne leur «semble pas miséreux», en s’appuyant notamment sur un article d’Ouest France qui annonçait en 2021 la création d’Axone, fruit de la fusion de «deux importantes entreprises de négoce agricole du bocage ornais».
Tweet correctif
Le Benoît Durand interrogé par BFM TV est en fait implanté dans le département voisin de l’Eure-et-Loir, en région Centre, plus précisément dans la commune de Fontaine-la-Guyon. Comme annoncé par la chaîne d’information en continu, il exerce effectivement en tant que céréalier et éleveur de volailles, en s’appuyant sur sa société civile d’exploitation agricole (SCEA) dont il partage la propriété avec sa conjointe. «Pour info, je ne suis pas le seul Benoît Durand de France», réagit-il auprès de CheckNews.
Dans un tweet correctif, mis en ligne en début d’après-midi, François Camé relève toutefois que «le Benoît Durand qui veut affamer Paris est bien actionnaire majoritaire de la SCEA de Flonville à Fontaine-la-Guyon», ce qui était déjà expliqué dans sa publication initiale, mais en second lieu. Le journaliste de persister dans son appréciation, et conclure ironiquement : «Un pauvre paysan : 400 000€ de capital.»
Comme l’indique le document de mise à jour des statuts disponible sur le site Pappers à la page de la SCEA DE FLONVILLE, Benoît Durand a transformé, en décembre 2022, la société héritée de son père (anciennement GAEC DURAND, puis EARL DE FLONVILLE) en société civile d’exploitation agricole. Une transformation qui s’est accompagnée d’une augmentation du capital social, qui s’élève désormais à 400 000 euros. Mais comme on le constate dans ce même document, une bonne partie de ce capital provient des apports de son père en termes de biens immobiliers, installations ou encore matériel de transport.
Reportage
D’autres critiques ont porté sur les aides perçues par l’exploitation de Benoît Durand et sa compagne. «Celui qui veut “affamer les Parisiens” touche quand même de belles subventions», écrit François Camé. D’après le service Telepac consultable sur le site du ministère de l’Agriculture, l’EARL DE FLONVILLE avait touché près de 81 000 euros d’aides de l’Europe au titre de la Politique agricole commune (PAC) sur la période d’octobre 2020 à octobre 2021, puis quelque 67 000 euros entre octobre 2021 et octobre 2022. A titre de comparaison, les exploitations céréalières éligibles à la PAC ont reçu 33 100 euros d’aides directes en moyenne en 2019, d’après un article paru dans une revue de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).
«Un ras-le-bol»
«Un agriculteur veut vivre de son métier et non de subventions», commente un proche de Benoît Durand, joint par CheckNews. Interrogé sur les raisons pour lesquels le céréalier s’est mobilisé dans le cadre du mouvement de colère des agriculteurs, ce proche mentionne «un ras-le-bol des lourdeurs administratives et des contraintes environnementales qui parfois peuvent être aberrantes». «Vous allez dans les pays voisins, les règles sont plus simples. On ne joue pas avec les mêmes règles ! Il faut sans cesse se battre pour obtenir quelque chose», ajoute-t-il. Avant de relever que Benoît Durand et ses camarades de mobilisation en ont «marre que des personnes qui ne connaissent pas le métier parlent et décident pour eux».
L’éleveur d’Eure-et-Loir, lui, a tenu à souligner qu’«une phrase sortie du contexte ou dit sur le coup de la colère n’est pas forcément à prendre au premier degré». Benoît Durand ajoute, sans souhaiter s’épancher davantage : «Bien sûr, je ne souhaite à aucun d’entre nous ni même aux Parisiens d’être affamés. Nous sommes à saturation.»
Notre source nous a confirmé, lundi soir, que Benoît Durand se trouvait toujours sur le point de blocage mis en place dimanche sur l’autoroute A11, qui relie Paris à Nantes, dans le sens de circulation vers la capitale. Une poignée de tracteurs stationnaient alors à hauteur du Coudray, dans l’agglomération de Chartres. «L’essentiel c’est de paralyser la France de près ou de loin. Nous, on tient siège ici à Chartres, on est à une heure de Paris, pour nous ça fait partie du blocus», exposait Benoît Durand face aux caméras de BFM TV lundi matin. Avec un avantage non négligeable : «On est à domicile, il n’y a pas de problème pour les ravitaillements.» Son village de Fontaine-la-Guyon ne se trouve qu’à une vingtaine de minutes, en voiture, de la section d’autoroute barrée par les tracteurs.
Mise à jour : Le 30 janvier à 9 h 18, ajout de la réponse de Benoît Durand.