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Bombardement allié sur une école en 1945 : quelle est cette erreur «tragique» invoquée par Nétanyahou pour justifier les tirs sur Gaza ?

A une question sur les pertes civiles à Gaza, le Premier ministre israélien a répondu en se référant à «l’opération Carthage» menée pendant la Seconde Guerre mondiale, dont une erreur «tragique» a conduit à la mort de nombreux enfants.
A gauche, Benjamin Netanyahu lors d'une conférence de presse à la base militaire de Kirya à Tel Aviv, samedi 28 octobre 2023. A droite, le Shellhus, quartier général de la Gestapo à Copenhague, dans le Danemark occupé, incendié à la suite du bombardement de l'opération Carthage par la Royal Air Force, le 21 mars 1945. (Abir Sultan/REUTERS)
publié le 31 octobre 2023 à 14h58

Lundi 30 octobre, lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv, le Premier ministre israélien était interrogé sur les lourdes pertes civiles à Gaza et l’hypothèse d’une «punition collective» infligée au peuple palestinien par Israël. Benjamin Nétanyahou justifie alors cette situation en invoquant une référence historique. Dressant un parallèle entre le Hamas et les nazis d’un côté, Israël et les alliés de l’autre, il a fait le récit d’une erreur de frappe survenue pendant la Seconde Guerre mondiale ayant causé la mort de nombreux enfants.

Il assure ainsi : «En 1944, la Royal Air Force a bombardé le quartier général de la Gestapo à Copenhague. C’est une cible parfaitement légitime. Mais les pilotes britanniques l’ont ratée (“missed”), et au lieu du QG de la Gestapo, ils ont tiré sur un hôpital pour enfants. Et je crois que 84 enfants ont péri brûlés. Ce n’est pas un crime de guerre, ce n’est pas quelque chose qu’on reproche à la Grande-Bretagne. C’était un acte de guerre légitime, avec des conséquences tragiques. Et vous n’avez pas dit aux alliés “ne stoppez pas le nazisme” à cause de ces conséquences tragiques. Ils sont allés jusqu’au bout parce qu’ils savaient que le futur de notre civilisation était en jeu. Eh bien je vous le dis maintenant : le futur de notre civilisation est en jeu. Nous devons gagner cette guerre, nous le ferons en minimisant les pertes humaines parmi les civils.»

«Erreur catastrophique»

Ce fait historique est connu et documenté. Il s’agit de «l’opération Carthage» menée le 21 mars 1945 (et non en 1944). La cible initiale de ce raid aérien, organisé en trois vagues successives d’avions de la Royal Air Force britannique, est alors le siège de la Gestapo à Copenhague, abrité dans un bâtiment du centre-ville, la maison «Shell». Un QG qui sera finalement en grande partie détruit à l’issue de l’opération, considérée comme un succès. Mais au cours du raid, un imprévu, qualifié d’«incident malheureux» par la Royal Air Force, («unfortunate incident»), et d’«erreur catastrophique» par la presse danoise, aboutit à l’incendie d’une école française catholique (et non un «hôpital pour enfants»), située non loin de là.

En cause : un avion militaire de la première vague d’attaque qui, volant à très basse altitude, heurte un élément d’infrastructure (un bâtiment selon la Royal Air Force, un pylône électrique ou un lampadaire selon d’autres récits), perd sa trajectoire et s’écrase sur l’école française Jeanne-d’Arc. Tandis que les autres avions de la première vague filent en direction de la maison Shell, d’autres avions des vagues suivantes, induites en erreur par la fumée se dégageant de l’école incendiée, la prennent pour cible et bombardent. Le bilan fait état de 120 morts civils, dont 86 enfants.

Des images d’époque, tournées par l’armée à des fins de propagande et par des membres de la résistance danoise, documentent désormais l’évènement, même si des historiens ont révélé qu’un documentaire d’après-guerre très connu au Danemark a volontairement omis de rapporter cette scène. Depuis, un film (pas forcément bon, juge Télérama) a été tiré de ce drame et diffusé sur Netflix.

«Bouclier humain»

Nétanyahou se réfère donc ici à un épisode historique réel, l’épisode traumatique lié à une erreur technique ayant causé de très lourds «dommages collatéraux», tout en expliquant que les morts civiles à Gaza s’expliquent, eux, par le fait que le Hamas utilise, selon lui, «les civils comme des boucliers humains».

Lors de sa conférence de presse, Nétanyahou commence d’ailleurs sa réponse à la question des pertes civiles par ce développement : «Pas un civil n’a à mourir. Le Hamas a juste à les laisser partir dans la zone de sécurité (“safe zone”) qu’on a créée dans le sud-est de la bande de Gaza. […] Mais le Hamas les empêche d’y aller, les garde dans les zones de conflit. Donc je pense que votre question doit être posée au Hamas. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour empêcher des morts civiles. Non seulement en leur disant de partir, en créant des zones sûres mais aussi en faisant entrer de l’aide humanitaire. Et plus cette question est posée à Israël, plus cette situation se répétera, avec des organisations meurtrières qui utiliseront la population comme bouclier humain.»

A noter que ce n’est pas la première fois que le leader israélien se réfère à cette histoire. Comme l’ont repéré des internautes mi-octobre, Benjamin Nétanyahou, alors représentant d’Israël aux Nations unies, s’exprime le 30 mai 1986 dans l’émission américaine Firing Line.

Dans les exacts mêmes termes qu’aujourd’hui, il s’employait à décrire cette erreur de l’opération Carthage pour affirmer qu’elle n’était pas du «terrorisme».

Le fait historique est également mentionné par l’actuel Premier ministre israélien dans le livre publié en 1997 et intitulé : «Combattre le terrorisme.»